Manon A. 17/03/2017

22 semaines et 4 jours, quand j’ai appris que j’étais enceinte

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J'avais 19 ans quand j'ai appris que j'étais enceinte de cinq mois. La surprise. Le choc. Et une solution à trouver… Trop tard pour avorter en France. Direction l’Espagne où un 9 janvier, je me suis réveillée sans « ma » fille.

« Je suis désolée mademoiselle, à 22 semaines vous ne pouvez pas avorter, c’est bien trop tard… »

Et le silence a pris place. Pas un mot, pas un regard, pas une réaction. Nous étions trois dans cette salle, mais à ce moment-là j’étais seule. Je ne sais pas combien de temps a duré ce « flottement ». Comment une telle situation pouvait me tomber dessus du jour au lendemain? Je n’avais pas pris un gramme en cinq mois, j’avais eu mes règles normalement et je n’avais ressenti aucun autre symptôme de grossesse.

Trop tard pour avorter en France

« Manon ? » « Manon ? » « MANON ??? » C’est à cet instant que la peur repris le dessus.

Oui maman. Je ne te réponds pas, je ne te regarde pas, mais je t’entends. Je sais que tu es là et que tu as entendu la même chose que moi. 
C’est peut-être ce que j’aurais dû lui répondre, mais je n’en ai pas été capable. Je me suis contentée de relever la tête, de la regarder dans les yeux et d’éclater en sanglots.

Elle ne s’attendait pas à une telle nouvelle. Elle qui avait imaginé, comme moi, une vie où je ferais les choses dans l’ordre, voilà qu’à 19 ans, je me retrouvais à quatre mois d’un accouchement et d’un changement de vie radical.

Je me souviens qu’à ce moment-là, je ne pensais même plus à la tournure que ma vie prendrait, j’avais simplement honte de faire subir une telle nouvelle à ma mère. Elle qui s’était donnée tant de mal pour moi depuis toutes ces années, quel déchirement de lui renvoyer l’ascenseur de cette manière.

« Ca va aller ma chérie, tu sais que je suis là, on va trouver une solution, tu n’es pas seule. En France il est trop tard pour avorter, mais je vais me renseigner à l’étranger, ce n’est peut-être pas la même règlementation. »

Le retour fût long, je n’ai pas décroché un mot. Si l’étape « maman » était passée, il restait l’étape du second principal concerné : Jonathan.

L’annoncer au père, et à mon père

Après une courte nuit, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis allée jusqu’à son appartement pour en discuter avec lui.

« C’est bon, tu as avorté ? » Voilà les premiers mots qui sont sortis de sa bouche avant même que je passe la porte.
 Je lui ai longuement expliqué la situation, je lui ai dit que le dernier espoir était du côté des recherches de ma mère, mais que je n’avais pas encore de nouvelles.
 J’ai tout de suite reconnu son regard, celui qu’il avait quand il ne savait pas comment se sortir d’une situation gênante ou qu’il avait peur. 
J’ai compris la situation, aucun argument n’aurait changé son état d’esprit : « courage fuyons ».
 J’ai repris la voiture, plus abattue que jamais, pour rentrer chez moi.

C’est en rentrant et en voyant le sourire de ma mère que j’ai compris que tout espoir n’était pas perdu. Elle m’a expliqué qu’elle avait trouvé une clinique privée à Barcelone. La réglementation en Espagne est différente : il est possible de faire une interruption volontaire de grossesse jusqu’à 24 semaines. 
Quel soulagement ! Pour la première fois depuis deux jours j’ai décroché un sourire à ma mère.
 Joie qui n’a duré qu’un court instant : « La moins bonne nouvelle Manon, c’est que cette intervention coûte 2500 euros et que la seule personne à pouvoir sortir une telle somme, c’est ton père. Il va falloir lui en parler. »

Il va m’engueuler, me détester

Boum ! Un troisième coup derrière la tête.
 Il va m’engueuler, me détester, avoir honte, ne plus vouloir entendre parler de moi après cette opération. Pire, il ne voudra peut-être pas me la payer !
 Je ne savais plus quoi penser, mais une chose était sûre : il fallait que je lui annonce et il ne fallait pas attendre.

À ma grande surprise, il n’a pas réagi de la façon que j’imaginais, bien au contraire. Il est impressionnant, parfois méchant, mais dès qu’il s’agit du bien d’un de ses trois enfants, il n’est plus le même et j’aurais dû m’en douter.
 Le rendez-vous était pris pour la semaine suivante, les 2500 euros retirés, il n’y avait plus qu’à attendre le jour J.

J’ai entendu son coeur battre

Jour J. Je voyais la fin de tout ce calvaire arriver à grands pas, dans quelques heures ce cauchemar prendrait fin.
J’ai fait la dernière échographie qui a surement était la plus difficile, puisque c’est seulement à cet instant que j’ai entendu son coeur battre et que je n’ai pas pu m’empêcher de regarder la photo que le médecin avait imprimée et collée dans son dossier médical rempli de toutes les informations : c’était une fille.

J’avais entendu parler du déroulement d’une IVG en France : on vous endort et deux heures plus tard vous vous réveillez comme si rien ne s’était jamais passé.

J’étais pressée que ces deux heures se terminent. Quelle désillusion en apprenant comment les choses allaient se dérouler…
 « Excusez-moi pour mon mauvais français Mademoiselle mais je vais essayer de vous expliquer comment cette intervention va se passer. »

Me réveiller sans « ma fille »

Si j’avais bien compris, j’allais passer entre six et huit heures seule dans une salle stérile dans laquelle ils allaient me donner, sous perfusion, un mélange médicamenteux. Cette perfusion provoquerait des contractions et la dilatation du col de l’utérus qui ne sera ouvert entre huit et dix centimètres qu’après six à huit heures « de travail ». Et c’est seulement à ce moment-là qu’il sera possible de procéder à « l’aspiration ».

Ce n’est qu’après quelques minutes que je me suis rendue compte que ce qu’elle décrivait était le processus d’un accouchement lambda.

Oui, ne pas avoir d’enfant à 19 ans, c’est ce que je voulais et je me doutais bien des répercutions psychologiques que cette journée allait avoir sur moi. J’allais vivre le processus d’un accouchement et me réveiller « sans ma fille » et c’est exactement ce qu’il s’est passé.

Je n’avais pas l’impression d’avorter, mais plutôt le sentiment de tuer

Les semaines qui ont suivi ont été très difficiles pour moi. Je n’avais plus le goût de grand-chose. Je n’avais pas l’impression d’avorter, mais plutôt le sentiment de tuer. C’était petit mais « ça » avait un coeur que j’avais moi-même pu entendre battre. Ce battement a été le souvenir le plus compliqué à effacer.

A 18 ans seulement, Alyson apprenait qu’elle était enceinte. Elle ne voulait pas avorter et a décidé de le garder. Ça l’a métamorphosée !

Voilà maintenant deux ans que tout ceci est derrière moi. Je ne vais pas vous mentir et vous dire que je n’y pense plus, mais cette journée m’a rendue plus forte pour face à certaines péripéties de la vie. Chaque 9 janvier sera différent pour moi, riche en émotions et mauvais souvenirs, mais la vie continue.

On m’a conseillé à plusieurs reprises de mettre sur papier ce que j’avais sur le cœur si en parler de vive voix était trop difficile pour moi et c’est ce que j’ose enfin faire.

Je n’ai jamais vraiment parlé ouvertement de cette étape de ma vie avec qui que ce soit. Par honte ? Par peur du jugement ? Peur du souvenir ? Je ne sais pas vraiment, mais le résultat est le même, silence radio…

Pour ce qui est du futur, j’espère devenir maman, au bon moment. Il paraît que c’est le plus beau cadeau du monde…

 

Manon, 21 ans, volontaire en service civique, Toulouse

Crédit photo Flickr, CC Samy Soussi

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6 réactions

  1. Merci pour ton témoignage je suis enceinte de 22 semaine actuellement mais pense qu’il est trop tard pour un avortement mais ton témoignage a su me réconforté et me redonne espoir

  2. Il faut que tu en parles avec un médecin, il saura te dire. Sinon il te proposera des options alternatives. Courage, il y a des solutions quoi qu’il arrive.

  3. Je suis enceinte et j’ai peur qu’il soit trop tard pour une IVG sauf que je ne peu pas vivre avec ce bebe.

  4. Je tiens à dire que vous êtes forte!!! Est ce que vous connaissez le prix de l’IVG???

  5. J’ai vécu une chose semblable, mais sans famille, sans argent. Je suis tellement heureuse que ça se soit déroulé autrement pour cette jeune femme. C’était il y a 9 ans, j’avais 20 ans, le papa a fait ce que j’aurai aimé faire, partir et faire comme si de rien n’était.
    J’avais choisi l’accouchement sous X, je voulais que cet enfant ait une famille qui l’ait attendu, et qui l’aimerait, je me suis efforcé de ne pas m’attacher, me confronter à cet être que je portais. Une​ nuit à 3 jour de ma 20eme SA j’ai perdu ce bébé. Ce soir là, dans le camion de pompier, j’ai pris conscience que j’aimais ce bébé, mon bébé, celui que j’avais eu avec un homme que j’aimais et qui m’avait aimé. Je voulais ce bébé, ne sachant pas le sexe, j’avais gardé le prénom Sacha en tête et je sentais cet amoiyse développer en moi. Arrivée à la maternité, son cœur ne battait plus. Mon corps expulsait le bébé. C’était une petite fille. Je n’ai pas voulu la reconnaître, c’était trop à supporter pour moi, je n’ai pas pu me confronter à ça d’avantage.
    À mes 26 ans, je suis retombé enceinte sous pilule. Je l’ai su au bout de 15 jours. J’ai dû me replonger dans cette grossesse douloureuse de mes 20 ans, les antécédents médicaux étant importants. J’ai fais une phlébite, suite à quoi on m’a découvert une mutation génétique, qui provoque des caillots de sang et souvent des fausses couches, parfois tardive.
    Voilà ce qui m’était arrivé à 20 ans, un caillot aurait bloqué l’arrivée de sang dans le placenta.
    Cette seconde grossesse à été complexe sur le plan médical, mais un traitement simple existe.
    J’ai un petit garçon, qui a aujourd’hui 3 ans. Son papa m’a quitté, la grossesse et les évènements qui se sont passé à cette période a eu raison de notre couple. Mais je suis heureuse, mon fils voit son père quand ils le veulent.
    Ce n’est pas toujours simple, mais j’ai compris il y a 9 ans le sens de la phrase « ce qui ne nous tu pas, nous rend plus fort ». Chaque épreuve traversé nous permet d’apprendre de la vie, de nous connaître, nous comprendre et d’accepter ce qui peut être vu comme un échec mais surtout un traumatisme.
    Je voulais simplement dire à toutes les femmes qui y seront confronté de ne surtout pas s’en vouloir. Certains vous diront que porter et donner la vie est un privilège, une chose merveilleuse. Mais ça peut être aussi un traumatisme, un moment douloureux, car pas choisi, ni désiré. Mais le corps est une machine complexe, et la science et la médecine sont faillible, bien plus qu’on n’accepte de l’admettre.
    Vous n’êtes pas seule à avoir traversé ce genre de situation qui bouleverse une vie. Vous trouverez toujours du soutien, auprès du corps médical spécialisé si vous n’avez pas la possibilité de vous adresser à vos proches. Et vous avez aussi toutes ces femmes qui ont subi la même chose, la même souffrance, dans ce corps qui est le nôtre mais que l’on ne dirige, ni ne commande. Cela m’a conforté après 9 ans, de ne plus me sentir seule, avec ce deuil, cette sensation que l’on a du mal à nous même comprendre, même avec le recul.

  6. merci pour ton témoignage. Je suis actuellement a Madrid pour un avortement de 22 semaines. et avoir ton ressenti me réconforte .

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