J’ai encore été agressée !
Jeudi soir, j’ai (encore) été agressée.
Cela partait pourtant bien. Je fêtais le pot de départ d’une ancienne collègue avec d’autres amis à Paris, vers Hôtel de Ville. Succombant à l’appel du double cheese, j’ai abandonné le groupe pour faire un rapide saut au McDo. Quelques minutes plus tard, j’étais ressortie. Mes précédentes « rencontres fortuites » ont forgé mon côté alerte.
Je suis vigilante concernant les gros lourds en tous genres pouvant me poser problème, les rues désertes mal éclairées, et les 10 000 facteurs auxquels une fille pense lorsqu’elle se balade seule. Mais là, pas d’inquiétude. J’étais à peine sortie d’un fast food bien éclairé, avec des clients à l’intérieur, dans un quartier plutôt fréquenté, de la circulation et mes amis à une centaine de mètres.
La violence physique… et celle des mots
Je n’ai rien vu venir. Ni le scooter qui s’est arrêté juste devant moi, ni l’un des deux hommes qu’il transportait se diriger vers moi, encore moins son poing qui est allé directement s’écraser sur ma figure. Je n’ai rien compris, j’ai simplement senti ma tête partir en arrière et mon corps tituber sous la violence du coup. Puis j’ai senti sa main essayer d’attraper mon téléphone avant de recevoir le deuxième coup qui, a posteriori, reste le plus violent : « Sale pute, t’es qu’un déchet, salope je te défonce. »
Je ne sais pas si c’est la violence des mots, l’adrénaline ou simplement la peur qui a déclenché ça ; mon corps a réagi en donnant un vif coup d’iPhone dans la pomme d’Adam de mon agresseur qui s’est fendu d’un « Aarrrhrhrhrr » peu engageant m’indiquant que j’avais mis dans le mille. Il a reculé, est remonté rapidement à l’arrière du scooter de son pote et ils ont filé, suivant un mode opératoire qui semblait maintes fois répété.
Je me suis retrouvée seule avec mon portable toujours en main, mon double cheese dans l’autre, une forte douleur dans la pommette gauche et la sensation d’être salie, souillée, en me demandant sérieusement si je ne venais pas de rêver tant l’échange avait été rapide. J’ai fait dix pas avant de fondre en larmes et d’appeler mes amis pour qu’on vienne me récupérer.
J’ai fini ma soirée entourée, aussi sereine que possible, avec ma poche à glaçons sous l’œil et mon double cheese qui avait un goût de victoire malgré tout.
« J’en ai marre d’être une fille. »
Et maintenant ? Je vais bien, blindée par mes précédentes (et trop nombreuses) rencontres du même genre. Je me suis plus ou moins défendue, je suis entière, je l’ai fait fuir. Mais je n’écris pas tout ça pour me faire plaindre ou me faire mousser. Dans les minutes qui ont suivi l’agression, j’avais deux choses en tête.
La première, inexplicablement, était : « Everybody was kung fu fightiiinnnng ! » (Sûrement une référence humoristique de mon cerveau à ma défense bancale mais efficace.)
La deuxième était un sentiment beaucoup plus alarmant : « J’en ai marre d’être une fille. »
Je vous rassure, l’amertume est vite passée, mais elle m’a fait réfléchir. Comment peut-on en arriver là ? Se dire que c’est épuisant d’être, juste d’être, une fille sans être choquée de cette réplique. Ou pire, commencer à s’habituer à être agressée, harcelée, et (dans mon cas) frappée parce qu’on est juste pas du « bon genre ».
Arrêtez de minimiser le témoignage d’une femme agressée
Ici, on pourrait croire qu’il s’agit d’un violent mais banal vol de portable… Mais les insultes prouvent que c’était bien plus que ça. Cette agression, c’était celle de trop. Celle de trop après celles subies par ma famille ou mes amies. Ça te rappelle tous les jours que tu n’es pas née avec le bon chromosome et que tu en payes le prix (je passe ici sur les inégalités sociétales et salariales). Mais tu la fermes parce que tu sais qu’il y en a qui subissent bien pire que toi.
Ce genre d’anecdotes, j’en ai dix, quinze, cinquante à raconter. Mes amies aussi. Et pourtant, rien ne change.
Les gens sont toujours surpris, choqués, parfois mêmes suspicieux quand on leur parle d’agressions ou de harcèlement de rue. Cette agression était celle de trop parce que je continue à me prendre des coups et à me battre et débattre pour qu’on arrête de minimiser les témoignages des victimes d’agressions ou de harcèlement. C’était celle de trop parce que je n’en peux plus de devoir garder mon calme face à quelqu’un qui me dit qu’il « n’a jamais été témoin de ça donc qu’il pense que j’exagère un peu ». Parce que je dois toujours expliquer patiemment, au risque de passer pour la véhémente de service, que non, « féminisme » n’est pas un gros mot, mais que « slut-shaming » et « victim blaming », oui. Parce que j’en ai simplement assez d’entendre les gens me dire que « c’est pas de chance » parce ce que j’ai vécu « un acte isolé et rare ».
L’agression de trop… mais pourtant pas la dernière
Non, ce genre d’agression, ou toute autre forme d’agression ou de harcèlement, n’est pas rare. C’est même le quotidien de beaucoup de femmes.
Avec toutes les histoires d’agressions et de viols qu’elle entend, Yasmine anticipe. Cela fait un an qu’elle pratique les arts martiaux et apprend à se défendre elle même, juste au cas où …
Et le pire, c’est que cette agression est celle de trop, mais qu’elle n’est probablement pas la dernière. Alors voilà, ce message n’a pas d’objectif précis si ce n’est de déclencher ne serait-ce qu’une minuscule prise de conscience et, pourquoi pas, une volonté de mieux comprendre.
Le tout premier pas, c’est l’écoute. Si les vôtres vous ont poussé à lire ce long post jusqu’au bout, je vous invite à faire un tour sur les sites de Paye Ta Shnek et madmoiZelle.com. L’un regorge de témoignages qui achèveront les plus suspicieux, l’autre propose de multiples articles très bien construits sur le sujet. En attendant, je reste #teambaston.
Marion, 24 ans, traductrice, Paris
Crédit dessin Emilie Seto