Dans les cités, ces jeunes filles déjà mères
Comme souvent le week-end, je vais rendre visite à mes parents qui habitent ce que l’on appelle une « cité sensible », dans le sud de Marseille. J’ai grandi là aussi. Seulement, dès que j’ai pu être assez autonome pour la quitter, j’ai pris mes jambes à mon cou, et je suis partie à quelques kilomètres de là, dans le centre-ville.
Précocement mères
Quelque deux mille personnes y vivent. Tout le monde connaît tout le monde. Nous sommes tous allés à l’école implantée au coeur même de la cité, au milieu des « blocs » ; une vie ponctuée par les assiettes de couscous qui circulent d’un immeuble à un autre et les rues qui se désertifient lorsque les camions de CRS débarquaient.
Pourtant, ce qui me chagrine, c’est qu’un drôle de phénomène y prend de l’ampleur. Une grande partie de ces filles avec qui j’ai grandi, avec qui j’ai joué, qui ont passé des après-midi et des soirées dans ce petit appartement familial dans lequel tout le monde était reçu, sont aujourd’hui enceintes, voire déjà mères. Bien loin du scénario du « Pacte de Grossesse », ce phénomène reflète en fait une tout autre réalité.
Ce ne sont pas des cas isolés ou minimes, auquel cas je ne serais pas là à jaser, non. Il me semble que cela augure quelque chose de bien plus inquiétant et qui est selon moi de l’ordre de l’engagement de l’Etat dans les quartiers et pour la jeunesse. Effectivement, et malheureusement, ces jeunes filles précocement mères sont légion dans une grande partie des cités marseillaises – ces cités prises entre deal et prostitution quasi légale – et tout cela m’interroge.
Pas d’autres voies d’entrée dans la vie d’adulte ?
Est-ce normal que ces jeunes femmes, ou plutôt ces jeunes filles pour la plupart, ne voient leur avenir qu’à travers leur statut de mère et n’aient pour autre objectif que d’enfanter et élever leurs petits ? Que la seule sécurité qu’elles trouvent, que leur seule voie de réalisation, ce soit la construction d’une cellule familiale, par ailleurs elle-même complètement bancale ?
Je suis profondément triste, car les filles de mon quartier ont été à un moment mes amies. Certes, aujourd’hui, on ne se comprend plus, elles ont arrêté l’école au plus tard en classe de troisième, mais j’ai une profonde empathie pour elles ; et les voir en groupe avec leurs poussettes dans les escaliers en bas de chez moi me rend malade. J’avoue que j’espérais vraiment une autre adolescence pour elles, et une autre voie d’entrée dans la vie adulte. J’espérais un autre avenir, que nous fréquentions les mêmes bancs à l’université et que nous fassions notre chemin de vie plus ou moins en parallèle, comme le font tous les autres amis d’enfance qui fêtent leurs diplômes en même temps, leurs crémaillères en même temps, qui se présentent petit à petit leur conjoints et pourquoi pas un jour recevoir ou envoyer un faire-part de naissance.
À qui la faute ?
Aujourd’hui, je ne peux simplement pas accepter que ces femmes ne conçoivent leur émancipation qu’à travers la maternité et à travers leur statut de mère ou d’épouse, quand bien même la plupart d’entre elles n’ont même pas la sécurité juridique entérinée par le mariage, le père étant bien souvent incarcéré ou ayant déserté la vie de ces jeunes âmes.
L’échec de l’intégration des quartiers populaires, mais aussi et surtout l’absence d’aide concrète aux enfants en échec scolaire, voilà la réalité. Je ne vois que la défaillance de l’Etat à protéger et à éduquer ses enfants ; les éduquer à avoir des ambitions, à avoir des projets, et à être libres et à comprendre ô combien l’école est émancipatrice. À plus forte raison quand on est femme et femme de quartiers. Mais si l’on n’inculque pas cela aux enfants dès leur plus jeune âge, comment se projeter dans l’avenir ? Pour conclure, une petite anecdote : lorsque j’étais en CM2, notre école avait organisé une sortie. La seule de l’année. Nous nous attendions à quelque chose de bien sympathique, on nous a emmenés visiter un lycée professionnel comme pour nous faire comprendre « oui, vous les enfants de quartiers populaires, voilà ce qui vous attend au mieux ». Est-ce normal ?
Sophia, 21 ans, animatrice du blog la petite robe rouge, Marseille
Crédit photo Mahalie Stackpole Flickr CC