Arrête de vivre à travers le regard des hommes !
Emilie et moi sommes polyamoureuses, c’est-à-dire que nous nous autorisons à voir plusieurs personnes en même temps. Je suis sortie avec elle pendant quelques mois. J’étais amoureuse d’elle. Emilie avait déjà été en couple avec un jeune homme pendant un an ; ils avaient vécu ensemble. Sentimentalement et sexuellement, Emilie avait l’impression d’avoir de l’expérience.
Peu à peu, elle s’est rendu compte qu’elle n’en avait absolument pas. En tout cas, c’était la première fois qu’elle était avec une fille. Comme beaucoup de femmes, elle avait envie de cette « expérience », sans pouvoir se détacher du regard des hommes.
En même temps que nous nous voyions, elle entretenait une relation avec un homme qui avait huit ans de plus qu’elle. J’ai mis du temps à lui faire comprendre que cet homme était un agresseur. Elle était si fière d’attirer l’attention d’un homme comme lui qui avait tant d’influence dans les milieux qu’ils fréquentaient ensemble. Quand elle me parlait de lui, j’avais envie de vomir.
Voici une de ces après-midi où elle m’a parlé de lui…
Elle avait peur de dire à cet homme d’arrêter de la toucher
Je suis allongée avec Emilie, dans sa chambre. Nous nous embrassons. Je soulève son pull et puis son tee-shirt. Je dépose de petits baisers sur son ventre. Je m’emporte, je l’embrasse encore et encore. Je m’arrête soudain et je lui demande :
« Ca te plaît ?
– Mmmh ça ne me dérange pas. »
Je m’arrête immédiatement. Je m’allonge près d’elle et je l’enlace. Je ne dis rien. Je réfléchis à un moyen de la faire parler. Elle s’en veut. Elle s’en veut toujours pour tout. J’essaie de la rassurer le plus que je peux. Finalement, elle se confie.
Elle me parle de cet homme avec qui elle a fait des choses, mais sans vouloir les faire. Sur le coup, elle n’avait pas dit non mais en y repensant, elle se sentait sale.
Elle sentait que son corps ne lui avait plus appartenu pendant quelques temps. Emilie ne se masturbe plus. Elle n’en a plus envie. Je reste là, atterrée. Elle me dit que c’est de sa faute. Si le sexe hétérosexuel ne lui plaisait pas, alors qu’est ce qui pourrait lui plaire ?
Elle me dit que c’est elle qui a un problème. Des larmes coulent sur mes joues. Elle me dit qu’elle a peur de dire à cet homme d’arrêter de la toucher, parce qu’elle a peur qu’il ne veuille plus la fréquenter.
Avec Emilie, nous ne coucherons pas ensemble
Je m’énerve pour de bon. Je lui dis que s’il ne peut pas accepter un refus, alors c’est qu’il est très con et qu’il n’en vaut pas la peine. Je m’agace. Je parle fort et elle croit que je l’engueule. Elle me dit qu’il est inutile d’en parler. Je lui explique que je pense le contraire, que c’est très bénéfique de parler pour comprendre ce qui se passe.
Le garçon lui envoie des messages qui l’agacent. Il ne se comporte pas bien avec elle. Emilie me dit qu’elle l’adore malgré tout et qu’elle veut continuer à le voir. Elle voudrait simplement qu’il arrête de la toucher.
Nous ne coucherons pas ensemble. Tant qu’elle n’en aura pas pleinement envie, nous ne le ferons pas. C’est normal. Il est violent de vouloir forcer les choses. Le temps passera et nous verrons bien. Pour l’instant, elle n’est pas tout à fait à l’aise avec son corps. Elle n’a pas eu de sexualité épanouie. Elle a fait des choses « parce qu’il fallait le faire », « parce qu’il était gentil », et qu’elle « sentait qu’il fallait qu’elle fasse quelque chose en retour ».
Je suis triste en y pensant. Mais cela me permet de comprendre beaucoup de choses.
Son corps n’est pas érotique. Elle ne sait pas enlacer sensuellement. Elle ne sait pas caresser sensuellement.
Elle me dit « je ne sais pas ce que je dois faire ». Je lui réponds qu’il faut surtout réfléchir à ce qu’elle a envie de faire.
Les hommes ? Une érection à la simple vue de ses fesses
Je l’embrasse et je lui dis que je l’aime. Elle s’interroge et me demande comment je peux lui dire cela alors qu’elle se plaint de ses déboires avec moi. Je pense que c’est une raison supplémentaire pour l’aimer et pour ne pas la laisser dans un coin. Je lui dis qu’elle n’a pas à culpabiliser, que rien n’est de sa faute. Si cet homme ne comprend pas « non » et qu’il continue encore et encore, alors c’est lui qui a un problème.
Je lui dis qu’il y a plein de gens qui vivent la même chose, qu’on apprend aux femmes à satisfaire, mais pas beaucoup à être satisfaites.
Elle m’embrasse. Je cache les quelques larmes qui coulent de mes yeux.
Je pensais vraiment qu’elle était réservée sexuellement parce qu’elle ne savait pas, parce qu’elle avait peur. Mais, c’est bien plus que cela. Elle n’a jamais vraiment séduit volontairement avec son corps. Elle n’y a même jamais vraiment réfléchi. Les deux hommes qu’elle a fréquentés avaient des érections à la simple vue de ses fesses, et voilà.
Le corps des hommes la dégoûte.
Elle vit mal de ne pas avoir envie de sexe hétérosexuel. J’essaie de lui expliquer qu’il y a plein d’autres choses à découvrir, que c’est loin d’être un drame.
Elle aurait aimé se convaincre, encore longtemps, qu’elle était hétérosexuelle. Je prends son corps nu, dans mes bras et je lui dis, en riant : « La douche qu’on vient de prendre était la douche la plus lesbienne de tous les temps. » Elle rit très fort.
Bonne baise contre « trucs de connards »
Nous nous sommes éloigné doucement. Emilie a accusé la weed. Elle n’avait pas confiance en elle et il semble que la seule chose qui lui donnait confiance, c’était le regard des hommes.
Voilà comment on éduque les filles, on leur apprend à se sentir valorisée dans le regard de ceux qui leur font du mal.
Je suis contente car j’ai réussi à lui faire comprendre qu’elle avait été victime de graves abus et que ce n’était pas de sa faute. Après ça, elle a commencé à se rapprocher d’un autre homme avec qui « elle baisait trop bien » même si parfois il disait des « trucs de connard ». J’ai compris qu’il lui faudrait du temps pour arrêter de vivre à travers le regard des hommes.
Notre relation à nous deux n’avançait pas. Je l’avais aidée et maintenant, elle ne voulait me parler que de ses problèmes. J’en ai eu marre. Nous n’allions pas vraiment ensemble, mais le destin a quand même bien fait de faire se croiser nos routes.
Emmanuelle, 21 ans, étudiante, Paris
Crédit photo Flickr CC Jean Koulev