Mon job dans le prêt-à-porter, ce n’est pas ce qu’on m’avait vendu
L’été dernier, j’ai décroché mon premier job. J’ai été embauchée comme vendeuse dans un magasin de prêt-à-porter pour femmes dans un centre commercial parisien. Au départ, ce devait être un CDD. Mais à la fin de ma période d’essai, ma responsable était si satisfaite de moi qu’elle m’a proposé de signer un CDI étudiant. J’étais heureuse, car d’une part j’aimais ce job. Et d’autre part, cela voulait dire que j’aurais un job étudiant à la rentrée, et pas seulement un contrat d’été. Je pourrais donc commencer à prendre mon indépendance financière vis-à-vis de mes parents. Cependant, les choses ne se sont pas tout à fait passées comme je l’imaginais. Mon expérience dans les coulisses des séances de shopping m’a profondément dégoutée de la vente.
Je pensais que vendeuse, c’était sourire
Avant de déposer mes CV, je pensais que le métier de vendeuse, ou plus précisément « d’hôtesse de vente », n’était pas bien compliqué : il suffisait de sourire, d’être aimable avec les clientes et de leur donner les tailles dont elles avaient besoin. Mais dès mes premiers jours, j’ai compris que ce n’était pas tout à fait ça… Ma première déconvenue a été de me rendre compte que toutes les clientes ne se comportent pas comme moi je le fais lors de mes propres séances de shopping. Par exemple, je dis toujours bonjour et au revoir aux vendeuses. Je ramasse et je replis les vêtements que je touche et que je fais tomber. Autant de règles de savoir-vivre que j’ai intériorisées, mais j’ai constaté que c’était loin d’être le cas pour tout le monde.
Je me souviens qu’un soir, un peu avant la fermeture du magasin, une cliente est entrée. Elle s’est dirigée vers la table que j’étais en train de ranger et s’est appliquée à déplier presque tous les modèles disposés. Lorsqu’elle s’est rendu compte que je la regardais faire, elle m’a simplement dit, sur un ton condescendant : « Ah mince, vous allez devoir tout recommencer. » C’est vrai quand on y pense, pourquoi se serait-elle embêtée à replier les vêtements, puisque de toute façon, c’est ce pourquoi j’étais payée ? La cliente est finalement partie sans rien acheter.
Pour les clientes, la vendeuse est à leur disposition
Partir sans rien acheter… Le deuxième fléau dont j’ai pris conscience. En effet, lorsqu’une cliente ressort sans avoir fait d’achat, l’un des indicateurs les plus importants du magasin (le taux de transformation) s’écroule. Nous, les vendeuses, sommes alors jugées incompétentes par la responsable. Car, si une cliente ressort sans rien acheter, cela veut dire que nous n’avons pas été capables de répondre à ses attentes et de lui « provoquer le coup de cœur ». Être jugées sur des chiffres est injuste. Les chiffres n’ont pas de contexte. Ils ne représentent pas la réalité. Le magasin est à l’entrée du centre commercial. Et beaucoup de personnes n’entrent que pour nous demander où est telle ou telle boutique, comme si nous étions l’accueil du centre.
D’autres clientes entrent par erreur dans le magasin de prêt-à-porter, en se croyant dans la boutique de lingerie de la marque. Et elles nous demandent alors d’un air interloqué : « Mais vous ne faites plus de lingerie ? » Il faut alors leur répondre avec un grand sourire et en restant agréable, tout en sachant qu’elles viennent de faire baisser le taux de transformation : « Bonjour madame, non la lingerie c’est 50 mètres plus loin, sur votre gauche, bonne journée. »
Car oui, être vendeuse, c’est être courtoise, polie, et garder son calme en toutes circonstances. Et ce, même lorsqu’en caisse, une cliente ne répond pas à mon : « Bonjour madame, tout s’est bien passé pour vous ? » Alors je tente de lui parler en anglais, croyant que son absence de réponse vient de la barrière de la langue. Mais celle-ci me répond avec dédain : « Je parle français. » Il faut alors prendre sur soi, lui faire le plus beau des sourires et lui souhaiter une excellente fin de journée.
Je ne m’attendais vraiment pas à recevoir autant de mépris de la part des clientes. Pour elles, puisque je travaillais dans le magasin, cela voulait dire que j’étais à leur disposition. Heureusement, ce n’était pas le cas de toutes les clientes. Et en dépit de ces quelques mésaventures, je continuais d’aimer mon job. J’aimais conseiller les clientes, les écouter et répondre à leurs attentes.
Il fallait que je fasse « encore plus vite »
Pendant les soldes, tout est devenu plus compliqué. Du fait des clientes toujours plus irrespectueuses, mais aussi de mes conditions de travail et des attentes de ma responsable de plus en plus élevées et inatteignables. J’ai d’abord dû augmenter mon nombre d’heures dans le magasin. Je suis passée de 24 heures par semaine à 34. Plus les semaines passaient, plus j’étais épuisée. Je suis dynamique et sportive, mais je n’en pouvais plus. Ma responsable ne cessait de me répéter que je devais « faire plus vite ! »
Lorsque j’étais en surface – c’est-à-dire dans le magasin, en rayon – je passais mes journées à ramasser les vêtements au sol, « vite ». À les plier ou les accrocher à leurs cintres « encore plus vite ». Je faisais la ventile « au pas de course » : je récupérais les vêtements laissés en cabine par les clientes et je les remettais en rayon. Il fallait porter une dizaine de cintres métalliques dans le creux de la main, entre le pouce et l’index. C’est lourd et ça fait mal.
Et quand en plus de cela, il fallait que je fasse « encore plus vite » la navette entre la caisse et la réserve pour apporter « rapidement » les commandes internet des clientes, et faire la navette entre les rayons et les cabines pour « vite » apporter des tailles supplémentaires aux clientes, je ne pouvais plus suivre la cadence. J’étais épuisée physiquement et moralement. Le métier que j’avais fait pendant un mois avant les soldes s’était complètement transformé. Je n’avais plus d’échanges avec les clientes. Même en cabine, ce n’était plus la même chose. Avant, j’aimais prendre le temps de conseiller, de proposer d’autres articles pour compléter les tenues, etc. J’étais désormais devenue une machine.
Démission = libération !
Un matin, dans le métro, j’ai fondu en larmes. La veille, j’avais fait la fermeture du magasin. J’étais rentrée chez moi à 22h. Il était 6h30 et j’étais déjà en chemin pour y retourner. Je devais faire l’ouverture, et je savais que je n’en aurais pas la force. L’ouverture, c’est la tâche la plus physique qu’une vendeuse puisse faire. Il faut ouvrir les cartons de vêtements reçus – généralement une trentaine.
Sortir les articles, les cintrer et les mettre en rayon ou en réserve. Et si la tâche n’est pas finie avant l’ouverture, il faut porter les (lourds) cartons de vêtements qu’il reste et les empiler en cabine d’essayage. Arrivée au magasin, j’ai vu la montagne de cartons et j’ai eu les larmes aux yeux. Je savais qu’encore une fois ma responsable me dirait d’accélérer la cadence. Et je savais que je ne pourrais pas, car je faisais déjà plus que mon maximum. J’ai donc donné ma lettre de démission.
Pour réussir dans la mode, Anaïs a bossé en temps partiel comme vendeuse dans la capitale. Mais trouver un logement à Paris avec 900 euros par mois… c’est pari impossible : « Mon premier job à Paris, à mi-temps et sans logement… »
Je me suis aussitôt sentie libérée. Un mois plus tard, je quitterais ce magasin, ses clientes et sa responsable. Et même si ce faisant, je venais de renoncer à une source de revenus pendant mes études, ce n’était pas grave. Ce métier n’était pas fait pour moi. J’ai choisi de faire passer mon bien-être avant l’argent.
Léa, 20 ans, étudiante, Paris
Crédit photo Unsplash // CC Becca McHaffie
Bonjour,
Ce qu’il faut surtout dénoncer, c’est la sur exploitation d’une étudiante par une responsable.
Il ne faut pas faire plus d’heures que ce que prévoit le contrat CDI étudiant.
Passer de 24h a 34h de soi même était une erreur.
C’est au gérant de prévoir le nombre de personnes par rapport a la charge.
PS : et on s’aperçoit que les femmes sont aussi des louves pour les femmes (a l’heure du man shaming permanent…).
Bonjour à toi,
Tu as été très courageuse de tenir autant de temps. Je pense que je n’aurais pas eu ta persévérance. J’espère que tu trouveras un boulot étudiant qui te plaira et te permettra de t’épanouir en dehors des études. Bonne continuation.