Être harcelée, ça a plombé ma scolarité
C’était à la réunion parents-profs du deuxième trimestre de 5ème. J’entrais dans la salle avec ma mère et Mme V., ma prof principale. On s’est assis puis ma prof m’a regardée, attristée. Je ne comprenais pas. Elle m’a alors dit qu’une élève lui avait rapporté plus tôt dans la journée que je me scarifiais les avants bras. Des larmes ont commencé à couler sur mes joues. J’avais la tête baissée. Je n’osais pas la relever. J’ai entendu ma mère avoir un hoquet de surprise et pleurer. Elle ne s’attendait certainement pas à entendre ça.
Mme V. m’a demandé si c’était vrai. Elle voulait que je lui montre mes poignets. Je l’ai fait. Nouveau hoquet de surprise en voyant le désastre… Mais pourquoi ? Après un long moment de silence, j’ai pris mon courage à deux mains et je leur ai tout dit. J’ai toujours été plus grosse que les autres. Les autres enfants me critiquaient, me lançaient des insultes, me laissaient de côté pour les travaux de groupes, le sport, etc.
En maternelle, ce n’était que des petites paroles d’enfants. Puis, arrivée en primaire, ça s’est aggravé. Petit à petit, je me suis renfermée sur moi-même.
Arrivée en CM1, mes parents se sont séparés très durement, tentative de suicide de mon père, menaces de mort (de nous tuer)… J’ai pris encore plus de poids. Les moqueries sont devenues encore plus blessantes.
Le collège, les insultes, ce calvaire
Arrivée au collège, c’était censé être un nouveau départ. J’allais connaître de nouvelles personnes.
6ème : petites insultes par-ci par-là. Rien de très grave.
5ème : le début des problèmes. Je traînais souvent avec deux filles et deux garçons. Un jour, je me suis embrouillée avec une des deux filles, au parc. À la base, on était tous ensemble, puis d’un coup, ils se sont écartés de moi et ont ri ensemble. Quand ils sont revenus, ça a été des insultes par rapport à mon poids (« T’es grosse, t’es une vache, tu vas casser le banc, personne ne va jamais t’aimer, tu finiras seule… »), mon physique (« T’es trop moche, jamais un mec ne s’intéressera à toi, tu pues, t’es une merde… »), à faire des rimes sur mon nom de famille…
Sur le moment, je n’ai pas réagi, j’étais comme paralysée, je me demandais pourquoi mes « ami(e)s » me disaient des choses aussi méchantes. Je me souviens que j’étais assise sur un banc, un des garçons a dit à la fille avec qui je m’étais disputée de me baffer, elle a essayé mais je ne l’ai pas laissée faire, le garçon a aussi essayé, mais n’a pas réussi.
Quand j’ai repris mes esprits, je suis partie, mais en partant, la fille avec qui je m’étais disputée a dit aux garçons de me suivre. Du parc jusque chez moi, les deux garçons m’ont suivie, tout en chantant une chanson dans laquelle ils me traitaient de tous les noms… Dans la rue, personne n’est intervenu sauf un monsieur, mais ça n’a pas changé grand-chose.
J’ai perdu toute confiance en moi
Après cet épisode, j’ai commencé à me mutiler, et pas qu’un peu, c’était pas beau du tout… Mais c’est la seule chose qui m’apaisait. J’ai voulu plusieurs fois me suicider. Je ne dormais presque plus, j’avais toujours ce sourire si faux, je ne mangeais presque plus, j’étais tombée dans une petite dépression. Au collège, on m’insultait de plus en plus.
En 2016, Marie Rose Moro, pédopsychiatre, réagissait à l’automutilation de Charlotte. Elle aussi y trouvait une échappatoire.
Quand j’en ai parlé à ma prof principale, tout ce calvaire s’est arrêté. Elle m’a dit que ce que je vivais était du harcèlement et que je ne m’en rendais même pas compte. Elle a prévenu le principal du collège, il m’a convoquée et m’a demandé d’écrire un rapport écrit de ce qu’il s’était passé. L’un des garçons s’est définitivement fait virer du collège, l’autre n’a rien eu, les deux filles non plus.
Ils m’ont enlevé la joie de vivre pendant plusieurs mois. J’ai perdu toute confiance en moi. Je n’osais même plus parler à de nouvelles personnes.
Après cette grosse histoire, d’autres garçons ont commencé les insultes. J’ai « repris » la mutilation et la même chose s’est reproduite, mais cette fois, mon groupe d’amies ne m’a pas lâchée, et j’ai eu l’aide d’une prof d’espagnol formidable qui m’a beaucoup aidée par la suite.
Aujourd’hui, je suis au lycée et je me sens beaucoup mieux. Je n’ai plus d’idées noires. Pour me détendre, j’ai commencé à fumer. J’ai repris un peu confiance en moi, et je suis enfin heureuse.
Lucie P., 15 ans, lycéenne, Paris
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