Ex-salariée dans l’humanitaire, mon travail n’avait pas grand chose d’humain
11 décembre 2018, 9h21 : je clique et voilà, e-mail envoyé. Je viens de démissionner de mon job dans l’humanitaire. Alors que j’en avais tant rêvé ! Le problème, c’est que travailler dans l’humanitaire de cette façon, ça n’avait pour moi plus grand chose d’humain. Ça faisait presque cinq ans. Petite expérience, mais assez pour m’avoir fait perdre le sens d’un boulot pourtant censé en avoir tant.
À 21 ans, quand il a fallu choisir un master – après une licence qui ne m’avait pas plu et un service civique – je me suis posé la question du sens de mon futur travail. Critères incontournables : son impact social et sa capacité à changer le monde et la vie des personnes vulnérables. L’humanitaire m’est apparu comme une évidence. Je fantasmais ce domaine : partir à l’aventure, me dépasser, être sur le terrain, sauver des vies…
Master en relations internationales, spécialisation conflits et développement en poche, je suis partie faire un stage de fin d’études en Turquie, dans une ONG où je bossais sur des projets liés à la crise syrienne. Il y était question de sécurité alimentaire et de protection des réfugiés dans un contexte urbain. Le stage de six mois est devenu une expérience de quatre ans : missions de terrain, spécialisation en suivi et évaluation, promotion rapide à des postes à responsabilités, puis retour en France en tant que spécialiste dans une boite privée de consultance dans l’humanitaire.
L’humanitaire : un culte du surmenage
Au moment où j’écris, je revois ces dernières années défiler devant mes yeux et je prends la mesure du décalage entre mes grands idéaux d’il y a cinq ans et la réalité de mon expérience. Certes, tout n’est pas à jeter et je ne remets pas en question toute l’action des ONG. Beaucoup font un travail remarquable et nécessaire. Mais dans mon monde humanitaire à moi, on se retrouvait confrontés à la perte de sens : course à la promotion, ambitions démesurées, compétition entre les gens, harcèlement, heures de travail interminables, pression, burn-out et autres réjouissances.
Il y avait presque un culte du surmenage, une compétition officieuse : celui qui restait le plus longtemps, prendrait le moins de pauses et dira presque fièrement qu’il est « overbooké ». Autour de moi, on admirait certaines personnes « brillantes » ou « fantastiques », juste parce qu’elles avaient accumulé les postes à responsabilités dans les plus grandes organisations, où elles avaient passé plus de temps derrière un ordi que sur le terrain, avec les gens. Bien évidemment, je les admirais aussi et ne remettais rien en question : notre travail sauvait le monde et j’y contribuais certainement. Point barre. Déconnexion ultime.
À 16 ans, Farès est parti, avec une asso de quartier, aider à bâtir un mur dans un petit village marocain. Cette expérience de l’entraide lui a fait prendre du recul sur son propre quotidien. En mission humanitaire, j’ai pris conscience de ma chance
Sans m’en rendre compte, je me suis retrouvée à vouloir plus de responsabilités, toujours plus de réussite, comme beaucoup d’autres de mes collègues. Je voulais faire une grande carrière internationale, aux Nations Unies. Par ambition, j’étais prête à accepter n’importe quoi, sans réfléchir au fait que mon incapacité à gérer la pression pourrait desservir la cause. J’ai travaillé des semaines entières jusqu’à 3h du matin, week-ends inclus. Je voulais être promue manager et ça a marché : je suis devenue la plus jeune manager de l’ONG, alors que je n’en avais absolument pas les épaules. Cela m’a conduite au burn-out deux mois plus tard.
Hôtel 5 étoiles, goodies à foison sur les tables
L’observation de certaines dérives m’a achevée. Une gestion des ressources questionnable : des réunions des Nations Unies dans de beaux hôtels cinq étoiles, des heures à débattre de grands principes, à faire des réunions de coordination inutiles, ou à participer à des formations déjà reçues bon nombre de fois. Pire encore, j’ai eu parfois la sensation de faire face à une posture dominatrice de certaines organisations. Voici cette grande ONG internationale débarquer dans un pays « sous-développé », ne mettre que des expatriés à des postes à responsabilités, leur offrir un salaire et des avantages déconnectés de la réalité locale et du staff national et imposer sa manière de faire sans s’adapter au contexte.
L’exemple le plus frappant, c’était en janvier 2016 : je représentais mon ONG dans une réunion pour préparer la réponse à la crise syrienne, dans un pays annexe. Je ne sais pas ce qui m’a le plus choquée : la tenue de cette réunion dans un grand hôtel 5 étoiles ? Les goodies à foison sur les tables ? L’absence de Syriens parmi les nombreux Européens et Américains qui s’y trouvaient ? La vacuité des discussions et l’absence de mesures concrètes prises à la fin de cette journée ? Ou encore l’attitude hautaine et méprisante de certaines personnes aux postes à responsabilités ? Ce n’était qu’un premier aperçu des réunions récurrentes de coordination ou de stratégie, très coûteuses et sans impact concret.
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Un burn-out, des discussions avec des collègues, des lectures, et l’arrière-goût dérangeant que me laissaient ces situations qui s’accumulaient : la prise de conscience aura été un processus de plusieurs mois. Je suis devenue critique de la notion de « développement » qui implique que des pays, organisations ou riches individus, aillent en développer d’autres. Comme s’ils ne pouvaient pas le faire par eux-mêmes ! Critique des gros projets humanitaires coûteux, aux impacts limités. Critique d’un système qui ressemblait parfois à une grosse machine, avec une hiérarchie bien établie, des salaires exorbitants et ce fameux culte du surmenage. Le plus dur, mais le plus intéressant aussi, a été de réaliser que j’essayais en fait de coller à un modèle de réussite bien établi et que je ne faisais plus de l’humanitaire pour les bonnes raisons.
À la recherche de ce « foutu sens »
Je ne critique pas l’idée de fond derrière l’humanitaire ; je remets en cause certaines dynamiques nuisibles. Cela m’a laissée avec du vide et une question angoissante : si pour moi l’humanitaire a perdu son sens, où est-ce que je vais en trouver ? Comment faire quelque chose qui aide vraiment les gens, dans un environnement respectueux et bienveillant, sans repartir dans une course ambitieuse et déshumanisante ? Je n’y ai pas encore répondu, mais j’explore des pistes.
Ce témoignage a été écrit en partenariat avec Paumé.e.s., une communauté makesense de personnes en recherche de sens sur leur parcours professionnel, qui se retrouvent via un podcast, Facebook ou des rencontres sur les thèmes « Paumé.e.s dans mes contradictions », « Travailler moins pour vivre plus ». Pour se tenir informé.e.s : bit.ly/paumées
En octobre dernier, j’ai rejoint la communauté MakeSense des Paumé.e.s, sur les réseaux sociaux et à des réunions. Cela m’a permis de réaliser que je n’étais pas la seule personne à remettre en question ma vie professionnelle. J’aimerais monter mon projet. Un petit projet local, hors du système international classique. Un projet qui combinera combats humanistes, écologistes, féministes… Un projet en gouvernance partagée, avec des gens qui ont envie de faire vraiment bouger les choses, de mettre les egos de côté pour avancer en équipe et où l’énergie et les ressources dépensées impacteront réellement certains problèmes sociaux. Je ne sais pas bien par où commencer, ni comment éviter de retomber dans les mêmes écueils qu’avant, mais j’entrevois une porte ouverte. La question économique se pose, bien sûr. La peur de l’échec et de ne jamais trouver ce foutu sens aussi. Entre espoir et excitation d’une nouvelle page à écrire et peur du précipice et de l’absurde.
Sarah, 28 ans, indépendante, Paris
Crédit photo Flickr // CC United Stated Mission Geneva
Salut Sarah,
Lisant ton article, je sens que je dois prendre contact avec toi.
Je ne sais pas comment te joindre autrement qu’ici.
Alors voici mon numéro de tel : 0618816014.
L’idée est de créer un lieu de Vie.
Isabelle