ZEP 04/09/2017

Crise migratoire : de l’autre côté de la Méditerranée

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À l'heure où il est question de déployer aux portes de l'Europe des « hot spots » pour réguler les flux migratoires, nous avons été témoins du racisme ordinaire dont sont victimes les migrants au Maroc.

« Heeey Helwa Helwa ! » Comme chaque matin depuis mon arrivée, Souhail me réveille avec un sourire éclatant. Il chante un arabe rempli d’anglicismes dans notre chambre d’hôtel qui domine le port de Tanger. Comme Souhail et une vingtaine d’autres jeunes européens, je suis venu au Maroc participer à « Radio Méditerranée ». Un échange culturel né d’une collaboration entre plusieurs associations – Schoolclash (Allemagne), Spectacle pour tous (Maroc), Clube Intercultural Europeu (Portugal), Stitching Schoolclash (Pays-Bas) et l’Union Peuple et Culture (France).  Les thèmes de l’échange ? L’interculturalité et l’immigration. Le médium : une émission de radio réalisée en une semaine avec notre groupe.

Une semaine au rythme de l’interculturalité

Doit-on les appeler migrants ? Réfugiés ? Quelle est leur situation ? Le centre culturel Tabadoul – échange en arabe – résonne de nos discussions en anglais. Nous venons du Portugal, des Pays-Bas, de France, d’Allemagne, du Maroc. Chacun y met son grain de sel pour raconter en quoi l’accueil de réfugiés est beaucoup plus développé en Allemagne qu’en France, ou le discours politique plus favorable à l’immigration au Portugal.

L’interculturalité, nous la vivons au jour le jour : cours de salsa, cuisine du monde, interviews de bénévoles impliqués dans l’accueil des migrants et participation à l’Open Mic, scène ouverte du centre culturel Tabadoul.

C’est au cours de ces évènements que nous nouons des liens avec les responsables du centre Tabadoul, avec Moussa, architecte venu du Nigeria, Arnold, mannequin originaire du Cameroun, ainsi qu’Acha, photographe natif du Cameroun, pour ne citer qu’eux.

L’interculturalité, nous la vivons au jour le jour : cours de salsa, cuisine du monde, interviews de bénévoles impliqués dans l’accueil des migrants et participation à l’Open Mic, scène ouverte du centre culturel Tabadoul.

Ces migrants artistes ont trouvé une place dans ce lieu où le dialogue et le respect mutuel sont des valeurs fondamentales. Le centre d’accueil pour réfugiés Orient Occident que nous visitons par la suite à Rabat, participe lui aussi à l’intégration des migrants au Maroc en mettant à disposition des ordinateurs, en animant des jardins d’enfants ou en permettant à des femmes immigrées d’être rémunérées pour des créations de couture.

Pourtant, hors de ces espaces privilégiés, le Maroc ne semble pas être une terre accueillante pour les migrants.

Bien que le gouvernement marocain mette en place une politique de plus en plus favorable aux migrants et à leur intégration, notamment dans le but de faire du Maroc une terre d’accueil et de les dissuader de partir en Europe, les citoyens marocains sont beaucoup plus hostiles.

Les migrants font face à un racisme quotidien de la part de la population locale, comme en témoigne le rapport de 2013 du Gadem, Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers. Ils sont victimes d’insultes journalières, de réactions violentes et de ségrégation, ce qui aggrave leur situation sociale ainsi que leur intégration dans la société.

La « forêt » : seul refuge pour certains migrants

Près de Tanger, nous partons à la rencontre de ceux qui vivent dans des maisons abandonnées, ou même en forêt, dans l’attente de franchir les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. Pourquoi les rencontrons-nous ici et pas au centre Tabadoul ? Ou au centre Orient-Occident de Rabat ? Ils n’ont pas les bons contacts ou ne reçoivent pas d’argent de leur famille et ne trouvent pas de travail. Ils s’appellent entre eux « les frères », « la famille » et vivent ostracisés.

Sur le chemin, Arnold nous explique comment il a appris à chasser le sanglier avec des bouts de bois pour se nourrir durant les trois années qu’il a passées en forêt avant de vivre à Tanger.

Nous visitons une maison abandonnée où logent des douzaines de migrants. Des fils électriques courent sur les murs, on aperçoit de la boue sur les dalles, des réchauds, des couvertures et une fenêtre brisée. Victime de la dernière rafle policière, elle laisse filer le vent.

« Quand les policiers ne déchirent pas notre titre de séjour sous nos yeux, ils trichent sur les chiffres pour les envoyer à l’Union Européenne. Je me suis fait prendre à plusieurs reprises en photo…. »  Pour Honoré, d’origine camerounaise, la police marocaine gonfle les chiffres lors des rafles. C’est selon lui un moyen de justifier du bon usage des subventions accordées par l’Union Européenne au Maroc pour gérer l’immigration : « Vous savez ce que l’Europe finance en donnant des sous au Maroc ? Une véritable chasse à l’homme ! Nous ne pouvons même pas travailler. Les Marocains nous rejettent. Il nous faut survivre, et espérer, toujours. Seul l’espoir d’arriver en Europe un jour, nous fait survivre. »

Si peu de perspectives…

Les migrants d’origines subsahariennes sont enfermés dans ce « toujours » depuis trois à cinq ans en moyenne. Beaucoup vivent une situation critique, oscillant entre un espoir empreint de fatalisme et la peur.

Dans la rue ou dans le bus, ils peuvent être aspergés de parfum par un Marocain pensant que les personnes d’origine subsaharienne ne se lavent pas ou sentent tout simplement mauvais de nature.

Ils veulent travailler, mais se font souvent exploiter. Le problème n’est pas leur permis de séjour, mais bien leur couleur de peau. « Les Marocains sont mauvais… mauvais », nous répète plusieurs fois Michelle, Ivoirienne, comme pour conclure notre échange.

Dans la rue ou dans le bus, les migrants peuvent être aspergés de parfum par un Marocain pensant que les personnes d’origine subsaharienne ne se lavent pas ou sentent tout simplement mauvais de nature.

Ce que nous avons compris sur place, c’est d’abord la dureté de l’enfermement psychologique et physique que vivent les migrants au Maroc. Une fois arrivés, ils ont très peu de chance de continuer le voyage, peu de perspectives d’une vie décente au Maroc et peur de revenir sur leurs pas si c’est pour être arrêtés à la frontière par la police marocaine.

Une politique migratoire insuffisante

En 2014, dans le cadre d’un partenariat de mobilité avec l’Union Européenne, le projet Sharaka a mis à disposition du Maroc un budget de 5 millions d’euros « pour une meilleure prise en compte de la thématique dans les politiques et stratégies nationales », y compris pour une meilleure intégration des migrants. Récemment, le roi a lui même fait l’annonce d’une deuxième vague de régularisation massive.

Mais cela reste ne réglera pas la question du racisme. Les associations concernées pointent du doigt le peu d’initiatives gouvernementales en faveur de l’intégration, et évoquent de grandes difficultés à établir un contact avec les interlocuteurs gouvernementaux ou à obtenir des soutiens financiers.

Nous repartons de Tanger le coeur rempli d’un échange riche, les yeux davantage ouverts, mais avec en bouche un goût d’inachevé :

« Oui, ils avaient tous l’air de la méfiance. Puisqu’on les avait séparés des autres, ce n’était pas sans raison, et ils montraient le visage de ceux qui cherchent leurs raisons, et qui craignent. Chacun de ceux que Tarrou regardait avait l’œil inoccupé, tous avaient l’air de souffrir d’une séparation très générale d’avec ce qui faisait leur vie. »

A.Camus. La Peste, p.217

Mélody B., 21 ans, étudiante, Lille / Münster

Marie S., 21 ans, étudiante, Lille / Münster

Corentin V., 27 ans, étudiant, Equateur

Crédit photo Wikimedia Commons
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