Handicapé, je conçois la « normalité » différemment des autres
Quand j’étais encore à l’école primaire, on me posait beaucoup de questions telles que : « Pourquoi tes yeux bougent ? », « Pourquoi tu mets des lunettes de soleil ? »… Au début les questions ne me gênaient pas, puis petit à petit, ça m’a lassé, j’étais le seul à qui on les posait. J’avais des réponses banales, des réponses normales. Normales pour moi, mais pas pour eux.
Je me suis alors demandé comment mes amis interagissaient avec moi. Je n’ai rien remarqué de différent sauf qu’ils ne posaient pas ces questions, pour eux c’était normal. J’avais donc deux « normalités » autour de moi. Celle des autres enfants et celle de mes amis, les uns posaient des questions et les autres non.
L’Ulis, ça m’a changé la vie
Je vois le monde différemment des autres, pour moi c’est un automatisme de me rapprocher pour lire, de plisser les yeux à la lumière… Mes parents essayent de voir le monde à ma manière, pour m’aider ; les profs par contre oublient souvent de me faire des photocopies adaptées ou d’écrire plus gros au tableau, pour eux ce n’est pas un automatisme. Mais ça les sort de la monotonie des élèves : je suis différent de leurs élèves « normaux » alors ils s’adaptent.
C’est à ma première année au collège que j’ai intégré une cellule spéciale pour les malvoyants : l’Ulis [Unité localisée pour l’inclusion scolaire], une classe spéciale pour des élèves ayant un handicap. Elle les aide à s’adapter au lycée et à l’éducation en général. J’y ai appris à bien m’organiser, à gérer mon temps ainsi que les épreuves du brevet. Pour moi l’ULIS était un endroit convivial m’aidant à me détendre et à passer du temps avec d’autres malvoyants, certains avec un moins ou plus gros handicap. L’Ulis de notre lycée avait un·e gérant·e ainsi que deux AVS [Auxiliaire de vie scolaire] qui nous suivaient en classe. Le personnel de l’Ulis est sûrement l’un des groupes avec lequel j’ai pu parler avec le plus de facilité et j’en garde de très bons souvenirs.
La normalité n’est pas gravée dans la pierre
C’est ce qui m’a permis de comprendre que ce que l’on connait de la normalité n’est pas gravé dans la pierre, elle change tout comme on change au cours de notre vie. Dans ma classe Ulis, les profs étaient habitués, c’était devenu normal. Ils s’étaient adaptés aux changements, ce qui était différent est devenu commun. Je n’ai donc pas à avoir peur ou à changer pour correspondre aux regards des autres.
Face à la violence du rejet de ses proches, Anaëlle a longtemps caché sa transidentité. Malgré les nombreux conflits avec sa famille, elle a fait son coming-out. Une libération pour elle.
Mais je m’adapte aux autres et ils s’adaptent à moi. Moi à leurs différences et eux aux miennes. Je n’ai pas à avoir peur d’être différent parce qu’on ne pourra jamais trouver deux personnes identiques. C’est ce qu’est une identité, un moyen de différencier deux personnes parmi toutes les autres.
Killian, 18 ans, lycéen, Noisiel
Crédit photo Unsplash // CC Nonsap Visuals