Jessica S. 10/10/2024

1/4 Une longue instabilité psychique

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Comme c'est souvent le cas, les premiers symptômes des troubles psychiques de Jessica sont apparus à l’adolescence. Après des années de dépression, de crises d'angoisse et de prises de risques, un premier diagnostic de trouble bipolaire a été posé. Il a été affiné depuis.

Je me suis toujours sentie différente. Enfant, j’étais plus mature et surtout plus hypersensible que la plupart des gens de mon âge. À 12 ans, je suis hospitalisée à l’hôpital Robert-Debré à Paris pendant deux semaines au service pédopsychiatrie, car, d’après ma mère, j’étais en souffrance.

À l’adolescence, je découvre le groupe Kyo, avec Une dernière danse. La chanson d’eux qui résonne le plus en moi est Je cours : « Je n’ai plus de souffle, je veux que l’on m’écoute / Pour m’en sortir, je dois tenir et construire mon futur / Partir à la conquête d’une vie moins dure. »

En quatrième, l’orientation me stresse énormément. Je traverse ma première phase de dépression. Je me passionne pour le dessin et la peinture, qui deviennent mes échappatoires. Je suis souvent seule, mais je mène une vie normale, comme toute personne de mon âge. À mes angoisses s’ajoutent le divorce de mes parents et aussi l’état du monde. Les guerres, les famines… Je me sens impuissante face à cette réalité. Tout cela m’affecte beaucoup.

Premières pensées suicidaires

Les années passent. À 17 ans, alors que je me trouve en vacances avec mon petit ami et sa famille, j’ai la réponse à mon passage d’examen de CAP Reliure : négative. Les nuit qui suivent, je me demande ce que va être mon avenir. J’ai des pensées suicidaires. Jusqu’à cette nuit, où je me dirige vers la plage et où je veux me noyer. Ce que je ne fais finalement pas.

J’ai beau être heureuse dans mes différentes relations, je suis toujours oppressée par cette dépression qui ne me quitte pas. Je n’ai toujours ni traitement ni diagnostic, mais je pense que c’en est une. À ce moment-là, je vois des psychologues mais pas de médecin. J’ai une libido au-dessus de la moyenne, selon ma psy. Je ne prends aucune précaution avec mes partenaires car je ne désire qu’une chose : attraper le VIH. Je me dis que, comme ça, ma vie sera écourtée. 

Première crise d’angoisse

À 24 ans, un jour où je me rends à des journées portes ouvertes, je me retrouve assise en face d’un jeune homme dans le métro. Nos regards se croisent et j’ai tout de suite le coup de foudre. Après quelques mots, nous échangeons nos numéros. Nous nous voyons dès le lendemain, et je passe une excellente soirée. 

Vers 2 heures du matin, je suis réveillée par une crise d’angoisse. C’est la première fois que ça m’arrive et je ne sais pas ce qu’il se passe. J’ai la sensation que je vais mourir. Je pense que mon ami a mis une substance dans mon verre. 

J’appelle le médecin de nuit tellement je suis terrorisée. Il me rassure. Confuse, j’en parle à ma meilleure amie, qui m’explique que j’ai fait une crise d’angoisse. Je prends rendez-vous avec mon médecin traitant. Il me prescrit des anxiolytiques. 

Au bout d’un moment, je décide finalement de mettre un terme à ma relation avec cet homme. Le lendemain, je fais une nouvelle crise d’angoisse dans le métro. Elle est beaucoup plus violente que la première. J’ai des idées de suicide. Je demande de l’aide aux personnes sur le quai et aux agents de la RATP. Les pompiers m’amènent aux urgences. Une fois de plus, je pense qu’on a mis une substance dans mon verre. Je me sens persécutée. 

Le lendemain, j’ai la sensation de devenir folle, de ne plus être moi-même. Avec l’accord de mon médecin traitant, je pars en hôpital psychiatrique. En deux semaines là-bas, on ne me pose toujours pas de diagnostic. On suppose juste que j’ai des troubles psy. 

En rentrant chez moi, c’est le calvaire pour reprendre une vie normale. Je sors à peine plus loin que pour aller chercher du courrier. Le moindre effort me fait faire des crises d’angoisse. Pendant quelques mois, j’évite même de prendre certaines lignes de transport qui me rappellent quand j’allais voir mon ex. 

Je trouve un travail d’emballeuse-layetière et, après deux ans de formation, j’obtiens mon diplôme et je suis embauchée en CDI. Je me mets à la recherche d’un appartement. Un jeune homme, rencontré sur un site de rencontres, cherche à déménager. Je lui propose de faire une colocation. Après plusieurs visites, on trouve notre cocon et on signe le bail. 

Se prendre pour Jésus

Sur le trajet du travail, je vois des signes en rapport avec mon ex, qui est aussi un collègue. Je me dis qu’il a gagné au Loto parce que dans la rame, il n’y a plus de SDF. Je vois aussi un écriteau et je pense qu’il m’est destiné. Les gens me regardent et j’ai le sentiment qu’ils savent des choses que j’ignore. Arrivée près de mon travail, je vois un camion à benne et je m’imagine que c’est un signe qu’il s’est suicidé. Il n’est pas encore arrivé au bureau, alors qu’il est toujours le premier. On me rassure en me prévenant qu’il est en déplacement. 

Le surlendemain, je me prends pour Jésus. Je pense que mon tuteur, mon chef adjoint et deux collègues sont mes évangélistes, et que mes autres collègues sont des apôtres dont, bien sûr, le fameux Judas. En montant à la scie pour couper du bois, je suis prise de vertige et d’une nouvelle crise d’angoisse, avec des idées de persécution. Je décide alors de retourner en hôpital psy. Cette fois-ci, cela dure un mois. Le verdict tombe enfin. Je suis diagnostiquée bipolaire. J’ai 33 ans. 

D’après la médecine du travail, je ne peux pas reprendre. Je vais à l’hôpital une fois par mois pour qu’on m’injecte mon traitement. Je prends du poids. Je dors treize heures par nuit. Je n’ai plus aucune libido, parce que je ne ressens pratiquement plus aucune sensation. C’est très frustrant. Comme autre effet secondaire, j’ai du mal à retenir ce que je viens de lire. Ma mémoire me fait défaut. Avant, je prenais plaisir à lire Harry Potter ou d’autres livres de fantasy.

Au bout de quelques mois, suite à ma prise de poids, je consulte ma psychiatre pour ajuster le traitement. Depuis je suis sous Abilify, un antipsychotique, et fluoxétine, un antidépresseur. 

Apaisée, libérée, rassurée

Fin 2023, ma tante me parle de la Maison perchée. Elle en a entendu parler aux informations. Il s’agit d’une association pour personnes bipolaires, borderline et schizo-affectives, à Paris. Je m’y rends peu après avec ma mère et je trouve tout de suite les personnes chaleureuses et bienveillantes. 

Ça va faire deux ans que je suis en arrêt maladie, sans reprise d’emploi. Mes journées sont remplies par les rendez-vous avec l’infirmière, la conseillère d’insertion professionnelle et une neuropsychologue, pour travailler ma mémoire à court et long terme.

Grâce à un bilan plus approfondi, je suis réellement diagnostiquée. J’ai un trouble schizo-affectif avec de la dépersonnalisation/déréalisation. Cela veut dire que j’ai la sensation d’être déconnectée du monde réel comme si je me trouvais dans un jeu vidéo. Je suis enfin soulagée, apaisée, libérée, rassurée. 

Aujourd’hui, je suis enfin stabilisée. Je retrouve goût à la vie et j’ai des objectifs pour mon avenir : j’aimerais avoir un boulot stable, par exemple en Esat (établissement et service d’accompagnement par le travail), et en parallèle ma propre entreprise dans un domaine artistique. Sur mon temps libre, j’aimerais voyager davantage, prendre des cours de couture et de maroquinerie, écrire un livre et pourquoi pas, un jour, créer un musée privé de figurines et de jouets. 

Jessica, 34 ans, salariée, Paris

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

 

Série Vivre avec des troubles psy, récit 2/4 : Le coût de la santé mentale 

Entre les médicaments et les séances chez des spécialistes, Pauline, 36 ans, débourse des centaines d’euros tous les mois pour se soigner. Seule une petite partie des soins qui l’aident à mieux vivre est remboursée.

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