Nelya B. 11/07/2019

« Viser haut » ne veut pas dire viser Paris !

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À Paris pour mes études, j'ai eu le sentiment de devoir mettre de côté ma sensibilité pour avancer. Rencontrer des modèles de réussite dans lesquels je me reconnaissais m'a permis de m'affirmer. Et de trouver ma voie. Fini Paris !

Depuis mes 5 ans, je vis dans une petite ville de la Banlieue parisienne. J’écris Banlieue avec un B majuscule, parce qu’elle le mérite. Elle est pleine d’espaces verts, je m’y suis toujours sentie bien. Je vais pas rentrer dans les clichés et dire que ces quartiers sont comme une « grande famille » sans trop de problèmes de délinquance. Je l’aimais ma ville. J’ai toujours été bonne à l’école, première de la classe, j’avais une certaine aisance à l’oral, j’avais du charisme. Des élèves comme moi on est « trop bons » pour rester en Banlieue, alors on nous conseille de « viser haut ». En plus, je suis une Arabe, donc ce serait plus facile pour moi de trouver un boulot si je sors d’une grande fac parisienne. Oui, c’était ça « viser haut ».

J’ai donc intégré une PACES à la fac Paris Descartes. La plus difficile des PACES d’Île-de-France, et peut-être même de la France entière. C’était pas ça qui m’angoissait en venant en cours, c’était l’ambiance globale. On dit que les gens perçoivent les ondes des autres. Quand je descendais aux Saints-Pères, je percevais toutes les ondes négatives. J’étais une fille très sensible. Je faisais attention à tout le monde, je m’excusais tout le temps.

PACES, j’étais en minorité à la fac

À force de prendre le métro ligne 4, bondé tous les matins, je fonçais dans le tas sans même plus m’excuser. J’étais devenue parisienne. Vous savez, le vrai cliché cette fois : je tirais la gueule, aigrie, méchante parfois, insensible. Je marchais excessivement vite, je ne faisais plus attention à rien. Je n’étais pas en accord avec la personne que je voulais être. J’aimais profondément ma sensibilité, c’était ce qui me faisait. En la perdant, je me perdais moi.

Périphéries, le podcast fait un reportage sur l’Epide (Établissement pour l’insertion dans l’emploi) de Montry : Des jeunes jadis paumés, issus de quartiers défavorisés sont là pour « apprendre à devenir comme tout le monde… et même mieux. » Témoignages sans faux semblants recueillis par Édouard Zambeaux ! À écouter ici rien que sept minutes.

Avant, j’entendais la sonnerie de l’école, du collège et même du lycée depuis chez moi. Je passais le plus clair de mon temps avec ma famille. Du jour au lendemain, j’étais aux Saints-Pères de 8h à 20h, je mangeais des sandwichs avec des bobos ou des fils de Blancs. Dans mes anciennes classes, y avait un Blanc maximum. D’un coup, j’étais en minorité. Au début, je me suis dit que ça allait, « c’est des jeunes comme moi ». Mais quand je disais « Wesh », je les offusquais, c’est comme si je les avais insultés limite. Pourtant, j’aimais aussi tellement parler un français soutenu et riche quand je prenais la parole devant une assemblée ou avec des inconnus. C’était donc ça « l’excellence » et l’élitisme. Ça m’a juste rendue triste et communautariste – pour la communauté banlieusarde. Mais pendant cette année et demie, je continuais à assister aux réunions des JA.

J’ai choisi de dire « Wesh » avec fierté

Je les admirais ces personnes des JA alumni, c’était à elles que je voulais ressembler, pas aux médecins sortis de Descartes. Elles avaient le même parcours d’excellence que moi et en plus, elles me ressemblaient. Elles venaient de la banlieue, beaucoup avaient fait une PACES et surtout, elles avaient réussi socialement et professionnellement. Elles étaient excellentes ! J’y ai rencontré Sakina. Elle est belle, avec un sourire magnifique. Elle me ressemble physiquement (arabe blanche de peau, brune de cheveux), mais aussi spirituellement et mentalement. Elle a fait un an et demi de PACES dans une fac parisienne, puis elle a changé et aujourd’hui elle est ingénieure. Elle m’a inspirée et m’a ouverte à une nouvelle définition de l’excellence. Une définition qui me prenait en compte dans ma globalité, mes valeurs, mes rêves, mes références, mes codes, ma religion, ma façon de parler. Bref, moi !

Banlieusard venant d’une ville populaire, Noâm a vécu son passage dans une classe prépa parisienne comme un décalage douloureux, mais aussi un moment d’ouverture essentiel. Un banlieusard dans une prépa parisienne

Plus j’allais à ces réunions, plus je me laissais enfin m’épanouir et surtout assumer mes choix. Je me retrouvais. Je m’affranchissais au fur et à mesure des chaînes que je me mettais, des boulets que la société avait accrochés à mon pied. C’était moi qui choisissais ma façon de réussir. Comme Sakina, j’ai décidé d’intégrer la fac Paris 13, en DUT génie biologique, pour devenir ingénieure.

J’ai choisi d’être femme, banlieusarde, Arabe, musulmane et d’être un modèle de réussite qui n’est pas passé par une fac parisienne, qui n’a pas oublié ses valeurs, et qui dit « Wesh » avec fierté.

 

Nelya, 19 ans, étudiante, Épinay-sur-Seine

Crédit photo Unsplash // CC Robin Benzrihem

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