Monsieur le (futur) Président de la République, voilà ce que nous attendons de vous…
Quand je me suis posé la question « qu’est-ce que j’attends d’un président ? », bizarrement, je me suis tout d’abord demandé ce que j’étais en droit d’attendre de lui.
Puis m’est venu à l’esprit que si moi, citoyenne, je votais pour lui, c’était à lui de se donner les moyens de ce qu’il me promettait, et non pas à moi de cadrer mes attentes, de les réduire ou de les limiter.
Mr le Président, c’est quoi vivre en banlieue ?
J’ai pensé ensuite à ma banlieue du 93 dans laquelle j’ai grandi et où je croisais tous les jours de jeunes ados tout droit sortis du collège de Saint-Ouen en train de s’insulter ou de se battre comme si c’était anodin.
J’ai pensé qu’ils ne savaient pas eux-mêmes qu’ils devenaient leur propre cliché et qu’ils allaient rester exactement là où on les attendait : c’est-à-dire pas bien haut dans l’échelle sociale parce que d’autres n’avaient pas daigné leur donner les moyens de la monter.
Et à cause de quoi ? J’aimerais poser la question directement à mon président. Qu’il me dise ce qu’il pense de ce que c’est que de vivre en banlieue et de n’avoir pas de famille qui vous offre le vocabulaire, les livres, la culture, la musique, qui vous fasse parler et penser autrement, aller vers un autre destin que celui qui vous condamne d’avance.
Je voudrais qu’il me dise pourquoi les mairies n’ont plus d’argent pour leur budget culture. Est-ce qu’il considère que c’est superflu ? Pourquoi les « relais » qui sont mis en place pour, par exemple, instaurer le chant lyrique dans les crèches ne perçoivent plus un sous ?
Est-ce si peu important que les bébés qui n’en auront peut-être plus jamais l’occasion entendent de la musique différente de tout ce qu’ils ont connu jusqu’alors, les éveille et leur donne le goût d’un ailleurs, pour un jour qui sait, plus tard, aller s’inscrire au conservatoire ?
C’est la mission que s’est donnée une association comme le Divan Lyrique justement, et qui se voit voir réduire ses subventions à néant.
Mr le Président, donne-nous les moyens de rêver !
J’aimerais aussi lui demander, à ce président, s’il se rend compte que ce n’est pas seulement l’histoire de deux jeunes en train de se rouer de coups qui se joue là maintenant au coin de la rue dans laquelle il ne va jamais, mais bien l’histoire d’une nation entière. Que c’est dans les petites choses que naissent les grandes guerres.
Que tout ce qui favorise l’intégrisme est justement ce qui est de l’ordre de l’égalité, de l’accès aux soins, de la culture, et de leurs difficultés (voire impossibilité) d’accès.
Comment veut-il gouverner sans donner aux gens des moyens de penser ? Qui veut-il gouverner ? Comment nous aide-t-il à devenir des citoyens ?
Je voudrais savoir s’il sait ce que c’est que l’horreur de n’avoir aucune perspective d’avenir, lui qui est arrivé là où il en est. Lui demander s’il nous donne les moyens de rêver. Car comment en serait-il arrivé là où il en est lui-même si on ne l’avait pas laissé rêver à son tour ? Si on lui avait dit : « Toi, président ? Jamais. »
Oui j’aimerais qu’il nous en parle de ce trajet de vie et surtout qu’il nous le garantisse avec des moyens concrets. Qu’est-ce qu’on est en droit d’attendre en tant que jeunesse égarée, désillusionnée ? Désespérée de voir toutes les portes se fermer si on ne fait pas partie de l’élite, si on n’a pas les clés ?
Mr le Président, c’est avec les jeunes que tu réussiras
Comment fait-il pour réduire la rupture qui est en train de se créer entre son monde et le nôtre ? Qu’il m’explique le décrochage scolaire, les trafics, la défiance de l’autorité.
Je ne veux pas seulement les promesses d’un avenir meilleur. Je veux un présent qui soit possible, là, maintenant.
Un présent qu’on bâtirait nous-même, qui nous réjouisse, qui nous donne le goût de nous battre, parce qu’il faudra bien qu’on en ait envie pour prendre le relais et construire ce monde ensemble.
Qu’il me dise qu’il sait qu’il ne peut pas mettre la jeunesse de côté et espérer que ça va bien se passer.
Ou alors c’est que même en tant que président, il y a quelque chose qu’il n’a pas encore compris et qu’il faudra lui expliquer.
Il ne suffit pas de faire partie de l’élite pour être une personne qui sait penser : dans nos banlieues beaucoup de jeunes ont plein de potentialités, des pensées qui cherchent à s’épanouir, et pourtant, ils sont parfois sur le point d’exploser de ne pas savoir comment, avec qui, quand, de ne pas trouver les outils pour se réaliser. `
Qu’est-ce que ça peut bien donner comme lendemain ? Ce que j’attends d’un président : qu’il soit humain et s’occupe de l’humain qui est son voisin.
Farah D., 22 ans, étudiante en droit, Paris
Crédit photo Flickr CC Ian Norman