Au collège, la colonisation est passée sous silence
Assise devant la bibliothèque de chez moi, il y avait un livre que je n’avais jamais vu. Je l’ai saisi, il était abîmé et renfermait encore la poussière des années 80, celles que mon père a connues. Un manuel de l’époque où il faisait ses études au Maroc, son pays d’origine. Ce qui m’a le plus surprise, c’était que tout était écrit en français, bien que la langue officielle soit l’arabe. Parallèlement, je me suis dit que toutes mes cousines du bled (y compris les petites) maîtrisaient le français ; tout du moins assez pour que je puisse les comprendre. Et, lorsque j’allais au bled, les personnes blanches étaient également plus respectées que les personnes à la peau mate.
Ce manuel entre les mains, je me suis mise à m’interroger sur mon identité. Quelle est l’histoire de mes ancêtres ? La France a-t-elle un lien avec tout ça ? Si oui, alors pourquoi l’école ne nous en parle pas ? Est-ce qu’il y a des choses que je ne dois pas savoir, moi, enfant d’immigré ?
La seule chose qu’on apprenait sur l’Afrique, c’est qu’elle est en voie de développement
À l’école, on me parlait de Napoléon, de la Première et la Seconde Guerre mondiale, du Moyen Âge, du tiers état, de la noblesse… J’étais incapable de comprendre tous ces rois, leurs manières de vivre, de penser… Mes cultures étaient bien trop différentes des leurs. Dans celles-ci, ils sont vus comme des colonisateurs. Durant mes cours d’histoire, j’ai appris que l’Afrique était un continent très pauvre économiquement, avec des dirigeants élus à 90 % de vote et une population noyée dans la misère. Moi, je voulais comprendre comment on en était arrivé là parce que ça fait partie de mon identité. Et, c’est en comprenant l’histoire de mes ancêtres et de l’Afrique que je pourrai avancer.
L’enseignement de notre passé colonial à l’école est à la peine, et ce, depuis l’indépendance des anciennes colonies françaises. Le combat pour une éducation moins européanocentrée, décortiqué sur Politis, dure depuis 40 ans et fait beaucoup parler enseignant·e·s et politicien·ne·s.
Alors, comme un enfant face à une friandise, j’étais impatiente d’apprendre tout ça à l’école. Hélas, la seule chose que l’on apprenait vraiment sur ce continent, c’est qu’il est en voie de développement. Ah si, de rares fois et de manière très superficielle, on abordait l’esclavage. On nous parlait du commerce triangulaire en histoire et en anglais, des lois ségrégationnistes. Alors, je pensais que la France n’avait pas vraiment de passé esclavagiste. Le thème était surtout classé dans la littérature anglaise.
Mon grand-père a connu la misère de la colonisation
En revanche, nous n’avons jamais abordé la colonisation. On nous en parlait si peu que je serais aujourd’hui incapable de vous exposer le contenu de l’unique cours de troisième sur ce chapitre. Au départ, je croyais que cette partie de l’Histoire était négligeable puisqu’on l’abordait rarement. Puis, j’ai compris que la vérité ne pouvait être complètement dévoilée car elle renferme de tristes réalités.
Ma mère m’a un jour raconté l’histoire de mon grand-père, encore vivant actuellement, qui a connu la misère de la colonisation. Pour beaucoup d’Africains, la France était vu comme un pays riche. Sûrement un complexe d’infériorité résultant du processus de colonisation et d’esclavagisme. Mon grand-père avait donc postulé à un contrat de travail en France. Une opportunité de fuir la pauvreté qu’il a si bien connue.
Seulement, arrivés en France, les Africains étaient entassés dans des bidonvilles. Les conditions de vie étaient extrêmes. Il devait reconstruire les routes que nous empruntons aujourd’hui. Mon grand-père devait supporter le froid de l’hiver et la chaleur de l’été, sans ajouter le fait qu’il n’était même pas logé et nourri correctement par l’État français. C’est un sujet que mon grand-père évoque peu, comme si c’était tabou.
J’aurais aimé que ce soit l’école qui m’enseigne cette histoire
J’ai tout de suite fait le lien entre la France et le Maroc. Mes cousines parlent aussi bien français parce que le Maroc a récemment été occupé par la France. En me documentant via des livres et reportages, j’ai pu en apprendre davantage sur cette occupation. Par exemple, j’ai appris que la France avait commis un massacre sur la population du Rif (région au bord de la méditerranée). J’aurais aimé que ce soit l’école qui m’enseigne cette histoire, parce que la France est entrée dans l’histoire de l’Afrique.
Ahouefa est béninoise, mais a grandi en France et s’y sent chez elle. Elle préfère s’intégrer sans assimilation, en protégeant ses racines.
Aujourd’hui, j’ai compris que si je ne me documentais pas seule, je ne connaîtrais jamais mon identité. Je pense que cette partie de l’Histoire a bien trop de répercussions aujourd’hui pour être négligée. On a bien conservé les statues de colons en France pour pouvoir assumer l’Histoire, alors pourquoi la passer sous silence aux jeunes générations ?
Jinane, 17 ans, lycéenne, Asnières-sur-Oise
Crédit photo Pexels // CC Wesley Carvalho