Après mon année sabbatique, je savais pourquoi j’étais à la fac
Comme tou.te.s les lycéen.ne.s, à l’aube de mes 17 ans, on m’a demandé de décider ce que je voulais faire de ma vie. Alors j’ai fait face, un peu anxieuse et dubitative, à la froideur de l’Admission Post-Bac [APB, ex Parcoursup], aux noms de fac et titres de licence mystérieux. Comment faire son choix quand on n’a aucune idée du type de métier que l’on souhaiterait faire, ni même de ce qui existe vraiment ? J’ignorais de quoi j’étais vraiment capable, je n’avais véritablement rien vu ou vécu. Je me suis sentie bloquée face à ce choix pour lequel je n’étais pas armée. J’ai décidé de ne pas choisir. Ou plutôt, de m’accorder le temps de me découvrir en prenant une année sabbatique.
Évidemment, quelques professeur.e.s et ami.e.s m’ont un peu mis le doute. On m’a répété que ça voulait dire « prendre du retard ». Pas moyen de dévier un peu des sentiers battus sans se faire rappeler à l’ordre. Mais mes parents me soutenaient et je sentais que c’était ce dont j’avais besoin. J’ai donc commencé à m’organiser.
Et puis le moment est arrivé. Mon père m’a laissée à la gare routière de Bercy. J’ai pris le bus de nuit pour Londres, en prenant le ferry pour traverser la Manche. Une fois à bord, je suis allée fumer une cigarette sur le pont en regardant la côte anglaise approcher. Une vraie scène de film ! Je n’ai quasiment pas dormi du trajet, je me sentais tellement vivante. J’étais lancée dans mon aventure et tous les choix à venir étaient désormais les miens. Quel délice, cette excitation, qui s’amplifie et éveille, que j’expérimentais pour la première fois véritablement ! Mais que de responsabilités aussi.
Je ne me suis jamais sentie aussi seule… et libre à la fois
Le lendemain m’a ramenée à l’autre dure réalité du voyage : il faut se débrouiller et improviser. Ce qui implique quelques frayeurs. Je me suis perdue, encore et encore, traînant partout avec moi mes bagages bien trop lourds et volumineux pour mon petit gabarit. Entre les papiers à signer, les déplacements dans une ville étrangère – et pas des plus simples –, tout gérer en anglais… C’était tellement d’informations d’un coup. J’ai versé quelques larmes de fatigue, de stress ou d’énervement durant cette journée sans fin, mais j’étais fière de l’avoir traversée toute seule malgré la montagne d’imprévus auxquels j’avais dû faire face.
Je n’étais qu’au début de mes peines mais j’ai très rapidement appris à valoriser les apprentissages que je tirais de chaque nouvel obstacle. J’ai compris que c’était tellement plus satisfaisant de réussir en se surpassant et en traversant ces épreuves. Je savais que je pouvais me débrouiller dans toute sorte de situations et ça m’a mise dans un cercle positif infiniment bénéfique pour moi.
Ma carte refusée pour un mascara à 4 livres sterling
J’ai découvert le monde de la restauration à 18 ans à peine, j’ai appris à gérer mes comptes et les galères financières. Comme le jour où, entre deux jobs, ma carte a été refusée pour un mascara à 4 livres sterling. J’ai ravalé ma fierté en partant sans rien dire à personne, toute honteuse. De savoir que j’étais passée par un stade zéro sur mon compte en banque, mais que j’avais quand même réussi à joindre les deux bouts, m’a apporté une réelle maturité, de l’autonomie et le sens des responsabilités.
18 ans veut dire liberté pour les uns mais précarité pour les autres. Pour passer son BTS, Nini vivait avec 500€ par mois, un autre vecteur de maturité.
Dans un sens, partir c’est tout recommencer, tout questionner, se réinventer. C’est découvrir la vie indépendante, apprendre à se faire à manger, gérer son budget, et aussi rencontrer de nouvelles personnes, prendre ses habitudes dans un quartier, trouver les petits endroits qu’on aime, avoir un nouveau quotidien. Ce paysage, cette ville et ce quartier de Finsbury Park qui me semblaient hostiles à mon arrivée se sont remplis de souvenirs, d’images et de vécus. Je les ai apprivoisés.
Mais, partir, ça permet aussi de se rapprocher. Ce temps à distance m’a fait prendre conscience de tout l’amour que j’avais pour mes proches. Ça a transformé ma relation avec mes parents. Ils m’avaient fait confiance, et je leur ai prouvé que je pouvais me débrouiller toute seule. J’étais adulte.
La fac ça devrait être un choix, pas une fatalité
J’ai passé l’autre partie de l’année à travailler pour mettre des sous de côté et voyager. Je me suis ensuite lancée dans une licence en Sciences politiques à Lille, que j’ai terminée en réalisant une année d’Erasmus à Londres. Cet échange n’aurait sans doute pas été possible sans ma première aventure londonienne et l’aisance en anglais qu’elle m’a apportée. Et puis j’ai bien vu que d’avoir pris le temps d’expérimenter des choses par moi-même m’avait énormément appris et que, contrairement à beaucoup de mes ami.e.s étudiant.e.s, je savais pourquoi j’étais à la fac. J’avais pris toutes les responsabilités de mon choix. Énormément de gens vont à la fac parce que ça semble être la continuité logique du lycée, mais ça devrait rester un choix. C’est une chance de pouvoir étudier mais, quand c’est abordé comme une fatalité, l’envie n’y est pas et la motivation souvent fragile.
Après une classe prépa, une licence d’éco, un master en marketing, et cinq emplois, Anna s’est rendu compte qu’elle n’avait jamais pris le temps de savoir ce qu’elle aimait vraiment. Depuis, elle s’est reconvertie et se sent enfin épanouie.
La chose la plus précieuse que j’ai apprise, et qui m’a toujours accompagnée depuis, c’est de sentir que j’ai en moi une force incroyable que je peux déployer pour réaliser mes projets les plus fous. On peut vous dire qu’une année sabbatique consacrée à voyager c’est perdre du temps, mais en quoi apprendre à se connaître et se faire confiance est une perte de temps ?
Lua, 22 ans, volontaire en service civique, Chatou
Crédit photo Unsplash // CC Luigi Manga
Dire que c’est une perte de temps, c’est très français… Il me semble qu’au Danemark c’est au contraire très habituel ! Les lycéens s’arrêtent avant les études, font le tour du monde, travaillent, etc. pour apprendre à connaître le monde et se connaitre eux-mêmes. Rien d’inhabituel. En fait, c’est surtout culturel !
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