2/4 À force de rester dans le quartier, ça crée des bagarres
L’embrouille qui m’a le plus marquée, c’est le jour où un garçon s’est fait planter à l’arrêt de bus, à Botzaris. Je marchais et j’ai vu ce mec, un métis, en caleçon, en sang, le couteau encore dans son ventre. Il avait du sang à l’oreille, il criait et pleurait. Je n’ai jamais su s’il avait survécu. Cette scène nous a fait du mal avec ma copine. Quand tu vois ça, ça te choque. Encore aujourd’hui, je n’ai pas les mots… C’est comme ça chez nous, dans ma cité dans le 19e. Là où j’ai grandi, tu peux mourir pour rien du tout, même pour une petite histoire.
Les jeunes restent trop entassés dans le quartier
Parfois c’est des bagarres, parfois des descentes, des règlements de compte. Ou à force de défendre les gens, tu peux te faire planter, tuer… Il y a beaucoup d’embrouilles. Souvent avec des armes de tous types : couteaux, barres de fer, gazeuses… Si tu ne fais pas partie du quartier, tu peux te faire embrouiller.
Les jeunes, ils ne sortent pas, ils restent trop entassés dans le quartier. Et, à force d’y rester, ça crée des bagarres. Je me souviens d’une embrouille où, avec mon frère, on a su que quelqu’un du quartier était mort. Sur Snap, on voyait des clips et des photos de lui partout, et ce n’était pas normal. On avait un pressentiment parce qu’on ne voit pas ça tout le temps. Après, son meilleur pote a confirmé qu’il était mort, dans une rixe, sur ce même réseau. Et on nous a confirmé son identité sur BFM TV.
En fait, son meilleur pote s’embrouillait avec d’autres gars pour une histoire de meuf. Il est venu le défendre car ça commençait à chauffer, il essayait de calmer le jeu. Mais en se retournant pour partir, il s’est fait planter. Il est mort plus tard, en arrivant à l’hôpital. Son meilleur pote a tout vu. Il est mort dans ses bras.
J’ai vu son pote partir en n’importe quoi
Quand j’ai appris qu’il était mort, sur le coup je me suis imaginée sa tête et ce qu’il s’était passé. Après sa mort, j’ai vu son pote partir en n’importe quoi : il n’allait plus en cours, il fumait… Il n’était pas bien. C’était son meilleur ami, comme un frère. Il est mort alors qu’il n’était jamais dans les embrouilles. Il avait 15 ans, presque mon âge…
Dans une série documentaire de StreetPress, Adama Camara poursuit son engagement contre les violences entre bandes rivales. Il est allé à la rencontre de jeunes et de familles dont la vie a, comme la sienne, basculé à cause des violences de cité.
Je ne m’inquiète pas pour les jeunes de mon quartier, surtout ceux qui cherchent tout le temps les problèmes. Mais quand je sens qu’un truc se trame et qu’un de mes potes est concerné, je vais m’inquiéter.
Je suis déjà allée à deux marches comme ça…
Ma dernière histoire, c’est là où j’ai vu les conséquences des embrouilles. Je me souviens, c’était un garçon super gentil, je le connaissais. Il avait 17 ans. Il était grand, musclé, et encore au lycée. Le 24 octobre 2018, il allait chercher son scooter, et il s’est retrouvé dans une rixe. Son petit frère de 15 ans était engagé dans la rixe, et les gars ont dû penser que c’était un gars de la rixe aussi. Poignardé à l’abdomen et à la cuisse. Je lui avais parlé la veille. J’ai pleuré en apprenant sa mort. Je me souviens qu’il m’avait dit qu’il voulait bientôt se marier, il avait hâte. Et le lendemain il est mort.
Il y a 11 ans, à Acoua (Mayotte), le décès d’un jeune homme lors d’un règlement de comptes a profondément marqué Saïndou. Il raconte ces violences quotidiennes, exacerbées par la précarité.
Quand j’ai vu sa mère à la marche en son hommage et qu’elle pleurait avec toutes les autres mamans qui avaient perdu leur fils, ça m’a fait beaucoup trop mal au cœur. J’y suis allée car c’était quelqu’un que je connaissais, et du quartier. J’ai 14 ans et je suis déjà allée à deux marches comme ça… Voilà mon quartier. La violence n’y résout rien mais, malheureusement, ça arrive trop souvent. Mais, aujourd’hui, ça ne nous choque plus trop. On est habitués.
Imane, 14 ans, collégienne, Paris
Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)