Lilio C. 08/07/2024

1/2 Né ultra

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Les fous du Paris Saint-Germain, Lilio en fait partie aux côtés de son père depuis sa plus tendre enfance. Entre esprit de corps et codes virilistes, le jeune homme chante et défile en chœur.

Lorsque les premiers chants sont lancés, c’est tout mon corps qui se réchauffe, comme pourrait le faire le câlin d’une mère. Rien ne peut m’arriver au sein du virage. C’est ma maison. Je ne me sens nulle part plus vivant qu’au Parc des Princes. Le drapeau du Paris Saint-Germain (PSG), serré dans ma main, devient un prolongement de mon être, vibrant au rythme de l’émotion collective. Quand je suis dans le virage, personne ne me reproche d’être debout, d’être bruyant à m’en écorcher les cordes vocales, d’être stressé ou euphorique : c’est même ce qu’on me demande. Parce que oui, être ultra comporte des obligations. Dans la défaite ou la victoire, dans le froid ou le chaud, dans la joie ou la tristesse, il faut chanter jusqu’à la fin. On ne peut pas être ultra si la fidélité ne suit pas. C’est une règle d’or. Quels que soient les résultats, l’amour envers son club doit perdurer, même lorsqu’on se sent trahi ou sali.

Mon père m’a plongé dans la communauté ultra alors que je ne savais même pas encore aligner deux mots. J’ai l’impression d’être né avec. Avant chaque match, les membres de chaque groupe d’ultras se rejoignent pour former un cortège et se diriger vers le stade. C’est à ce moment que l’ambiance commence à monter. Mes premiers cortèges, je les surplombais du haut des épaules de mon père. J’étais encore trop petit pour pouvoir rester au milieu de ces agités.

Rendez-vous à cinq minutes du stade

Si pour les joueurs le match commence dès l’échauffement à 45 minutes du coup d’envoi, pour nous il démarre deux heures trente avant. Pour les grands matchs, le cortège rugit dès l’hippodrome d’Auteuil. Le ciel devient rouge, submergé par la fumée des fumigènes. Les bruits de tambours et de pétards font augmenter mon rythme cardiaque pendant que des centaines de bonhommes vêtus de noir de la tête aux pieds se mettent à entonner les chants en cœur. Les mecs torses nus, torche à la main et une cagoule ou une écharpe pour se masquer, n’ont peut-être pas tous les fils qui se touchent là-haut, mais ce sont des gens comme moi et mon père : des fous du PSG. Je n’ai encore jamais eu la folie de répéter leurs gestes. Certainement parce que je ne bois que du Coca…

Lorsque j’allais au Parc avec mon père, on rejoignait notre groupe aux bancs le long de l’hippodrome d’Auteuil sur l’allée des Fortifications, à cinq minutes à pied du stade. Je disais bonjour à tout le monde, en ayant toujours le droit à un bizutage de la part de Roudeau, qui ne se rendait plus compte de la force qu’il mettait dans ses coups, sans qu’il me fasse mal pour autant. Ce côté joyeux et bagarreur lui aura coûté cinq ans d’interdiction de stade sur l’ensemble de l’espace européen. Roudeau est un ami de longue date de mon père, et une des personnes du groupe avec qui j’ai le plus parlé (lorsqu’il n’était pas à 4 grammes dans chaque veine…). Je le revois à côté de moi, euphorique et torse nu lors de son retour au stade. Il me secouait dans tous les sens.

Au milieu des lacrymos et des matraques

Les tribunes du Parc des Princes sont connues pour leur violence, avec un pic à la fin des années 2010. À cette époque, les ultras parisiens étaient respectés et craints à travers l’Europe. Mais tous les ultras ne sont pas responsables des dégâts causés par quelques-uns. C’est pourquoi certains, comme mon père, se sont battus pendant plus de six ans afin de faire valoir leur liberté d’aller au stade. La direction du PSG avait mis en place une liste noire. Les ultras ne sont ni des animaux, ni de gentils agneaux.

Aujourd’hui, même si la violence a diminué, elle est encore présente car elle fait partie intégrante du milieu des ultras. C’est un moyen d’affirmer la notoriété d’une tribune au sein du stade. En mai 2017, lorsque le cortège se rendait à pied jusqu’au Stade de France pour une finale de Coupe de France entre le PSG et Angers, des affrontements ont eu lieu. Un autre groupe attendait le cortège en embuscade. En quelques secondes, les nuages de lacrymogène et la danse des matraques de CRS avaient pris d’assaut le décor. Je n’avais aucune idée de pourquoi cela était arrivé. Mon père, lui, n’était pas surpris. Il avait vu pire. Ma bouche et mes yeux se sont mis à rougir et mon père m’a tiré par le bras vers un bar, tout en poussant des coudes pour qu’on se fraye un passage. Les yeux remplis de larmes, il a tenté de me rassurer en me disant : « C’est le métier qui rentre ! »

Lilio, 18 ans, étudiant, Bièvres

Crédit photo Unsplash // CC Khamkéo Vilaysing

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