Avec ma tête, je ne peux pas être tout à fait française
Un peu plus jeune, j’allais souvent sur le tchat « Caramail ». Lorsqu’on faisait connaissance avec un nouvel internaute, on tapait « ASV » – âge, sexe, ville – c’est un bon début pour faire connaissance, non ? Le prénom ne venait que très tard finalement, la deuxième question qui parfois arrivait, c’était : « T’as des origines ? » Au début cette phrase me paraissait normale, intérieurement je rougissais – « Oui j’ai des origines… » Puis, au fur et à mesure, j’ai quand même commencé à me dire qu’à moins d’être le premier être sur terre, tout le monde en a, des origines !
Mon faciès qui me ramène à des origines…
Se poser la question de cette manière c’est faire comme si la question de l’identité devait toujours tourner autour des origines. Parfois je me surprends même à jouer l’ambassadeur de ma « culture » supposée, alors que j’ai vécu 98% de ma vie en France, je suis moi-même tombée dans le piège. Pourtant, construire son identité passe par tellement d’autres choses et chacun doit pouvoir être maître de cette construction. Et au fond ce qui me gène avec mon faciès, c’est qu’il est facile de me ramener à cela alors que je n’en ai pas forcément envie, alors que je me pose pas la question de mon identité de cette manière là.
« Je peux te poser une question indiscrète ? T’as été adoptée ? Tu connais tes parents ? »
« Oui, oui, je les vois de temps en temps, oui j’ai été adoptée, adoptée par la France, nous étions avec mes parents, ce que l’on appelle des réfugiés politiques, puis nous avons été naturalisés. »
C’est à l’occasion de ma naturalisation que j’ai changé de prénom dans mon état civil. Je me prénommais Rathana-Devi jusqu’à l’âge de 9 ou 10 ans. Depuis je m’appelle Catherine.
Ces touristes chinois qui me parlent en mandarin
Si ce changement me permet d’être considérée comme une « française » sur un CV, dans la rue ce n’est pas toujours évident : « conichua » (merci « TAXI ») « ni haou »… Pourquoi les gens ne me disent-ils pas simplement « bonjour » ? Pourquoi les gens pensent-ils qu’il faut s’adresser à moi dans une langue asiatique quelconque plutôt qu’en français en France ? Dans ce cas l’anglais ou l’esperanto ne seraient-ils pas plus… adaptés ? Des touristes chinois se sont même déjà adressés à moi en mandarin ! What ? Pour des personnes peu averties, je peux comprendre qu’on puisse confondre un chinois avec un cambodgien mais si les Asiatiques entre eux ne sont même plus capables de se distinguer, mais où va-t-on ?
Mon visage n’est pas mon identité
L’une des conclusions que j’en tire est que l’immigration asiatique est méconnue. Je ne demande pas forcément à ce qu’elle le soit plus, je demande juste le bénéfice du doute. Je demande juste que l’on prenne le temps de faire connaissance avec moi, sans que l’on me pose la question de mes origines au bout de trois phrases, si ça pouvait arriver au bout de la 10ème…
Si mon changement de prénom me permet d’être considérée comme une « française » sur un CV, dans la rue ce n’est pas toujours évident…
Tout cela me rappelle que moi, mon visage, je ne l’assume pas toujours, je ne l’aime pas. Que l’on vienne vers moi avec mépris ou avec bienveillance, que l’on voit en moi des nems et des mangues ou que l’on y voit le péril jaune, passez votre chemin, vous vous trompez d’objet. Je ne suis ni un atlas, ni un livre de cuisine, ni un livre d’histoire, ni un documentaire arte, ni le guide du routard. Et si tous ces substituts ne vous suffisent pas, si vous le pouvez, voyagez ! Mais voyagez bien, pas comme les touristes ethno-centrés.
Si vous venez me voir, c’est bien pour discuter avec une personne, qui est certes porteuse d’une histoire, d’une culture, de gènes mais surtout porteuse d’une identité qui n’est pas celle qui s’impose, à première vue.
Catherine, 28 ans, salariée, Lille
Crédit photo Thomas Lefebvre Suivre