Sorti de ma campagne, pas de l’alcool
Tu quittes ta campagne, où boire est une distraction majeure et où les morts dues à l’alcool au volant sont courantes, pour aller dans une grande ville. Pour moins t’ennuyer, tu reproduis le même schéma dans cette ville, une fois que tu as le permis. Quel comble.
Tu ne supportes pas l’idée de perdre des proches à cause de ça, la conduite en état d’ivresse. Mais arrivé dans une plus grande ville, pour évacuer et oublier ta souffrance, tu continues et reproduis le même schéma. Quel cercle vicieux.
Nantes, ta ligne de tram remplace les routes de campagne où la mort est à chaque virage. Tes musées remplacent les champs ; ton éléphant géant, les vaches. Tu foisonnes de distractions, mais pourtant l’ennui est toujours là. Et comme l’ennui est déjà associé à l’alcool, c’est trop tard. L’ennui coule dans mes veines tout comme la solution hydroalcoolique, qui sert à le tuer.
Nantes, ville de culture, culture de la biture
Et Nantes, tu pourras toujours me tenter avec tes paradis artificiels, tes distractions et tes sorties, mais sous tes airs de grande ville pleine de vie, impossible d’oublier l’ennui ou la mort de mes proches. À part les quelques instants où je choisis d’oublier, et de m’oublier moi aussi au passage, en m’hydratant du liquide s’approchant des 40 degrés qui les a tués. Ironique non ? Vais-je moi aussi mourir un verre de whisky à la main et le volant dans l’autre, causant la peine autour de moi ? On dirait bien qu’en plus de l’ennui et l’alcool, je suis victime d’un cercle vicieux.
Charlie Danger, réalisatrice de l’émission culturelle Les Revues du Monde, brise le tabou de l’alcoolisme avec un thread qui déconstruit notre vision de cette dépendance.
Petit thread sur l'alcoolisme. Oui oui.
On va pas parler d'Histoire ni rien, je voulais juste partager un mot sur le sujet, et sur pourquoi il est dangereux que ce mot soit tellement tabou. pic.twitter.com/gYJeAHgP58
— Charlie Danger (@revuesdumonde) February 3, 2020
Nantes, ville d’art et de culture. Tu y es à ta place… si ta culture est de te bourrer la gueule. Libre sous alcool. Libre de rouler comme tu le veux. Mais sans jamais oublier de mettre ta ceinture. Mourir n’est pas ton but. Pourtant tu ne roules jamais sans un gramme dans le sang. Comme poser une bombe dans un bocal sans oublier de mettre le couvercle.
Tu as vite fait le tour. Marre d’esquiver les poteaux sur la ligne de tram et de faire des drifts sur les ronds-points. Jolis terrains de jeux en pleine nuit pour des coups de frein à main, c’est vrai. Mais désolé, peu importe la taille de la ville, tu veux toujours plus de sensations en voiture, toujours plus de biture. Peu importe l’endroit où tu te trouves, l’ennui te suivra toujours.
Fini la campagne, tu veux voir la mer
Tu décides d’aller respirer l’air de la côte, à quelques kilomètres. Tu bois ton flash de whisky et fumes des clopes dans ta voiture en écoutant « Au DD » de PNL en boucle. Tu te sens seul.
Tu mets alors la ville de Pornic dans ton GPS en sachant que tu y trouveras la plage. Les routes te rappellent celles de ta campagne. Les roues effleurent les fossés, et la mort te guette alors que tu es sur ton téléphone pour mettre la musique. « Au DD » de PNL, encore une fois. Fini les routes de campagnes, tu roules sur le pont lumineux de Saint-Nazaire. Tu trouves ça magnifique.
Tu contemples la vue en continuant de boire et fumer au volant. Tu arrives enfin à Pornic, en vie, quel miracle. Tu te gares au bord d’une plage en espérant trouver la mer mais tu n’y trouves que de la boue et des grues. Tu perds espoir.
Au Casino de Pornic, on t’indique le chemin de la vraie mer. Tu ne trouves pas, tu pètes les plombs. Puis tu décides de taper le nom d’une autre mer dans ton GPS, celle de Pornichet.
Sous alcool, tout est possible
Un pied sur l’embrayage, un autre sur l’accélérateur. Une main pour le flash de whisky, une main pour sa clope, une main pour le volant, une main sur le pommeau de vitesse, une main pour gérer la musique. Non, tu n’es pas une victime de Tchernobyl. Sous alcool, tout est possible. Tu crois aussi que la route est plus grande qu’elle ne l’est.
Ça y est, tu as enfin ce que tu voulais, l’air de la mer. Tu n’as plus d’essence dans ta voiture mais tu as enfin trouvé la mer de Pornichet, comme si tu avais prévu que ça serait un aller sans retour. Tu mets tes écouteurs, tu cours dans le sable, tu mets les pieds dans l’eau, tu bois, tu fumes, tu cries. Tu lâches tout. Mais il t’en faut toujours plus, tu remontes dans ta voiture et tu décides de longer la côte de Pornichet, tu veux trouver une meilleure vue. Mais la seule vue que tu verras par la suite sera celle d’une cellule.
Ils te sauvent en te donnant une leçon de vie : dix heures à réfléchir dans une cellule qui pue la pisse. Ton purgatoire. Ils te prennent ton permis, comme un prof confisquant ses ciseaux à un enfant parce que c’est trop dangereux de courir avec. Tu te dis que ça va être dur de redevenir un piéton, mais c’était nécessaire.
Retrait de permis mais permis de vivre
Tu sors enfin, tu es à la Baule. Pour une dernière virée, tu en auras profité. Nantes, Pornic, Pornichet, commissariat de La Baule, ta voiture dans un garage à Guérande et un rendez-vous au tribunal de Saint-Nazaire. Toi qui voulais changer de ta campagne, là, tu es servi. Mais désormais tu te déplaceras en train.
Léo vit à la campagne. À défaut de boire pour tromper l’ennui, il a choisi l’ordinateur et les jeux vidéos : « À la campagne, sans ordi j’étais fini »
Une amie fait Nantes-La Baule pour venir te chercher. Tu lui expliques tout et tu te remets en question dans sa voiture sur le chemin du retour. En rentrant chez toi, tu n’as qu’une seule envie, aller dans ton frigo pour vider tes bouteilles. Tu as envie d’en prendre une, de mettre ce mauvais souvenir à l’intérieur et de la jeter à la mer afin qu’elle ne revienne jamais. Mais tout ce que la mer prend, la mer redonne.
De cette bouteille ressort une leçon et tu remercies la vie d’être encore sur Terre. Ton moment n’était pas venu, car tu ne voulais pas mourir. Juste vivre. Tu avais toujours ta ceinture, tu ne voulais pas mourir. Mais là tu n’auras plus les grammes associés avec.
Alexis, 22 ans, volontaire en service civique, Nantes
Crédit photo Unsplash // CC thom masat
Au moins de tout cela tu as pu en tiré une amie qui a su t’écouter et te réconforté.