1/2 Sur Steam, je me cache car je suis une fille
À cause du sexisme, je limite mon expérience de joueuse. Je ne me sentirais pas capable, par exemple, de devenir gameuse professionnelle. Jeel, la youtubeuse que je suis, doit affronter le sexisme quotidiennement. Au ZEvent 2021, un grand événement caritatif en ligne sur Twitch, elle a dû répondre à : « Tu peux jouer aux jeux vidéo en étant une fille ? »
Sa répartie : « Je ne suis pas une fille. Je m’appelle Gilles. » Comme cette Américaine qui répondait à « Puis-je te baiser » par « On peut faire ça vendredi si vous voulez ? », histoire de désamorcer la situation. J’aimerais avoir une telle répartie, et j’admire leur cran.
Je me suis mise à jouer en ligne sous la houlette de mes amis masculins, et avec leur aide. Je ne me voyais pas faire autrement, je ne connaissais pas d’autres filles jouant aux jeux vidéo. Ils ont été ma porte d’entrée vers ce monde virtuel.
Un pseudo neutre
Près de la moitié des joueurs sont des joueuses et, pourtant, leur place dans ce monde semble très limitée : les gens n’ont pas forcément envie de devoir affronter une horde de rageux alors qu’ils cherchent juste à se détendre. Il ne me viendrait pas à l’esprit de me lancer face à des inconnus, des étrangers, pour la simple et bonne raison que je peux me retrouver à entendre des remarques sexistes.
Dans le documentaire À quoi rêvent les jeunes filles, réalisé par Ovidie et diffusé en 2015 sur France 2, on voit un passage où on entend des jeunes gens jouer en ligne. Un des garçons, en s’apercevant qu’une fille est parmi eux, dit immédiatement : « On peut la sodomiser. » Sa voix n’a même pas encore mué. Pour lui, une fille évoque une sodomie ? Réellement ?
J’ai choisi sciemment un pseudo neutre au niveau du genre sur Steam, la plateforme sur laquelle je joue, alors même que je sais qu’en avoir un féminin permet de recevoir de l’aide plus facilement. En effet, des études ont montré qu’avoir un pseudo féminin sur les forums fait que les gens vous viennent plus aisément en soutien. Même avec mes amis, j’utilise ce pseudo. Je suis pourtant chez moi, un espace qui devrait être sécurisé par rapport à d’autres comme la rue. Mais, même ici, je peux être confrontée au harcèlement.
Des gameuses qui m’inspirent
Puis, tout le monde pense que les filles sont mauvaises aux jeux vidéo. J’aime citer en exemple une ancienne amie qui est une joueuse chevronnée. Elle est tellement douée qu’elle s’est déjà retrouvée avec un joueur pro dans son équipe sur League of Legends. Il y a également ma sœur jumelle, qui a d’excellents réflexes de gameuse.
SÉRIE 2/2 – Kevin joue depuis longtemps aux jeux vidéo. Assez longtemps pour en avoir assez d’assister, sans cesse, au harcèlement de toutes les filles qu’il croise en ligne.
J’espère pour elles comme pour moi que, dans le futur, les choses changeront et que je n’aurais plus à me cacher. Je souhaiterais pouvoir jouer avec ou contre des inconnus sans avoir peur. Il faudrait que plus de femmes fassent partie des équipes de création de jeux, afin que l’on puisse en avoir des plus ouverts et moins formatés.
Justine, 30 ans, Aix-en-Provence
Crédit photo Pexels // CC Matilda Wormwood
Le sexisme dans les jeux vidéo
77 % des joueuses de jeux vidéo ont déjà reçu des remarques discriminantes lorsqu’elles jouaient en ligne. Le gaming est un univers particulièrement sexiste pour plusieurs raisons :
– c’est une discipline socialement perçue comme masculine, et une partie des hommes n’apprécie pas que des femmes empiètent sur leur terrain ;
– l’anonymat décuple la violence et le harcèlement envers toutes les minorités ;
– c’est un univers de compétition : tous les arguments sont bons pour écraser son adversaire.
Considéré comme un délit, le cyberharcèlement est puni d’une amende de 45 000 euros d’amende max, et/ou d’une peine d’emprisonnement de trois ans max.
59 % des gameuses cachent leur genre lorsqu’elles jouent, soit en n’activant ni leur micro, ni leur caméra, soit en utilisant un logiciel qui modifie la voix ou en empruntant un nom masculin.
Lors des événements physiques, seul·es 5 % des participant·es sont des femmes, alors qu’elles représentent 47 % des effectifs du gaming en France.