Diane A. 11/04/2022

Présidentielle : je suis la « facho » de ma famille

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Marine Le Pen est qualifiée pour le second tour de l'élection présidentielle face à Emmanuel Macron. Comme en 2017. Il y a deux ans, Diane nous a raconté pourquoi, à 22 ans, elle vote Rassemblement national.

Je suis d’extrême droite, même si je ne trouve pas vraiment le terme approprié. Pour certains, je suis tout simplement « raciste ». En tout cas, je me sens différente des gens de mon âge, de mes proches.

Les attaques terroristes ont joué un grand rôle dans le façonnage de mes idées. C’est sûrement à cause de mon jeune âge, à l’époque, que j’ai été si profondément marquée. J’ai eu l’impression de devenir adulte dans un monde de dangers constants. Je pense à mes parents, qui eux étaient assez matures pour voir les choses avec du recul. Mohammed Merah m’a fait quitter le monde des enfants, mais de façon encore tâtonnante.

Les attentats, mon déclic

Mes idées ont changé après les attentats de janvier 2015, quand j’ai associé ce mal à une idéologie. Chaque nouvelle attaque m’a poussée un peu plus vers l’extrême droite. Je reconnais volontiers que c’est d’abord les émotions, la peur, qui m’ont fait adhérer aux idées d’extrême droite, et non la pertinence des arguments.

Ma sœur est très différente de moi. Les désaccords politiques deviennent de plus en plus fréquents à la maison et virent souvent à la dispute, surtout à table, lorsque nous abordons des sujets comme l’islam ou l’immigration. Le ton monte très vite, on ne s’écoute plus et très souvent ma sœur quitte la table, en me traitant de raciste. Le tout devant nos parents, témoins d’une scène qui s’est déroulée trop vite et qu’ils n’ont pas su arrêter.

Je suis la « nazie » de la famille

Eux, mes opinions politiques, ils préfèrent en rire : je suis la « nazie » de la famille. Cela les fait rire tant que je n’exprime pas mes pensées. Ils rigolent curieusement moins quand on rentre dans le cœur du sujet.

Extrême droite, ce n’est pas forcément voter Rassemblement national, auquel je n’adhère d’ailleurs pas. Mais adhérer à une idéologie qui refuse que la France, sa culture et son peuple soient altérés par une quelconque influence extérieure : la mondialisation, l’immigration ou le mélange des cultures. C’est vouloir recréer une unité autour d’une histoire, des ancêtres, une culture commune, et donc aussi une homogénéité ethnique. Je souhaite cela à tous les autres pays. C’est à mes yeux le seul moyen d’éviter, à terme, l’uniformisation du monde.

Ma génération est en profond désaccord avec moi

Ma mère ne veut plus que j’aborde ça devant ma sœur, car elle ne supporte pas le climat de tension entre nous. Ces sujets nous divisent trop. Nous sommes trop en désaccord pour même supporter d’écouter les propos de l’autre. Mais, au fond, ma sœur n’est qu’une représentante d’une génération en profond désaccord avec moi.

Les principaux médias que les jeunes consomment font la promotion de ce que je déteste. Je vois leurs articles défiler sur les ordinateurs de mes camarades en cours, et je me dis que c’est du lavage de cerveau, qu’ils ont déjà atteint celui de ma sœur et qu’ils laveront celui de tant d’électeurs qui façonneront le monde de demain.

Souvent, je préfère me taire

À l’université, il m’est plus difficile de m’exprimer librement car le climat est peu propice au débat. Ponctuellement, j’exprime mon désaccord mais je n’expose plus vraiment mes opinions dans le détail. J’ai l’impression que ça ne vaut plus le coup. Une fois, en cours en Angleterre, je me suis exprimée sur la laïcité, et je me suis retrouvée seule face à une classe d’anglais choqués, y compris le prof. Au lieu de débattre, ils ont préféré chuchoter des commentaires insultants et des jugements à mon sujet. J’ai senti que pour eux, débattre serait me laisser la possibilité de m’exprimer davantage, alors qu’ils préféraient me faire taire. La plupart du temps, je ne me fatigue donc pas à m’exprimer. Je ne veux pas faire de la provocation, je veux discuter. Si ce n’est pas possible, je préfère me taire.

Avec mes amies à l’université, c’est quand même un peu plus facile. Mais curieusement, elles me refusent presque le droit d’être d’extrême droite, et ne me prennent pas trop au sérieux. Je crois quand même qu’elles comprennent, mais préfèrent prendre la chose avec humour.

Mes amis sont de gauche

Je me sens impuissante et seule. J’ai des amis sur internet qui ont les mêmes idées que moi, et quelques personnes dans la vraie vie qui sont d’accord avec moi sur certains sujets. Sinon, la grande majorité des gens que je connais sont totalement opposés à mes idées. La pression sociale m’empêche d’essayer de changer les choses.

La plupart de mes amis ne sont pas blancs, sont d’origine ou de culture étrangères et quasiment tous sont de gauche, voire d’extrême gauche. Grâce à eux, je peux me confronter à d’autres points de vue, d’autres conceptions du monde. On se dispute moins au sujet de la politique qu’avec ma famille.

Pourtant, aucun d’entre eux ne m’a fait remettre en question mes principales opinions politiques. Parce que, quand je parle de politique avec eux, on est courtois, donc on va rarement au cœur du sujet. On comprend le point de vue de l’autre sans pour autant changer le sien. Très souvent, leurs contre-arguments consistent à me rappeler qu’on est en 2020 ; à croire donc qu’il faut forcément accepter ce qu’on considère être le progrès.

J’ai déjà essayé de me « déradicaliser »

Parfois, je me dis que ça n’en vaut plus la peine, que je me rends malade. Que lorsqu’on a perdu, ça ne sert plus à rien de pleurer sur ce qu’on ne peut pas changer. J’ai déjà essayé de me « déradicaliser » parce que j’avais l’impression de souffrir de mes opinions, d’être obsédée par les maux de notre pays, de ne voir que le négatif, partout. À la télévision, dans la rue, à l’université, en allant chercher du pain, dans les transports en commun…

Il y a des périodes pendant lesquelles je suis encore plus obsédée par la politique, et donc encore plus stressée. J’ai essayé trois fois de faire des pauses, des sortes de « détox » politique. Je m’étais interdit de consulter l’actualité, surtout les chaînes d’info en continu. J’avais mis tous mes livres et magazines liés à la politique dans un sac fermé à clé. J’ai demandé à mes amis en ligne de ne plus me parler de politique et de me le faire remarquer si, moi-même, je venais à en parler. Ces « détox » m’ont curieusement rendue encore « pire ».

Pourquoi ma mère n’essaye pas de changer mes opinions ?

Mes parents ont constaté ce changement rapide. Je leur ai expliqué que j’étais juste plus vocale à propos de mes pensées. Peut-être trop vocale… Même si je me censurais toujours, j’ai vite compris qu’on ne pouvait pas tout dire, même à ses parents. « Arrête tes conneries, tu pètes les plombs. », m’a dit ma mère le mois dernier. J’ai écrit le brouillon de cet article une nuit où j’étais particulièrement énervée. Me sentant incomprise, je voulais avoir le droit de m’exprimer quelque part, peu importe où, puisque je n’en avais visiblement pas le droit chez moi. Je ne comprends pas pourquoi ma mère n’essaie pas de changer mes opinions.

Alycia suit la politique depuis toute petite. À 15 ans, elle a déjà conscience que sa génération n’est pas assez prise en considération par les politiques.

Capture d'écran de la photo de l'article "jeune et femme, qui me représente en politique ?", qui montre l'intérieur de l'Assemblée nationale. Des sièges rouges, des députés hommes et femmes assis, masques sur la bouche, certains sont attentifs, d'autres regardent leurs feuilles.

J’aimerais qu’elle vienne me voir, qu’elle me dise : « Je t’écoute, dis-moi tout ce que tu penses, ne te censure pas, je ne te jugerai pas mais je t’expliquerai pourquoi je pense que tu as tort. » Pourquoi plutôt chercher à me faire taire ? Le silence ne me fait pas disparaître. Pour combattre, il faut savoir ce qu’on combat, et quoi de mieux pour comprendre nos idées que de nous écouter ? Qu’on ne parle pas à notre place. Qu’on ne nous dise pas que nous avons peur de ce que nous ne connaissons pas. Et qu’on ne nous dise pas de nous ouvrir au monde.

Et si cela peut réconforter tous ceux qui sont en profond désaccord avec moi, être d’extrême droite aujourd’hui, c’est être du côté des perdants. C’est ne pas être prise au sérieux ou être haïe pour cet aspect politique qu’il faut souvent refouler. Être obligé de le taire pour ne pas créer de tensions. C’est ne pas pouvoir discuter de politique, calmement et en profondeur.

Diane, 22 ans, étudiante, Paris

Crédit photo Wikipédia // CC Gauthier Bouchet

Témoignage publié initialement le 1er février 2020 sur le site de la ZEP.

 

 

 

Ces chiffres ne tiennent pas compte de l’abstention ni du vote blanc. Environ 24% des 18-24 ans se sont abstenu·e·s au 1er tour (2% de moins que la moyenne nationale). Les chiffres du vote blanc chez les jeunes ne sont pas connus.

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11 réactions

  1. Merci pour ce témoignage. Alors moi j’ai voter Melenchon aux dernières présidentielles, et ce sont mes proches qui sont de droite et d’extrême droite, j’ai envie de comprendre comme toi pourquoi l’on pense différemment de moi. On m’a de suite categorisée d’anti flic alors que jamais il ne me viendrait à l’esprit de leur faire du mal ou de leur manquer de respect. Je crois en l’urgence climatique, aux limites néfastes de la mondialisation, je pense que l’islam est un danger pour les peuples occidentaux mais j’ai aussi peur pour les migrants qui cherchent réellement à avoir une meilleure vie sans pourrir la nôtre. Il y a des brebis galeuses partout, je me sens entre deux. Je préfère le dialogue et je cherche réellement à comprendre les idées qui nous opposent. J’en ai marre que ce sujet parte dans les insultes et l’incompréhension des qu’on expose nos arguments. Peut être que mes idées changeront un jour, je ne sais pas, suis-je dans le vrai ? Jamais je ne prétenderais détenir la vérité, et surtout laquelle ?

  2. magnifique temoignage, au moin tu ne te soumet pas aux « bien pensant » alimenté a coup de burin par les médias. tous tes potes et les personne dans les coms qui sont de gauche ni connaisse rien en politique et repete juste ce qu’ils entende a la télé vu que 99% desmedias sont de gauche. Diane, reste vrai et ne passe jamais dans le camps des traitre a la nation.

  3. Merci beaucoup a ce journal de ne pas avoir censuré le témoignage de cette jeune femme.
    J’ai vu les autres commentaires, qui sont évidemment méprisant…  » Va voir sur France 2  » ben voyons!
    La France est dominée par le mal… Mais Il ne faut pas se ronger les sang; La persécution provoque un niveau élevé de combativité chez la minorité qui ne se soumet pas. Encore faut-il apprendre à combattre.
    Laissez-les se pavaner avec leur idées toutes faites. N’oubliez pas que les Français sont des barbares, ils vous passeraient à la guillotine si ils le pouvaient.
    Autorisez-vous à croire que la paix vous est accessible ! Il y a d’autres pays que la France.
    Bravo pour votre courage!

  4. Je suis un jeune homme de 23 ans et je comprends sa situation mais patience les mentalités changent petit à petit. La situation du vivre-ensemble en France est déjà condamné à échouer…

  5. Je lis vos commentaires et c’est dingue
    Vous partez politique certains essayent de la « dédroitiser »
    Moi je vois simplement une personne comme moi qui cherche à renouer des liens avec sa famille et à réavoir une vie où ont ne le jugera pas
    C’est si compliqué ? Même dans les commentaires certains la juge

  6. C’est entre le centrement et le décentrement de soi que se jouent nos positions face à l’autre, face à l’etranger, celui dont les idées et les pensées nous déplaisent ou nous effraient.
    Les idées centrées sur soi tuent.
    Tu rejettes les idées qui tuent en en adoptant.
    La supériorité, si elle doit se jouer quelque part, se joue dans la juste place qu’on se donne, la juste place où l’on se positionne, nous et nos idées. Toute supériorité est humilité, le reste est mensonge à soi-même et auto-persuasion.

  7. Ne pas être de gauche à vingt ans c’est ne pas avoir de coeur. L’être encore à trente c’est ne pas avoir de tête.

    C’est une maxime bien connue, tout ça pour dire que les années passant il y a un transfert ‘naturel’ des voix de gauche vers la droite.
    On est passé d’une situation qui a duré très longtemps où le FN ne récoltait aucune voix chez les jeunes à une situation où le RN est souvent le premier partir pour lequel votent les jeunes.
    Et ce vote augure de l’avenir….
    Car les années passant, il y aura une droitisation du corps électoral…
    Tu risques bien un jour de faire partie du camp des winners Diane !

  8. Great article!

  9. Je ne sais pas bien ce que je pourrais te dire vu que tu n’exposev pas vraiment tes idees dans ce billet. A part que je suis convaincue que le terrorisme a pour origine la colonisation et tous les degats que les occidentaux ont faits ( et continuent a faire) ailleurs. Nous foutons le bordel dans des pays etrangers, nous avons fortement ebranle leur culture ( donc leurs reperes),nous leur laissons la misere et nous etonnons ensuite qu’ils se refugient dans une forme radicale de religion ( seul repere pour eux probablement) et qu’ils nous haissent. Nous recoltons ce qu’on seme les generations precedentes avec la colonisation. Ca ne justifie nullement la violence et les attentats. Mais si on continue a stigmatiser, a rejeter,on leur apporte de nouvelles raisons de nous hair. On apporte de l’eau a leur moulin et ca ne s’arretera jamais.

  10. Zemmour a fait une nouvelle émule… La majorité des Français ont au moins un ancêtre d’origine étrangère, je me demande sur quoi se basera son épuration ethnique vu qu’il faut une homogénité ethnique. L’ancienneté de l’ancêtre? La tête? Le nom? La religion? Soit tu t’assimiles ou on te fait « remigrer » voir même déporter? Comme si le fait d’être né et élevé sur le sol français comptait pour du beurre, on reste immigré juste parce que nos ancêtres le sont. Les réseaux sociaux me rendent peut-être parano mais j’ai l’impression que les personnes racisées et les musulmans ne seront jamais considérés comme des européens à part entière, que cela ne sert à de vouloir s’assimiler et nous battre pour être acceptés. J’ai l’impression qu’un jour ils nous détruirons, que c’est un signe d’alerte et qu’il faut s’enfuir.

  11. J’ai l’impression que cet article est un appel à l’aide.

    J’invite cette jeune fille à regarder les documentaires « histoire d’une nation » de France 2 sur ce qu’est l’identité française, extrêmement contemporaine, de fait.

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