Laura A. 17/10/2024

1/2 Imposer la violence

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À 15 ans, Laura a été placée dans un foyer de jeunes filles. Elle a rejoint le groupe de pensionnaires qui faisaient régner la terreur. Jusqu’à ce qu’une plainte ne l’arrête.

« Si tu ne m’écoutes pas, je te casse ta bouche. » « Si tu recommences, on va te mettre la tête dans les toilettes. » « Peu importe où tu te caches, on va te retrouver et ça ne va pas être marrant pour toi. » Avec le groupe des « mamans », on était infâmes avec les autres filles pour faire régner notre loi : insultes, menaces avec couteau, bagarres violentes… 

Ce groupe de filles, les plus vieilles du foyer,  que j’ai fini par surnommer les « mamans », étaient de véritables terreurs. Elles étaient au sommet de la hiérarchie. Je ne sais pas trop pourquoi mais elles m’ont prise sous leurs ailes.

Ça s’est passé très vite. Je venais à peine d’avoir 15 ans et d’être placée dans un foyer où il n’y avait que des jeunes filles entre 11 et 18 ans. Quand j’ai déballé mes affaires, j’ai tout de suite senti que l’ambiance n’était pas bon enfant. Les regards noirs et les messes basses des autres pensionnaires lors de ma première visite, je m’en souviens comme si c’était hier. Je suis restée environ trois ans.

Très rapidement, ces filles m’ont expliqué qu’il y avait certaines règles à respecter ici : interdiction de partir en fugue sans prévenir les « mamans », surveiller les plus jeunes, ne pas s’en prendre aux chouchoutes des plus grandes, toujours intervenir lors de disputes pour défendre le groupe, ne rien dire aux éducateurs. Ensuite, j’ai dû recevoir un seau d’eau froide sur la tête en guise de bizutage. C’est comme ça que je suis devenue l’une des leurs.

Plaies et os cassés

Si les menaces verbales ne suffisaient pas, on passait à l’action. La plupart du temps, ça s’arrêtait à de simples bleus ou des griffures. Dans les cas les plus violents, ça pouvait aller jusqu’à des plaies ou des os cassés. Les éducateurs étaient totalement perdus ou dépassés. Ils ont bien essayé de mettre en place des sanctions comme nous priver de sortie, confisquer nos téléphones ou nous convoquer chez la cheffe adjointe. Mais il fallait vraiment pousser le bouchon pour en arriver là. 

C’est simple, c’était la jungle. Pour moi, cet endroit symbolisait à la fois une liberté illimitée, parce qu’il n’y avait pas de réelle autorité face à nous, et un combat constant contre les autres filles pour rester en haut de cette chaîne alimentaire. Au foyer, on peut facilement tomber en dépression et lâcher à l’école ou pour la recherche d’emploi. Sous l’effet de groupe, on peut aussi faire des choses illégales comme vendre des produits illicites ou sombrer dans la drogue. 

Intouchable

Pour moi, faire partie des filles haut placées, c’était un gage de sécurité. Je pouvais imposer le respect et la terreur. J’étais intouchable. Puis, il y a eu la fois de trop. Poussée par certains éducateurs, une fille avec qui j’avais eu plusieurs accrochages a décidé de porter plainte. Ce qui m’a valu un sursis de trois ans. Se tenir à carreaux n’a pas été très compliqué quand on sait que si on recommence, c’est la case prison qui nous attend. À ce moment-là, j’ai pris conscience que mes actes pouvaient avoir des conséquences graves pour moi et pour la personne qui subit les violences. J’ai donc stoppé mes conneries. 

Aujourd’hui, je vis à Roubaix dans un magnifique appartement avec mon copain. Je n’ai gardé contact qu’avec une seule des « mamans », Nono. Elle a sa vie de famille, on prend de nos nouvelles de temps en temps mais, forcément, nos rapports ne sont plus les mêmes qu’à l’époque du foyer. 

Quand je repense à tout ça, je me rends compte de mon manque de maturité à l’époque et de la facilité avec laquelle on peut se laisser entraîner dans la violence. C’est plus facile de s’occuper des problèmes des autres que d’apprendre à faire face aux siens. Aujourd’hui, j’ai changé. Je suis plus calme. Plus posée. J’ai plus confiance en moi. Je suis à l’écoute des autres. Et j’ai compris que la violence ne résout rien. Au contraire ! 

Laura, 19 ans, en formation, Roubaix

Crédit photo Unsplash // CC Inbal Marilli

 

Slash Dans la violence des foyers de l’enfance, récit 2/2 : Subir les coups 

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