Mes 20 ans, ma jeunesse en pause
Le 11 mai 2020, c’était mon anniversaire. J’ai eu 20 ans et le monde redémarrait après le premier déconfinement. J’allais peut-être pouvoir revoir mes amis, sortir, respirer un autre air que celui de mon balcon. Étudiant, j’allais bientôt finir ma licence, pouvoir poursuivre mon rêve de me battre pour protéger la biodiversité… Mais, presque un an plus tard, nous sommes toujours enfermés chez nous, sans aucune raison de sortir. Je ne suis pas essentiel, je ne mérite pas d’exister. Ma vie a été jugée comme pouvant être mise en pause.
Mon cinquième semestre de licence a été un véritable enfer. Je suis en troisième année de licence en biologie à la Sorbonne. Une lettre ouverte avait d’ailleurs été adressée à nos enseignants et republiée dans Libération.
L’heure du dîner est passée ? Parfait pour un cours de 22 heures à minuit
L’organisation des cours à distance est déplorable, les séances sont annulées ou annoncées dix minutes avant d’avoir lieu, les examens ne sont jamais réellement évoqués, si ce n’est pour les condenser en trois semaines en décembre, lorsqu’on peut finalement les faire en présentiel.
En attendant, je passe des heures innombrables à regarder des vidéos de cours. C’est l’heure de manger ? Pas grave, je mets ma prof en pause, après tout il vaut mieux prendre des forces pour pouvoir bien réviser. L’heure du dîner est passée ? Parfait pour un cours de 22 heures à minuit ou 1 heure. On ne voit pas vraiment la fin des dizaines d’heures de vidéos à assimiler, donc mieux vaut le faire quand on peut.
Peu importe la difficulté, je m’accroche, malgré des journées de déprime totale et une descente certaine vers l’alcoolisme pour « décompresser » dès que j’ai un peu de temps libre… Les vacances de Noël approchent. C’est la dernière ligne droite, les dernières révisions avant les partiels les plus importants de ma licence. En présentiel bien sûr, il ne faudrait pas qu’on triche ! Même si, en revanche, il n’y a aucun problème à ce qu’on ne comprenne pas le principe d’un cours à distance ou ce qu’il faut retenir.
Travail, déprime, alcool, pensées suicidaires
Ces vacances sont loin d’être des « joies » de fêtes de fin d’année. Entre le stress énorme de réussite, l’isolement social, la fatigue physique à rester assis sur ma chaise depuis maintenant au moins six mois, je craque.
Pour faire court, les quelques jours entourant le jour de l’An ont été un bazar total, avec le stress du travail, la volonté de décompresser et les annonces. Trois jours de travail, de déprime, d’alcool, de pensées suicidaires, quasiment sans sommeil. Je mets quelques jours à me remettre de ma « crise », commence une thérapie, en présentiel, elle, et heureusement pour moi presque gratuite grâce à la sécu et la mutuelle. Et je me remets en direction de mes examens, autant que possible.
Santé Psy Étudiant, le site du ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, concrétise (enfin) la mise en place des chèques psy pour les étudiant·e·s, leur permettant de s’inscrire à ce programme afin de rencontrer un·e psychologue pendant trois séances, gratuitement. Un dispositif qui, selon le Huffpost, reste malgré tout fragile, et suscite interrogations et réserves.
Ça fait maintenant presque un an que je suis toujours chez moi, à n’avoir aucune possibilité d’envisager l’avenir. Maintenant que l’université est mieux organisée et qu’elle nous a entendus, j’ai repris les cours, mais le problème reste le même. Nous avons la chance d’avoir des séances Zoom, plutôt qu’un bombardement d’une centaine d’heures de cours/vidéos. Avant ce semestre, la majorité des cours avaient été dispensés en un seul coup en octobre 2020 : les profs avaient publié leurs vidéos de cours enregistrées dans leur coin et basta. Pour nous, ça faisait un énorme contenu à regarder, à assimiler et à apprendre en un seul coup. Notre doyen a signé un papier fin janvier limitant les visioconférences à cinq heures par jour, et vingt-quatre heures par semaine, pour notre bien-être. Mais les journées passées devant Zoom de 8 heures à 18 heures sont en fait monnaie courante.
Dans six mois, le bout du tunnel ?
Tous les jours se ressemblent et je n’en ai plus rien à faire de savoir si l’on est confinés ou pas, sous couvre-feu ou pas. J’ai compris les règles du gouvernement : depuis le 17 mars 2020, nous, les étudiants, sommes coupables de vivre. En vivant notre jeunesse, nous mettons des personnes en danger.
Nous sommes maintenant mi-mars et je ne peux toujours pas imaginer un avenir. Le seul petit espoir que j’avais de partir autre part pour mon master est en train de disparaître. Mon dossier universitaire est affaibli par les conditions d’enseignement (le diplôme corona ne donne pas forcément envie au recrutement…) et toutes les procédures d’inscription en master sont complexifiées par la situation : un gros bazar. Et qu’est-ce qui me dit qu’on aura le droit de sortir dans six mois ? Le bout du tunnel, je l’imagine à la fin de l’année. J’espère qu’après ce dernier semestre, qu’après ces derniers partiels, je pourrais avoir ma licence, intégrer un master et reprendre une vie normale.
Claire passe aussi le deuxième semestre devant un écran d’ordinateur. En distanciel à l’autre bout de la France, au lieu d’être à la fac. Loin de ses ami·e·s, de sa famille et de sa passion, le basket.
En fait, j’ai eu 20 ans en 2020, et contrairement à ce que mes parents, ou à ce que tout le monde m’a toujours promis, je n’aurai absolument rien d’autre à retenir de ma vingtième année que la solitude, la déprime, le stress et le sentiment de mener une vie complètement vaine.
Étienne, 20 ans, étudiant, Malakoff
Crédit photo Unsplash // CC Matthew Henry