Vivi M. 12/04/2022

1/2 Mon logement social, entre moisissures et froid glacial

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Vivi et sa famille habitent un logement social dans un quartier désert depuis des années, mais les bailleurs refusent de les reloger.

Avant que je naisse, mes parents habitaient dans un studio de onze mètres carrés à Villeneuve-Saint-Georges, en région parisienne. Ils travaillaient tous les deux à l’aéroport. Mon père en tant qu’agent d’APMR (assistance aux personnes à mobilité réduite) et ma mère en tant qu’agent d’entretien dans les avions. Ils n’étaient pas riches et voulaient se rapprocher de leur lieu de travail, mais aussi de leurs familles. Alors, direction Orly. Un aller simple dans un F3 de trente-huit mètres carrés. Un logement social dans un quartier, juste en face de la mosquée de la ville.

Un décor de carte postale

Ce quartier avait beau être vieux, il ne ressemblait pas du tout au type de logement social décrit à la télé. Nous n’avions pas de problèmes d’insécurité. Les grands du quartier étaient sympas, respectueux et concentrés sur leurs études. Le voisinage était constitué majoritairement de familles avec des enfants et de personnes âgées. Le matin, lorsque je partais à l’école, des grands-mères sortaient nourrir les pigeons ou faire une promenade avec leur chien.

L’après-midi, d’autres enfants du quartier sortaient jouer entre eux. Les parents discutaient tout en les surveillant. Ils organisaient souvent des goûters dans l’espace vert où ils pouvaient courir ou dans le mini-parc où se trouvaient le toboggan et les attractions pour enfants. Il y avait aussi des gens qui passaient par là pour partir prier à la mosquée. Bref, un décor de carte postale.

L’appartement était bien, vu de l’extérieur, et mes parents avaient des connaissances dans le quartier. Ils n’avaient pas prévu de rester là toute leur vie. D’ailleurs, il était prévu que tous les immeubles du quartier soient détruits pour construire de beaux immeubles privés deux ans plus tard. Un programme pour aider les familles à déménager était à l’étude. Ce nouveau quartier allait attirer des personnes riches dans la ville. C’était compréhensible : c’était bien situé, entre des espaces verts et les transports en commun.

Dans le logement social, le froid et l’humidité

Quatorze ans plus tard, les bâtiments commencent à peine à se vider. J’y vis toujours et la vie a bien changé. Aujourd’hui, la saison que je redoute le plus, c’est l’hiver. Durant cette période, l’appartement est glacial. Les nuits sont horribles. J’ai l’impression que la fenêtre est ouverte le soir. Lorsque l’on entre, on se rend directement compte de la différence de température. C’est comme si on arrivait dans un centre commercial climatisé en plein été. J’ai parfois envie de dormir devant ma porte…

Le logement social s’est bien dégradé. La moisissure s’amplifie avec le temps. Depuis que les appartements des voisins se sont vidés, le froid est encore plus terrible. L’humidité se voit sur les fenêtres. Chaque année, les hivers sont plus rudes chez moi. Le vent glacial s’infiltre partout. Les radiateurs sont comme inexistants et ne nous réchauffent presque plus. Les murs sous le papier peint sont moisis, et les escaliers délabrés.

Ma vie de famille aussi s’est bien dégradée. Mes parents ont divorcé trois ans après avoir emménagé à cause d’une addiction aux jeux d’argent développée par mon père à la suite d’un arrêt-maladie. Je ne suis pas en garde alternée, et ma mère a dû se débrouiller pour s’occuper de moi tout en multipliant les CDD et les petits boulots.

Pas de relogement pour nous

Lorsque ma mère veut parler de la situation avec la gardienne, elle est soit absente, soit elle l’envoie balader en lui disant de contacter les bureaux de l’organisme à qui appartient l’immeuble. Parfois, ils envoient quelqu’un regarder les dégâts. Il regarde. Dit qu’il va s’en occuper. Et rien. Nous avons fait une demande pour déménager, mais nous sommes toujours sur liste d’attente. Pas urgent apparemment. Puis, ça risque d’être compliqué de trouver un propriétaire prêt à accepter un locataire en CDD. On a demandé à ce qu’on fasse des travaux chez nous mais, comme le bâtiment sera détruit, c’est hors de question.

Même lorsque ma mère était en CDI en tant qu’auxiliaire de vie, on nous sortait d’autres excuses, encore et encore. Les quelques fois où notre dossier a été pris en charge, c’était pour nous proposer des logements avec des loyers au-dessus de ce que l’on pouvait payer.

Des problèmes en dehors du logement social

Les problèmes en dehors du logement ont également augmenté. C’est tout l’immeuble, tout le quartier qui a moisi. Avec l’absence de voisins, il y a de plus en plus d’araignées et de nuisibles autour du bâtiment. Les rats circulent dans les allées et au bas des portes. La porte de l’immeuble s’est cassée et des squatteurs fument dans les escaliers. Sur les murs pourris des champignons ont commencé à pousser.

Il y a un an, une voisine, encore présente elle aussi avec deux fils de 6 et 5 ans, a même trouvé des barrettes de shit dans les escaliers. Elle a rapidement menacé la gardienne en disant qu’elle allait appeler la police si elle continuait de rester passive. La gardienne a dit qu’elle prendrait des mesures pour cela et ça a marché. Maintenant, les barrettes de shit ne sont plus dans l’escalier, mais dans la cave… Puis, elle a embauché des jeunes de 18 ans qui avaient besoin d’argent et d’un stage pour peindre les murs de l’entrée des escaliers au rez-de-chaussée en blanc et la porte cassée en gris. Depuis, la voisine excédée a déménagé.

Maintenant, il n’y a qu’un seul autre voisin qui vit avec nous dans l’immeuble. Les portes des anciens voisins sont recouvertes de ciment. C’est partout. Dans tout le quartier. Je ne vois plus d’enfants. Plus de jeunes. Avant, lorsque je finissais l’école tard, je rentrais rassurée. Je savais qu’il y aurait une grand-mère pour nourrir les pigeons ou quelqu’un dehors. Maintenant, quand je finis le jeudi à 18 heures en hiver, je cours pour arriver chez moi tellement j’ai peur. Car je sais que, si j’ai un problème, le quartier est devenu tellement désert qu’il n’y aura personne pour m’aider.

Vivi, 14 ans, collégienne, Orly

Crédit photo Hans Lucas // © Magali Cohen

 

Le mal-logement en France

Une promesse non tenue 

Depuis plus de vingt ans, les propriétaires sont obligé·e·s de mettre à disposition de leurs locataires des logements décents. Mais selon le bilan dressé par la fondation Abbé-Pierre sur le quinquennat Macron, la crise du mal-logement a renforcé les difficultés des plus précaires. En puisant dans les APL, c’est près de 15 milliards d’euros qui ont été ôtés aux plus modestes. Alors que l’objectif était de construire 120 000 logements sociaux en 2021, seulement 104 800 ont été financés.

La santé en péril

Plus de 2 millions de personnes vivent dans des logements privés de confort en France, soit l’équivalent de la population parisienne. Pas d’eau courante, de sanitaires, de chauffage, de cuisine. Vivre dans l’un des 600 000 logements indignes affecte aussi la santé physique (allergies, inflammations de la peau, infections pulmonaires, etc.) et la santé mentale (anxiété et dépression). Dans certains logements insalubres, l’exposition au plomb met en péril la santé des plus jeunes : 5 333 enfants de 1 à 6 ans sont atteint·e·s de saturnisme.

Réquisitionner pour reloger

Alors que 300 000 personnes vivent sans logement, 3 millions d’habitations sont inoccupées. Face aux inégalités, l’association Droit au logement (DAL) lutte depuis 1990 pour réquisitionner et faire habiter les logements vides. En 2011, l’émission Strip-tease a suivi quelques jours le travail d’une poignée de vieux punks et de marginaux, à Lille. Ces « tontons squatteurs » occupaient alors un bâtiment public pour y reloger des familles.

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