2/2 Ma famille est sexiste, je deviens féministe
Mes parents n’étaient pas égaux. Dans mon pays, le Nigéria, les garçons ne sont pas supposés faire des tâches ménagères. Les filles s’en occupent avec leur mère jusqu’à leur mariage. Ensuite, elles continuent à le faire pour leur mari. Elles restent à la maison à s’occuper des enfants pendant qu’il est au travail. Afin de respecter les traditions, ma mère se devait d’être loyale envers mon père parce qu’il était le « chef de la maison ».
Ma mère a rencontré mon père quand elle avait 25 ans. Ils sont tombés amoureux et se sont mariés. J’ai deux frères, deux sœurs et je suis la plus jeune de la famille. Pendant mon enfance, mes sœurs et moi étions celles qui nous occupions de la cuisine et aidions ma mère à la maison. Pendant ce temps, mes frères sortaient pour jouer et mon père travaillait. À la maison, il ne s’occupait jamais des tâches ménagères, ne participait jamais en cuisine et ne s’occupait jamais des lessives.
Mes sœurs et moi ne pouvions pas sortir tard ou ramener de garçons à la maison. Mes frères invitaient toujours leurs copines. Si nous, les filles, l’avions fait, mon père nous aurait frappées. Il nous menaçait régulièrement de nous tuer à cause de cela. Cela me rendait triste et en colère, d’autant plus que je voyais mes frères avec leurs copines et que je devais ranger derrière eux, ou leur rendre des services.
Plus libre que mes sœurs au Nigéria
Dans mon enfance, je pensais que ce schéma était normal, et je ne le remettais pas en question. C’est en arrivant en France que j’ai réalisé que les hommes et les femmes sont censés avoir des droits égaux. Je me suis alors vraiment intéressée au sujet de l’égalité des sexes et j’ai commencé à poser des questions autour de moi. J’ai commencé à m’engager dans des associations se battant pour les droits des femmes, telles que Filactions que j’ai découvert grâce à mon assistante sociale. Le fait que je ne veuille pas vivre ce que ma mère a vécu me donne encore plus de passion et de motivation dans mon engagement.
Le 8 mars 2020, j’ai participé à une marche pour les droits des femmes avec cette association. Habituellement, je déteste marcher et pourtant je n’ai ressenti aucune fatigue ce jour-là, même après des heures de marche. J’étais tellement fière de moi. Voir toutes ces personnes, femmes ET hommes, rassemblées pour une même cause qui me tient à cœur m’a donné tant de force.
Objectif : devenir une féministe forte
Maintenant que je suis en France, je peux faire ce que je veux. Je peux sortir avec mon copain et je suis totalement libre, par rapport à mes sœurs qui sont restées au Nigéria. Elles aussi sortent avec des garçons, mais elles doivent le cacher à nos parents. Leurs copains se sentent supérieurs à elles sous prétexte que ce sont eux qui tiennent les comptes. Au contraire, ici, mon copain et moi partageons les factures, ce qui est plus juste, et ce qui encourage le respect de l’un pour l’autre.
Je me construis peu à peu, avec pour objectif de devenir une féministe forte comme Chimamanda Ngozi Adichie. Elle est la plus influente féministe du Nigéria et elle a eu un impact sur le monde entier avec ses livres traduits en de nombreuses langues. J’ai été notamment marquée par Chère Ijeawele qu’elle a écrit pour une amie qui venait d’avoir une fille, en lui expliquant comment cette dernière pourrait devenir féministe. C’est un modèle pour moi et j’aimerais suivre le même chemin qu’elle.
Cynthia, 22 ans, volontaire en service civique, Lyon
Crédit photo Hans Lucas // © Adrien Baratay – Des manifestantes marchent en tenant des pancartes lors de la manifestation féministe pour lutter contre les violences patriarcales et pour revendiquer l’égalité et l’émancipation des femmes partout dans le monde. Lyon, le 7 mars 2021.
« We should be all feminists ! »
En français : « Nous devrions tou·tes être féministes ! » Ce sont les mots de l’écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie, devenue une icône du féminisme. Née au Nigéria, partie étudier aux États-Unis, elle rencontre le succès avec son premier roman, L’Hibiscus pourpre, en 2003. Lors d’une conférence à Londres en 2012, elle prononce un discours fort et engagé qui fera le tour du monde. Beyoncé va même le sampler dans sa chanson ***Flawless.
Si Chimamanda Ngozi Adichie a toujours défendu la cause des femmes, c’est parce que dans son pays, le Nigéria, elles sont en danger.
Un pays dangereux pour les femmes
Classé entre le Yémen et les États-Unis, le Nigéria est le neuvième pays le plus dangereux au monde quand on est une femme. Un classement qui prend en compte quatre critères : les droits basiques d’éducation, de propriété ou de choix de vie, les violences sexuelles, la liberté d’accès aux soins, et les pratiques culturelles.
Pas de chiffres officiels
Il est compliqué d’obtenir des chiffres sur la situation des femmes au Nigéria, car il existe très peu de données officielles. Mais selon les estimations des ONG, plus d’un tiers des Nigérianes seraient victimes de violences domestiques, une sur quatre de violences sexuelles avant 18 ans.
Battre sa femme : autorisé
La charia, la loi islamique particulièrement répressive à l’égard des femmes, est appliquée dans douze des trente-six États du pays.
Et le code pénal nigérian ne les protège pas : l’article 55 autorise un homme à battre sa femme pour la corriger, tant qu’il ne lui inflige pas de blessure grave. 43 % des Nigérianes estiment d’ailleurs normal que leur mari les battent. L’article 360, lui, classe les agressions sexuelles contre les femmes dans la catégorie des infractions mineures.