1/2 Agressée à 10 ans, féministe en grandissant
J’allais à mon cours de piano au conservatoire tous les deux jours à 14 h 30. Je prenais cette direction depuis cinq ans déjà. Ce jour-là, le cours commençait à 15 heures. Il était 14 h 40, il me restait une rue. Je portais mes beaux mocassins rouge vif, une jupe verte et un haut blanc. Je suis arrivée devant un petit restaurant, et j’ai continué de repasser mon morceau de piano dans ma tête. Quand un homme d’une quarantaine d’années s’est arrêté devant moi.
Il était brun, les yeux clairs, un regard doux, pas du tout agressif, tout de noir vêtu. Il s’est arrêté et m’a jeté son eau, l’eau de sa bouteille, sur mon haut blanc, le rendant tout transparent. Et il s’est mis à rire et s’est exclamé : « Ils sont mimis, je reviendrai quand ils auront poussé. » Et il a tourné les talons, tout en rigolant.
Confrontation triste et violente à la réalité
Je n’ai pas réagi. Ce n’est qu’après que je me suis rendu compte que c’était de ma poitrine qu’il parlait, et d’elle dont il riait. De mon corps, le mien. Qu’il avait sali de son action et de ses mots. J’étais perdue, seule, et complètement désemparée, car personne ne m’avait expliqué cette violence. Un jour, un homme d’à peu près 50 ans m’a dit que cette « anecdote » était mon passage à l’âge adulte. Que, maintenant, j’étais devenue « une vraie femme ». J’avais 9-10 ans.
C’était la première fois que j’avais été forcée de faire face à la réalité, triste et violente. J’ai dû sortir de force, être arrachée au monde protégé que mes parents avaient construit. Le monde qui commence chez moi et qui se termine à l’école. Où seuls existent ma famille et quelques camarades.
Quand je suis rentrée chez moi après le conservatoire, j’ai cherché sur internet « homme méchant », et « violences faites aux femmes dans la rue ». Je suis tombée sur ces histoires de harcèlement de rue d’autres femmes. Je n’étais pas la seule à vivre ça. C’est horrible de dire ça, mais je me suis sentie rassurée, soutenue et accompagnée.
Je suis féministe, et plus seule
Je n’ai jamais parlé à mes parents de cette situation, car c’est seulement après que je me suis rendu compte que ce n’était pas normal que ces histoires arrivent. C’est seulement quand j’ai lu les histoires d’autres femmes que ça a vraiment fait tilt dans ma tête. Puis, en parler à l’école primaire c’était compliqué, car j’avais l’impression que personne ne se sentait concerné. Alors, j’ai fait comme si de rien n’était, et dès l’instant où je voyais une bouteille d’eau j’entendais son rire.
Maintenant, je suis féministe et plus seule. Ça m’a donné la force et l’envie de lutter Depuis cet événement, j’essaie d’organiser des débats avec mes moyens, lors de meetings ou de conférences à la fin de manifestations pour nourrir mes arguments, apprendre des autres. Depuis quelques années, je récolte de l’argent en faisant des petits boulots, pour pouvoir à mes 18 ans faire quelques dons à certaines associations. Et j’essaie de me rendre à toutes les manifs que je peux (8 mars, celles organisées par Nous Toutes, ou alors les évènements qu’Osez le féminisme organise), pour montrer mon soutien avec mes moyens.
Mais je ne suis malheureusement pas au bout de mes peines. Dès que je sors de chez moi, que je prends le métro, on m’insulte, on me touche, sans mon consentement. Dans le métro, dans le tram, dans le bus, dans la rue. Je suis fatiguée de devoir expliquer que c’est mon corps et que, à part moi et ceux à qui je donne le consentement, personne n’a le droit de le toucher. On est dans une société qui préfère remettre en question les victimes, selon leurs habits, selon leur manière de parler, au lieu d’éduquer pour que ce genre d’histoire ne se répète pas.
On me demande souvent de me changer, de mettre un autre haut, pour éviter de « provoquer », car je risquerais de me faire agresser.
Alors que ce n’est pas à moi de me cacher, mais à eux d’avoir honte.
Luce, 15 ans, lycéenne, Paris
Crédit photo Hans Lucas // © Xosé Bouzas – Manifestation pour la Journée internationale des droits des femmes à Paris du 8 mars 2021. Banderole de Nous Toutes.
« We should be all feminists ! »
En français : « Nous devrions tou·tes être féministes ! » Ce sont les mots de l’écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie, devenue une icône du féminisme. Née au Nigéria, partie étudier aux États-Unis, elle rencontre le succès avec son premier roman, L’Hibiscus pourpre, en 2003. Lors d’une conférence à Londres en 2012, elle prononce un discours fort et engagé qui fera le tour du monde. Beyoncé va même le sampler dans sa chanson ***Flawless.
Si Chimamanda Ngozi Adichie a toujours défendu la cause des femmes, c’est parce que dans son pays, le Nigéria, elles sont en danger.
Un pays dangereux pour les femmes
Classé entre le Yémen et les États-Unis, le Nigéria est le neuvième pays le plus dangereux au monde quand on est une femme. Un classement qui prend en compte quatre critères : les droits basiques d’éducation, de propriété ou de choix de vie, les violences sexuelles, la liberté d’accès aux soins, et les pratiques culturelles.
Pas de chiffres officiels
Il est compliqué d’obtenir des chiffres sur la situation des femmes au Nigéria, car il existe très peu de données officielles. Mais selon les estimations des ONG, plus d’un tiers des Nigérianes seraient victimes de violences domestiques, une sur quatre de violences sexuelles avant 18 ans.
Battre sa femme : autorisé
La charia, la loi islamique particulièrement répressive à l’égard des femmes, est appliquée dans douze des trente-six États du pays.
Et le code pénal nigérian ne les protège pas : l’article 55 autorise un homme à battre sa femme pour la corriger, tant qu’il ne lui inflige pas de blessure grave. 43 % des Nigérianes estiment d’ailleurs normal que leur mari les battent. L’article 360, lui, classe les agressions sexuelles contre les femmes dans la catégorie des infractions mineures.