Sacha L. 31/03/2023

1/5 À 10 ans, j’ai su que j’étais un garçon

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Avec Ophélie, Sacha a découvert la transidentité. Cette rencontre lui a permis de décrire ce qu'il ressentait.

J’avais 10 ans. Et, à 10 ans, on ne réfléchit pas beaucoup. Ni à 17 d’ailleurs. Je n’avais jamais pris le temps de me demander qui j’étais. Mais il y avait comme une tâche noire sur le beau tableau qu’était ma vie. Un petit monstre qui se terrait, dans l’obscurité. Elle était déjà là, tapie dans l’ombre, installée : la dysphorie.

La dysphorie, c’est le fait de se sentir emprisonné dans son propre corps. Comme un cocon duquel on ne pourra jamais sortir, et ce cocon se resserre, de plus en plus vite, de plus en plus fort. Mais je ne pouvais pas poser de mots sur ce que je ressentais à l’époque.

Un papillon qui ne naîtra jamais

Elle s’appelait Ophélie, la fille que j’ai rencontrée. Elle était belle avec ses cheveux noirs de jais. La fois où je l’ai vue, elle portait une jupe rose. La première chose que je me suis dit fut : « C’est un garçon qui ressemble à une fille. » Mais j’étais bien loin de la vérité. C’était une fille. Une fille transgenre.

Elle était jolie dans son habit rose. Elle est venue s’asseoir sur mon banc. Mon banc à moi. J’étais seul dans la cour de récréation. C’étaient mes débuts de sixième. Elle s’est installée et m’a dit : « Bonjour. » Elle est intervenue dans ma vie au moment où j’en avais le plus besoin. Je ne m’en rendais pas compte, mais j’en avais besoin. Nous avons parlé de son mal-être, longuement. C’était la première fois que j’entendais parler de transidentité. Je ne connaissais pas le mot, avant.

Ce jour de septembre, j’ai découvert ma transidentité. « Tu vois, être transgenre, c’est un peu comme être un papillon qui ne naitra jamais », m’avait-elle dit, ou quelque chose dans le genre. Et il est arrivé, le déclic. Sur le moment, je n’ai fait que l’écouter. Mais en refermant la porte de chez moi, j’ai eu cette phrase dans ma tête : « Moi aussi. »

La peur et la colère

À 10 ans, on est vraiment con et ignorant, et surtout, on a peur. J’avais peur de ce que j’étais, d’être rejeté par la société, de ne pas arriver à aller au bout de ce parcours tumultueux. J’avais l’angoisse d’être abandonné par mes proches, l’angoisse de me sentir oppressé, d’avoir l’impression de vivre avec une peau qui n’est pas à moi. J’ai été homophobe. Il m’est déjà arrivé d’insulter certaines personnes de la communauté LGBTQIA+. Heureusement, j’ai arrêté ce genre de bêtises après cette discussion.

Mais après la peur sont venues l’angoisse et la colère. Être en colère contre soi-même, c’est se faire souffrir pour quelque chose qu’on ne contrôle pas. C’est rejeter la faute sur soi alors qu’il n’y en a aucune. Quand j’ai découvert que j’avais les mêmes inquiétudes, les mêmes problèmes et les mêmes angoisses qu’elle, je me suis renfermé sur moi-même. Je me suis terré dans le silence.

Les crises de dysphorie

Les crises de dysphorie se sont présentées à moi lorsque mon corps a commencé à changer, bien après ma discussion avec Ophélie. Un matin, je me réveille, juste bien. Le soir, je m’endors, la mort dans l’âme. À une époque, j’ai voulu découper ma poitrine. Par peur, encore, je ne l’ai pas fait. La peur, elle peut nous empêcher de commettre les plus grosses erreurs de notre vie, comme elle peut nous faire manquer nos plus belles années.

Ophélie m’avait parlé de ces crises de dysphorie. Elles seraient terribles, faisant des ravages au plus profond de notre être. On devient alors un enfant brisé, impossible à soigner. On ressent comme un vide et on pense que l’on n’est plus. Alors, on pleure à s’en dessécher les yeux, la peau. Les yeux rougis par la fatigue et la mélancolie, je m’endormais, en priant pour ne pas voir le lendemain. C’est ce genre de nuits qui sont les pires, celles qui donnent envie que tout s’arrête à jamais. On veut que le temps se mette en pause, puis défile à toute vitesse pour ne plus être dans l’instant présent.

C’était un 13 février, je devais avoir 14 ans, il y avait des averses ce jour-là. En sortant de la douche, je me regarde dans le miroir, fixement. Ce n’est pas moi que je regarde. Mon cerveau sait que je suis un garçon. Mais mes yeux, eux, voient une fille. Ils se défilent, ne voulant pas accepter la triste réalité. Mais elle est là et ne s’en ira pas. Les mains se réfugient pour cacher le torse. Les ongles se plantent, griffent et font saigner la peau à vif. Un cri, des pleurs : je suis en pleine crise de dysphorie.

Je n’ai pas pu me contrôler. J’aurais préféré me couper un bras plutôt qu’être transgenre. Mais je le suis, et les choses sont ce qu’elles sont.

Je n’ai plus peur de moi-même

Aujourd’hui, j’ai 17 ans, et j’ai grandi. Je me sens mieux dans ma peau et avec les autres. Je me sens toujours prisonnier de mon corps. Mais tout avance dans la bonne voie. Je fais toujours des crises de dysphorie, mais j’arrive à imposer un contrôle sur mon esprit que je n’avais pas avant. Ce qui m’empêche de me faire du mal. Je me concentre sur ma respiration, tout devient calme. Plus rien n’existe. Si ce n’est mon ventre qui remonte et qui descend en suivant ma respiration. Je repense alors au Sacha d’il y a sept ans. Son sourire, ses larmes, ses colères, tout en lui me donne du courage. Le courage de me relever et de me battre. Il est ma source de puissance. Une source intarissable.

SÉRIE 2/5 – Léna se doutait qu’elle n’était pas un garçon. C’est seulement grâce à internet qu’elle a pu en apprendre plus sur sa transidentité.

Capture d'écran de l'épisode 2 de la série : Comment j'ai posé des mots sur ma transidentité. Une illustration avec un individu en haut rose et jean qui fait un selfie. On le voit en story sur un écran de smartphone avec une apparence plus féminine.

Mes parents me soutiennent, c’est tout ce qui compte. J’ai fait mon coming-out à ma mère. Un jour, je me suis raclé la gorge pour lui signaler ma présence dans la cuisine, et j’ai dit une phrase, une toute petite phrase, d’un air assuré : « Maman, je suis un garçon. » Elle est alors partie dans sa chambre. Elle a pleuré une heure, puis plus rien. La première chose qu’elle m’ait dite a été : « Tu as beaucoup de courage. » Elle m’a montré un tel soutien, une telle bienveillance, que la peur n’a plus eu sa place en moi. Depuis, je n’ai plus peur de moi-même.

Je ne sais pas ce qu’elle est devenue, ma fée. Ophélie a disparu de ma vie en un battement de cils. Mais elle y aura toujours sa place, car elle l’a sauvée. Et je me battrai pour avoir le droit de vivre dignement et comme je l’entends.

Sacha, 17 ans, lycéen, Vélizy-Villacoublay

Illustration © Léa Ciesco (@oscael_)

 

 

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Voici quelques liens utiles :

 

Des groupes de parole pour personnes trans et/ou en questionnement

→ Trajectoires Trans, organisé par Espace Santé Trans, en ligne.

→ Les groupes de parole organisés par OUTrans, à Paris ou en ligne. L’association en organise également avec des proches (famille, ami·es…).

 

Des infos sur tes droits et ta santé, sur le site d’Acceptess-T.

 

Des personnes à qui s’adresser en cas de violences

Les actes anti-LGBTQIA+ ont doublé en cinq ans et 58 % des victimes sont des mineur·es. Si tu es concerné·e et que tu as besoin d’aide, SOS Homophobie a fait un document récap avec quelques numéros et liens utiles :

 

infographie SOS Homophobie

 

L’Existransinter, une marche des personnes trans, intersexes et de celles et ceux qui les soutiennent est également organisée chaque année depuis 1997. Cette année, elle aura lieu le 23 mai 2023.

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