Avant le Covid, j’avais un plan de carrière
Je démarre ma vie professionnelle avec une épine dans le pied et à l’aveugle. Je termine actuellement mon master par un stage dans une association de cinéma qui coordonne une section du festival de Cannes… qui a été annulé cette année. Jeune, j’arrive donc sur le marché de l’emploi au pire moment, dans un des secteurs les plus touchés.
Mon but est de travailler dans les festivals de cinéma ou dans la distribution de films. Je connaissais la difficulté de m’insérer dans ce milieu mais j’ai beaucoup travaillé dans différentes structures afin d’assurer mon avenir. J’ai aujourd’hui le sentiment que tout ça n’a servi à rien. Je termine un master en Politiques culturelles, donc j’ai un bac +5, j’ai fait plusieurs stages. Je me suis aussi engagée auprès d’associations de cinéma (Silhouette, DOC !, 1001 Images…) et leur dédie beaucoup de temps et d’énergie depuis des années afin de me construire. J’ai même créé la mienne (S’Émanciné, dédiée aux ciné-concerts). Bref, je n’ai jamais lésiné sur les efforts pour être « prête ». Évidemment, je ne l’ai pas fait que par investissement, mais parce que j’aime ça, j’y apprends beaucoup et y trouve ma place.
Le secteur que j’avais besoin de découvrir en stage à l’arrêt
Au début du confinement, le festival de Cannes n’était que reporté à la fin juin (au lieu du mois de mai habituel), mais l’allocution d’Emmanuel Macron du 13 avril a mis fin à cet espoir : il déclarait l’interdiction de tout rassemblement d’envergure et d’organiser des festivals jusqu’à la mi-juillet. Le lendemain, au téléphone, mon responsable m’a rassurée : mon stage était maintenu puisque l’association continuait de travailler et rebondirait, même si ses actions prendraient une autre forme. Surtout, elle serait solidaire pour m’aider à trouver du travail par la suite. J’avais besoin de l’entendre et de reprendre confiance.
Les semaines passant, mes missions se sont réduites comme peau de chagrin. Une grande partie du monde était confinée, les festivals fortement perturbés, les salles de cinéma fermées et toute l’économie qui s’en suit (la distribution, la médiation…). Les tournages sont arrêtés pour un bon moment, la post-production également, donc les films ne sont pas terminés… Tous ces rouages du secteur, j’avais besoin de les découvrir pendant mon stage.
Je le termine donc le 30 juin sans avoir pu voir le fonctionnement normal du cinéma, et en ayant coordonné un festival que je n’ai pas pu mener à bien.
J’avais tout programmé cet été, et puis… le vide
À la suite de mon stage, je devais travailler au musée du Louvre pour le mois de juillet (mon job étudiant depuis cinq ans), puis me rendre au festival de Locarno en août, un des plus grands festivals mondiaux et pour lequel j’aimerais pouvoir travailler un jour. Tout un programme qui m’assurait des rentrées financières et des opportunités professionnelles que j’ai vu disparaître.
Surtout que le Louvre m’offrait un vrai salaire dont j’avais bien besoin après deux stages : un stage de trois mois, puis mon stage actuel de cinq mois payés à 3,90 euros/heure. Étant techniquement étudiante jusqu’au 30 septembre 2020, je ne peux prétendre ni au chômage, ni au RSA. Mes parents m’aident beaucoup financièrement, mais j’ai besoin de gagner ma vie moi-même.
La crise sanitaire a impacté beaucoup de jeunes. Selon l’Organisation internationale du travail, un jeune sur six dans le monde a perdu son emploi.
Puis, les festivals de Cannes et de Locarno permettent, en plus de se tenir à jour des productions mondiales, énormément de rencontres. Ce sont des épicentres qui rassemblent tous les professionnels du cinéma, de tous les secteurs (producteurs, réalisateurs, distributeurs, exploitants de salle, presse…). Je comptais d’ailleurs y retrouver des connaissances de ce milieu que je ne vois qu’à ce moment-là et, peut-être, me débloquer des opportunités.
Au déconfinement, mes collègues racontaient des anecdotes sur Cannes au bureau. Et je me suis rappelé ce que j’avais loupé : je n’ai pas pu rencontrer tous ces acteurs du secteur, n’ai pas vécu cette frénésie, et n’ai par exemple jamais rencontrée l’attachée de presse qui aurait dû nous rejoindre pendant le festival (et tous ces collaborateurs que l’on ne côtoie qu’à ce moment-là).
Je fais le bilan de ce que j’ai manqué
Mon stage se termine cette semaine, et je fais le bilan de ce que j’ai manqué. Je suis tout de même heureuse de l’équipe avec laquelle j’ai passé cette période étrange, et de n’avoir pas vu mon stage annulé ou reporté. Cela me permet d’être très informée de la réalité des normes sanitaires et de ses conséquences, ce qui sera nécessaire pour appréhender les prochains mois. Depuis le début du confinement, j’ai lu les rapports sanitaires, les documents officiels édités par le gouvernement, visionné toutes les tables-rondes virtuelles de Comscore et du Films Français afin de me préparer au mieux. Mais la suite s’annonce encore plus difficile.
Même lorsque les festivals ont lieu, ils sont soit virtuels soit fortement réduits. De nombreux films prévus pour 2020 reportent leur sortie à 2021. L’enjeu économique est très important ; la distribution est extrêmement menacée puisque son rôle est de placer des films en salles de cinéma. Celles-ci ayant été fermées jusqu’au 22 juin, les distributeurs ont perdu toute rentrée d’argent pendant des mois. Et dans ces deux domaines – festivals et distribution -, comme dans de très nombreux domaines, les places deviennent encore plus chères. Mon responsable m’a prévenue que la plupart des festivals accordaient la priorité aux anciens, par solidarité, en ces temps de crise (ce que je comprends).
Dans mon secteur c’est le brouillard généralisé
Le secteur était déjà précaire avant la crise, donc je n’arrive qu’à lui présager un avenir sombre, même si j’espère du fond du cœur me tromper. Pour un de mes collègues, le vrai problème actuel, c’est de ne rien savoir. Les distributeurs ont dû attendre la réouverture des salles, et doivent maintenant attendre de voir comment le public va réagir (va-t-il retourner en salle ou en aura-t-il peur ?) et quelle tournure vont prendre les normes sanitaires dans les prochains mois pour faire un bilan de leur activité. Et en plus – ne pouvant travailler en ce moment – personne n’est plus en contact avec personne.
Ce brouillard généralisé empêche toute projection dans l’avenir et donc de pouvoir réagir en conséquence. Chacun attend avec angoisse les bilans qui ne pourront pas se faire avant octobre ou novembre… et à la suite desquels on attend de nombreuses fermetures administratives.
Jeune et sans emploi, mon engagement bénévole me sauve
J’essaie aujourd’hui de préparer mon avenir en contactant des professionnels dont j’apprécie le travail et avec qui j’aimerais collaborer. Certains semblent intéressés et me demandent des CV et lettres de motivation, auxquels ils me répondent qu’ils ne cherchent personne en ce moment. J’espère leur avoir suffisamment plu pour qu’ils ne m’oublient pas le jour où ils seront prêts à recruter.
Ce qui me rassure sur la suite, c’est l’engagement bénévole auprès d’associations qui donne du sens à mes journées : même si je ne peux pas trouver ma place professionnellement, je ferai toujours du cinéma et (je l’espère) ne risque pas de rester des mois dans ce vide, cette attente impuissante d’une opportunité qui ne se présentera peut-être jamais. Ça m’aurait complètement minée moralement.
Au chômage, Antoine était sur le point de décrocher un nouvel emploi quand la confinement fut instauré. Les perspectives d’emploi du jeune actif ont alors été avortées… « Je ne rentre pas dans les cases de Pôle Emploi »
Ensuite, qui sait ? Peut-être que mon engagement bénévole m’offrira des opportunités d’embauche puisqu’elle me garde en contact avec des professionnels et offre un réseau, peut-être que l’association que j’ai créé prendra de l’ampleur jusqu’à me rémunérer… Je n’ai jamais autant senti l’importance de trouver (voire créer) moi-même le sens à donner à ma vie. Parce que je ne peux m’attendre à rien et préfère composer avec la situation en misant sur ma bonne étoile et sur la sincérité de mon engagement, en attendant des jours meilleurs.
Pauline, 26 ans, étudiante, Paris
Crédit photo Unsplash // CC United Nation – Response COVID19