Sephora Z. 26/01/2022

4/4 Jamais sans ma bombe au poivre

tags :

Sephora a été victime de harcèlement sexuel dans des transports... bondés. Pourtant, personne n'a réagi. Depuis, elle ne sort plus sans avoir de quoi se défendre : une bombe au poivre.

« Elle, je me la ferais bien », voilà ce que m’a dit un homme bien plus âgé que moi. Ce n’est pas la seule phrase choquante que l’on m’ait dite. Moi et mes amies, tout comme un nombre incalculable de femmes, avons malheureusement subi plusieurs formes de harcèlement de rue. Je suis passée par plusieurs formes : les insultes quand je refuse de donner mon numéro, les réflexions immondes, le fait d’être suivie, ou encore qu’on essaie de regarder sous ma jupe.

J’ai commencé à me faire interpeller par des hommes bien plus âgés qui voulaient mon Snap, mon numéro… S’en sont suivies les insultes comme : « De toute façon, elle était éclatée. » Avant, je me contentais de ne pas faire attention au harcèlement de rue et de passer mon chemin. Cependant, contrairement à certaines de mes amies qui en ressortent traumatisées, j’ai décidé de ne pas me laisser faire et de les inciter à faire de même.

Le métro, royaume du harcèlement sexuel

Cela se produit n’importe où, dans le métro ou dans la rue. Le métro est, je trouve, un endroit très apprécié des personnes malsaines afin d’exécuter leurs actions. Ce que je ne comprendrai jamais, car c’est un endroit entouré de monde. Enfin, c’est ce que je pensais… jusqu’à ce que je subisse une expérience vraiment effrayante où, bien que le métro soit rempli, j’ai eu l’impression d’être seule.

J’étais en seconde. C’était un matin, en route pour le lycée. Je me rappelle être toute contente car j’avais perdu du poids et je me trouvais bien habillée. Un homme est arrivé et m’a caressé les cheveux en insistant pour avoir mon prénom. Figée par la peur, je lui ai dit. Il m’a ensuite demandé mon adresse. Je me suis rapidement ressaisie et me suis levée en lui disant sur ton énervé : « Ah non, mais ça, ça ne vous regarde pas. » Je me suis ensuite installée à côté d’un homme qui me paraissait imposant.

Il m’a juste dit : « Changez de place »

Le harceleur m’a suivie et s’est positionné en face de moi, afin de me bloquer le passage. Il a rapproché son visage tout près du mien et m’a parlé dans toutes les langues, en me disant que c’était soi-disant pour « une interview » et qu’il devait avoir mon adresse. Je ne cessais de lui répéter d’arrêter de me suivre, mais il continuait. Ce qui m’a le plus choqué, c’est les gens autour qui regardaient la scène sans bouger le petit doigt. J’avais l’impression d’être la bête de foire du zoo, d’être l’écran sur lequel passe le film au cinéma. Ce qui m’a encore plus marquée, c’est l’homme à côté de moi qui m’a dit « changez de place », puis est descendu du métro en me laissant là, alors que je venais déjà de le faire et qu’il le savait.

J’ai donc encore changé de place. À la station suivante, pendant qu’il criait sur quelqu’un, je suis sortie du métro en courant. Je suis restée dans le couloir un moment et mes larmes, que je retenais pour ne pas paraître effrayée, sont sorties et n’ont plus voulu s’arrêter. J’ai téléphoné à ma sœur, qui m’a calmée. Je ne suis pas rentrée en métro à la fin des cours. Je savais que mon père passait par la rue de mon lycée pour rentrer de son rendez-vous client, alors je l’ai appelé et il est venu me chercher.

Une bombe au poivre qui tâche le visage du harceleur

Cette histoire m’a marquée trois jours tout au plus. Le premier jour, je n’ai cessé d’y repenser avec les larmes aux yeux. Je m’en voulais de ne pas avoir retiré sa main de mes cheveux et de lui avoir donné mon prénom. Le soir même, après en avoir parlé à mon père, il a eu l’idée de commander une bombe au poivre. Ce n’est d’ailleurs pas n’importe quelle bombe puisqu’elle tâche le visage de l’agresseur pendant une journée et ses habits durant un mois.

Grâce à ça, j’ai été directement rassurée, et la peur de recroiser cet homme s’est effacée au cours des deux jours suivants. Ma peur a alors été qu’il arrive la même chose à mes proches. Je me suis promis que je ne me laisserais plus jamais faire et que je ne ressentirais plus jamais ce sentiment horrible d’impuissance.

À la suite de cette histoire, des « réflexes » ont commencé à apparaître. Je ne laisse maintenant malheureusement plus la place au doute. Si tu me regardes ne serait-ce qu’un peu bizarrement, je change de place. Je sais que cela pourrait être mal vu ou jugé comme mauvais, mais je préfère juste m’éloigner. Moi-même, je ne trouve pas ça normal de devoir agir de la sorte.

Certaines de mes amies en possèdent une aussi

Je me suis ensuite rendu compte que savoir que j’avais un moyen de défense m’avait donné davantage d’assurance. J’ai failli utiliser ma bombe une fois. Un homme me regardait bizarrement et avec insistance. Voulant me diriger vers le centre du métro, je devais passer devant lui. Je n’ai pas paniqué. J’ai simplement avancé, main dans ma poche, où se situait la bombe dont je venais de déverrouiller le couvercle. Je me suis cependant empressée de passer quand il a fait un mouvement étrange avec son bras, dans ma direction, pile au moment où je suis passée à côté de lui. Il ne m’a pas suivie et je suis arrivée au lycée sans la moindre panique. Pour l’instant, je n’ai pas encore eu besoin de l’utiliser, et j’espère que ça va continuer ainsi.

Série 1/4 – Floryne n’a pas le choix, elle doit prendre le bus tous les matins pour aller au lycée. À force de remarques sexistes et de regards insistants, le trajet est devenu un enfer.

Une femme au centre est encerclée par des hommes sans visages. Elle tient son téléphone de la main gauche proche de son visage et agrippe la lanière de sa sacoche de la main droite. Son visage, un peu caché derrière ses cheveux bouclés, jette un regard méfiant sur ses voisins et a la bouche entrouverte. Derrière elle, il y a une barre de transport en commun.

Maintenant que je savais que je ne me laisserai plus faire, j’ai incité mes amies à faire de même. Je leur ai recommandé ma bombe. Certaines d’entre elles ont trouvé que c’était une bonne idée et je sais que certaines en possèdent une. La moindre chose, même toute petite, pour aider mes amies ou leur éviter d’être seules dans ces situations, je le fais. Si je sais qu’une amie rentre seule, je vais faire un appel avec elle jusqu’à ce qu’elle soit chez elle ou lui parler par message. Mais la laisser seule m’est impossible.

À la suite du sentiment de solitude extrême que j’ai ressenti, je sais que je ne pourrais jamais laisser quelqu’un, même très peu proche de moi, le ressentir à son tour. J’ai eu un dégoût profond pour ces « témoins » qui nous regardaient et ne bougeaient même pas le petit doigt pour nous aider, et j’ai compris que nous étions les seules à pouvoir nous défendre. Ce n’est pas normal qu’une femme ait autant peur de l’agression dans un métro rempli de monde que dans une rue déserte.

Sephora, 17 ans, lycéenne, Paris

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

 

Le harcèlement sexuel dans les transports

Une situation bien connue

D’après une enquête menée par la Fnaut (fédération nationale des associations d’usagers des transports) en 2016, neuf femmes sur dix ont déjà été victimes de harcèlement sexuel dans les transports. La plupart des cas concernent des regards insistants, une présence envahissante, des commentaires et des sifflements sexistes. Dans 89 % des cas, aucun·e témoin n’a réagi.

Quand le corps empêche de réagir

Il n’est pas rare que les victimes de violences sexuelles culpabilisent de n’avoir pas pu se défendre face à leurs agresseurs. Lors de situations violentes, il arrive que l’esprit soit plongé dans une forme de « brouillard », un état de sidération empêchant la personne de réagir comme elle le souhaiterait.

Porter plainte, une double peine ?

Depuis novembre 2021, des centaines de femmes victimes d’agressions témoignent des difficultés rencontrées au moment de porter plainte. Derrière le hashtag #DoublePeine, elles racontent l’incompréhension, les remarques sexistes et parfois le mépris des policier·e·s. Une initiative qui relance le débat sur le manque de formation des agent·e·s.

Partager

Commenter