Non le sexisme n’est pas une fatalité !
Notre époque est sexiste. Oh bien sur, j’entends d’ici des voix s’élever : « Sexiste, non mais j’te jure… » « De toute façon, les féministes, c’est des hippies ou des lesbiennes hein ? Ahahah. Et puis qu’est-ce qu’elles veulent de plus hein ? Vous avez voulu travailler et voter, faut pas vous plaindre maintenant ! »
Sauf que ces voix là oublient une chose : le féminisme, ce n’est pas un mouvement qui s’oppose aux hommes. C’est un mouvement qui se questionne sur la place des femmes dans la société, et par rapport aux hommes. Les féministes, ce sont des personnes – hommes ou femmes – qui luttent contre les inégalités ou atrocités commises sur les femmes.
Salaire mensuel moyen : 2 263 euros contre 1 817 euros
Alors bien sur, le sexisme le plus courant de nos jours réside dans l’inégalité au niveau des salaires. Toutefois, bien que tout le monde le sache, quel serait l’homme qui, outrepassant le tabou absolu du « combien tu gagnes ? » s’intéresserait au salaire de sa collègue, égale au niveau des diplômes, ou du poste, mais payée en moyenne 25 % de moins que lui ? Je doute qu’il y en ait beaucoup. Sachez simplement que pour un temps plein, le salaire mensuel moyen des hommes est de 2 263 euros, contre 1 817 euros pour les femmes.
En Amérique, la pilule en danger
Mais ce qui m’intéresse, ce sont des faits beaucoup plus parlant.
A ceux qui se demanderaient ce que c’est que le sexisme, en dehors des inégalités salariales, je réponds ceci : le sexisme, c’est quand les catholiques américains dénoncent et refusent la décision du gouvernement Obama de rembourser la contraception féminine. Ou quand Fabian Bruskewitz, évêque américain, parle de la contraception comme d’ »un mal et d’un péché grave ».
Il est vrai qu’aux yeux des conservateurs américains, la pilule est tout autant condamnable qu’un avortement puisque la femme qui l’a prend – honte à elle – souhaite disposer de son corps comme elle l’entend et ne pas se plier au dictat de la maternité, ou de la virginité avant le mariage. J’espère qu’ils condamneront très bientôt la masturbation masculine, véritable génocide en soi.
En Angleterre, des wagons réservés aux femmes
De même, ce qui est sexiste, c’est quand en Angleterre, sous couvert de minimiser le nombre d’agressions sexuelles commises sur les femmes, dans le métro de Londres la ministre des transports propose de créer en 2014 des wagons séparés entre hommes et femmes. Traduction : Mesdames, lorsque vous prendrez le métro pour aller au travail, aller chercher vos enfants, ou sortir avec vos amis, cachez vous bien des hommes en ne restant qu’entre vous. Ainsi, ces mêmes hommes qui vous bousculent, vous insultent, vous tripotent ou vous violent ne pourront plus le faire. Enfin si, mais pas dans le métro, du coup ce n’est plus de mon ressort. N’êtes-vous pas contentes ? Et bien non. Tout d’abord parce qu’un homme doit respecter une femme quel que soit l’endroit, le lieu, l’heure, ou la tenue de celle-ci. Il ne doit pas y être forcé parce qu’on cache à sa vue toutes les femmes de Londres. De plus, lorsque ces mêmes femmes descendront du métro, seront elles sûres de ne pas être agressées ? Et qu’arriverait-il à une femme qui –imaginons le – se tromperait de wagon ? Puisqu’elle enfreindrait la loi – qui lui imposerait de n’utiliser que les wagons réservés aux femmes -, elle serait dans son non-droit. Et à partir du moment où sa seule présence est condamnable, que se passerait-il ? Que feraient les hommes présents dans le wagon ?
Je poursuis. Ce qui est sexiste, c’est quand en Iran, en octobre dernier Reyhaneh Jabbari, 26 ans, est pendue pour avoir tué son violeur : Morteza Abdolali Sarbandi. Ou qu’au Maroc, à l’heure actuelle, le violeur d’une mineure sera gracié s’il consent à épouser sa victime. Il évitera ainsi toute poursuite judiciaire. Voir par exemple le cas d’Amina Al Filali, 16 ans, qui en 2012 s’est suicidée.
La fameux « Non mais c’est que de la drague hein ! »
Je pense que tout ceci donne une assez bonne vue d’ensemble de ce qu’est le sexisme, mais permettez-moi de rajouter ma propre vision des choses. Ce qui est sexiste, c’est quand je mets une jupe et que dans la rue, dans le métro, ou en ville, les hommes me reluquent sans la moindre retenue ou décence, jusqu’à me mettre mal à l’aise moi. Moi, qui ne fais que me balader. Ou qu’ils me sifflent ; apprenez que l’on ne siffle que les chiens messieurs – aucune fille ne vous donnera son numéro parce que vous sifflez bien. Ou qu’ils m’accostent alors qu’en évitant leurs regards ou en ne leur répondant pas, je leur ai clairement fait savoir que je n’étais pas intéressée.
Je réentends les petites voix : « Olala tout ça pour quelques mots… Non mais c’est que de la drague hein, faut arrêter aussi ! Comment vous voulez trouver un mec si vous voulez même pas leur parler aussi ? » Ahah. Non. Quand une fille baisse les yeux et marche plus vite en tirant sur sa robe, en sachant que tu vas de toute façon lui mater les fesses et le lui faire comprendre, ce n’est pas de la drague. Quand un mec m’accoste en se plaçant devant moi pour me bloquer le passage et que je sois obligée de l’écouter, il ne me drague pas. Quand je passe dans la rue et qu’on me lance « Hey toi ! Tas une belle bouche, ça te dis pas de l’utiliser ? », on ne me drague pas non plus. ça, ça s’appelle du harcèlement sexuel.
« Olala manquait plus que ce mot là aussi ! Non mais sérieux, vous les femmes, vous mélangez tout ! Si maintenant on peut même plus déconner… » Très bien.
Quand Cécile Duflot, députée, est sifflée par des députés à l’Assemblée Nationale parce qu’elle porte une robe, croyez-vous qu’elle ait était draguée ? Il me semble qu’avant de faire son discours, elle devait s’attendre à autre chose, comme par exemple à du respect, ou au silence.
Faute de preuves…
Alors bien sur, il y a des propositions pour contrer ce genre de dérapages sexistes. La loi contre le harcèlement moral et sexuel de 2012 tend à punir tout comportement réduisant une personne, et son travail, à sa simple identité sexuelle. Mais sur le terrain, comment une femme pourra-t-elle expliquer à un avocat que son patron lui a, par exemple, proposé de monter plus vite dans la hiérarchie si elle consent à « passer sous son bureau» ? Ou qu’un de ses collègues lui fait, dès qu’il la voit, une remarque sur son décolleté ? Croyez-vous que ce genre d’hommes fasse ce type de remarques devant toute l’entreprise ? Bien sur que non, cela se passe dans un couloir, quand ils sont seuls, entre la machine à café et le bureau. Et croyez-vous que chaque femme ait sur elle un enregistreur, à chaque moment, pour se servir des enregistrements obtenus devant un juge ?
Enfin, croyez-vous qu’au vu de la pression que subissent les femmes à longueur de temps, toutes les femmes victimes de ce genre de comportements ou de remarques réagiraient ? N’auraient-elles pas peur d’être tournées en ridicule, réprimandées ou virées ?
Dénoncer le harcèlement par la BD
Au rang des projets intéressants venant dénoncer les abus des comportements observés en société vis-à-vis femmes, « le Projet Crocodile » est selon moi le plus criant de vérité. Thomas Mathieu, auteur et dessinateur, a eu la gentillesse de répondre à toutes mes questions il y a un mois. Il m’a donc expliqué que ce sont des femmes qui lui envoient les cas de sexisme dont elles ont fait l’objet, et que lui se charge de lire les histoires et de les illustrer. Toutes les histoires du projet crocodile se sont donc réellement passées, ou ont été observées. Le but du projet est que le harcèlement moral soit identifié précisément à travers des situations précises. Ainsi, chaque lecteur peut identifier à quel moment un homme dépasse les bornes. Bien qu’il y ait quelques scènes assez crues ou explicites, l’ouvrage ne manque pas d’intérêt, et je conseille à tout le monde – homme ou femme – de le lire. Par ailleurs, vous pouvez aussi le lire par pur esprit de contradiction, vu que cette bande dessinée a été censurée par la ville de Toulouse. En effet, le 25 novembre, soit le jour de « la Journée Internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes », devait se tenir une exposition du Projet Crocodile au square Charles de Gaulle. Et bien les élus toulousains ont trouvé que les planches étaient trop « violentes et vulgaires » pour être exposées.
Comprenons-nous bien Messieurs. Ce qui se passe dans la rue, au travail, ou à la maison envers les femmes, c’est déjà violent. Et ça l’est beaucoup plus que ce que vous semblez vous le figurer, puisqu’un regard, un ton de voix précis ou un coup porté à une femme ne pourront jamais être représentés.
Ce qui est choquant et scandaleux, c’est que vous préfériez fuir le vrai problème, c’est-à-dire le machisme de notre société, en n’en parlant pas, en ne l’exposant pas au public, plutôt que de le dénoncer ouvertement et d’essayer d’y remédier.
Mais ne dramatisons pas. Après tout, nous sommes dans le pays des droits de l’Homme. Un pays où tous les trois jours, une femme meurt sous les coups de son compagnon. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter.
Cécilia M., 20 ans, Toulouse
Illustration Thomas Matthieu