Sorti de la rue, mon père est mon modèle
Petit, je comprenais pas pourquoi mon père dormait dans un garage. Maintenant que je suis adulte, il m’a tout raconté.
En 2012, mon père a perdu son travail et il s’est retrouvé à la rue sans argent et sans toit. Il était divorcé depuis quelques années de ma mère, mais ils avaient gardé un bon contact. Alors elle a décidé de l’aider et de l’héberger dans notre garage au Blanc-Mesnil pendant un an. À 8 ans, je ne comprenais pas ce qu’il se passait. Pourquoi il était avec « nous », alors qu’avant il habitait loin. Enfin pas vraiment avec nous, mais à côté.
C’était une période difficile dans ma vie : voir son père ramasser des mégots pour les fumer, je le souhaite à personne.
Un an plus tard, ma mère s’est fait opérer et est restée deux ou trois mois a l’hôpital. Je suis resté avec ma tante, qui est venue vivre avec moi pendant cette période. Je pouvais pas voir ma mère souvent. Elle était dans une partie de l’hôpital accessible à partir de 16 ans. Mais les médecins fermaient l’œil, je pense qu’ils comprenaient un peu le décor. Ma mère est enfin sortie, mais pendant quelques semaines, elle n’a pas pu travailler. Le temps de se remettre de son opération. Elle devait limiter un maximum ses déplacements.
Je voyais ma mère fatiguée. Je n’avais que 9 ans et je me débrouillais presque seul. Je me faisais à manger seul, faisais mes devoirs seul, rangeais la maison, faisais toutes les tâches ménagères, devais sortir le chien le matin et le soir. J’ai souffert de cette situation. Ça me rendait triste. Mais j’ai appris à être autonome, et ça m’aide aujourd’hui pour beaucoup de choses.
Deux mois après son retour à la maison, ma mère a repris le travail et moi, j’ai rattrapé le temps perdu avec elle. J’étais toujours un peu perturbé par la situation de mon père, mais je ne pouvais rien y faire. Quand j’ai vu qu’elle allait de nouveau au travail, ça m’a fait du bien. Je me sentais mieux. Elle pouvait reprendre son rôle de « mère ». Je rentrais de l’école avec le sourire, j’étais content de voir que ma mère pouvait s’occuper de moi.
Après toutes ces galères, il a remonté la pente
Mon père, lui, cherchait toujours du travail. Il avait énormément de qualifications en électricité. Il a réussi à avoir un entretien pour un poste de gardien dans une maison d’enfants à Neuilly-sur-Seine. Il y avait trois autres personnes. Il n’a pas eu le poste. Quelques jours après, la fondation l’a rappelé pour lui demander de revenir, car une place s’était libérée. Il a donc obtenu un travail à l’autre bout de Paris. Il a trouvé un petit studio à Asnières-sur-Seine, dans une cité. J’ai enfin pu aller chez lui en week-end. Il a remboursé toutes ses dettes et a enfin pu commencer à vivre tranquillement sous un toit, au chaud, avec un frigo plein. Une vie normale et tranquille. Le temps passait, je grandissais.
Ancien SDF, Christian Page est l’auteur du livre « Belleville au cœur », journal où il raconte son quotidien de sans-abri. Aujourd’hui logé, ce « SDF 2.0 » a raconté au HuffPost sa vie de tous les jours, celle après la rue : « Un mois après son emménagement, on a rendu visite à Christian Page, l’ex-SDF aux 30.000 abonnés sur Twitter »
Petit à petit, il a grimpé les échelons et est devenu chef d’équipe. Sa paie est devenue plus importante. Il a déménagé à Neuilly sur l’île de la Jatte. Moi et ma mère, on a déménagé au Bourget, où j’ai continué ma scolarité. Récemment, mon père a acheté une Mercedes (C63 pack AMG 2018). Il va se marier et a acheté une maison à Argenteuil, dans une zone pavillonnaire. Il peut s’offrir ce qu’il veut sans grande contrainte. Je suis fier de lui.
J’ai qu’une envie, réussir ma vie
J’ai vu mon père dans la rue, dans la pire situation de sa vie, au fond du fond, mais il en est sorti. Il a « réussi sa vie », parce que pour moi, réussir sa vie, c’est ça ! Acheter une maison, avoir un appartement dans un quartier aisé de Paris, rouler dans la voiture de ses rêves, voyager là où on veut, acheter des cadeaux à toute sa famille, faire plaisir à tout le monde, se marier.
Aujourd’hui, j’ai 16 ans et le passé ne part pas et ne partira pas. Mon enfance restera gravée à vie en moi, une enfance pas très rose et bousculée par un tas de choses difficiles à vivre. Mais une vraie leçon de vie. Aujourd’hui, je veux réussir ma vie comme mon père, rouler dans la voiture de mes rêves, me marier, avoir une maison et un appartement. Maintenant, je suis le plus heureux quand je vois qu’il profite de sa vie.
Quentin a vu pendant longtemps son père en galère de logement. Une précarité qui n’a pourtant en rien altéré leur relation « J’allais voir mon père sans savoir où il habitait »
Moi, je sais déjà qu’après ma première technologique, je veux aller vers la comptabilité. J’ai toujours essayé de réussir à l’école et je compte bien continuer à tout faire pour ne pas être dernier.
Hector, 17 ans, lycéen, Le Bourget
Crédit photo © Gabriele Muccino – À la poursuite du Bonheur (film 2007)