Non, le bore-out n’est pas un mot à la mode
Le bore-out, j’avais tendance à penser que ça faisait partie des souffrances psychiques galvaudées, trop confortables et minimes pour en être réellement une. Pourquoi l’ennui est-il désigné comme l’ennemi quand la plupart des salariés se plaignent d’avoir trop de tâches et de missions à réaliser ? Quand ils peinent à trouver du temps libre pour s’investir dans leur vie privée ?
Ça me paraissait être un caprice, une mauvaise gestion de temps de l’individu, alors en bonne partie fautif de son mal-être. Je ne croyais pas au bore-out, jusqu’à ce que je le frôle. Car non, ce n’est pas un mot à la mode.
J’allais à la pêche au travail
Cet état d’ennui chronique s’est invité dès le début de ma prise de poste en tant que chargée de communication dans une entreprise. Alors qu’il m’avait été annoncé que j’aurai en charge plusieurs dossiers, la réalité fut bien moins alléchante. Lesdites missions consistaient plutôt en quelques tâches minimes de suivi.
Chaque journée passée au travail se ressemblait. J’allumais mon ordinateur. Je jetais un coup d’œil furtif à mes mails sachant pertinemment qu’aucun ne m’avait été envoyé. Je restais prostrée devant mon écran, tantôt sur internet à lire des articles en ligne, tantôt le regard vide, las de tant d’ennui. Ce « rien à faire » habitait mon quotidien. Je me levais le matin sans motivation. Sans l’adrénaline, parfois stressante mais ô combien fondamentale, pour nous inciter à être participatif dans notre travail. Je pensais alors qu’il me fallait impulser par mes propres moyens ce réveil vital : j’allais à la pêche au travail. Sauf que celle-ci se terminait invariablement par un refus. « Non, en ce moment c’est très calme. »
Vous ne connaissiez pas le bore-out ? Brut vous a préparé un récap’ :
Devant l’impasse, mon moral se minait un peu plus. J’étais comme prise au piège. D’une part, je voulais que cette situation change brutalement. Je me refusais à m’engluer dans la morosité ambiante, mais j’étais attachée à la stabilité que m’offrait mon travail. J’étais en CDI, avec des avantages et un confort notable apportés par mon entreprise.
Le bore-out, c’est un problème de riche non ?
Seulement voilà : je rentrais chaque soir lasse, fatiguée, apathique. J’aurais pu, au sortir de mon travail, compenser le rien par le faire. Voir du monde, m’inscrire pleinement dans la vie sociale… Pourtant j’étais blasée. Incapable de faire un effort. Alors, la culpabilité a commencé à me ronger. « Fais un effort enfin, ce n’est quand même pas compliqué de voir tes amis ! », « On dirait que tu te complais dans cette situation. » Ces pensées me collaient à la peau. Et à cela s’ajoutait le sentiment d’un devoir que j’avais à accomplir : je devais surmonter la situation, prendre sur moi, sacrifier certaines choses. Après tout, l’ennui, c’est un problème de riche, non ?
Je déambulais dans mon service pour quémander du travail, en vain. J’étais missionnée sur des tâches subalternes, qui ne consommaient pas beaucoup de temps, et qui n’étaient pas à la hauteur ni de mon poste, ni de mes qualifications. C’en était trop.
« On n’est plus à l’école, à l’école vous recevez, ici vous donnez. »
Au bout de quatre mois, j’ai décidé de demander un entretien avec mon supérieur, voyant la fin de ma période d’essai arriver à grands pas. « Votre poste, c’est vous qui le faites. À vous de faire vos preuves », « On n’est plus à l’école, à l’école vous recevez, ici vous donnez », « Les jeunes aujourd’hui, ils ne veulent faire que ce qui leur plaît. » J’étais glacée à l’écoute de ces phrases caricaturales. J’avais en face de moi un mur, brisant toute perspective de dialogue.
Je me sentais malgré tout en droit de répondre : « Je suis la première à vouloir prouver tout ce que vous voulez, mais pour prouver il faut qu’il y ait matière à prouver », « Je ne crois pas faire partie de cette portion de jeunes dont vous parlez. Et je crois légitime d’aspirer à faire ce que l’on pense être porteur de sens dans sa profession. » Mes mots avaient créé le silence. Un silence dédaigneux. Il était clair que mes propos déplaisaient à mon supérieur : « Voyez avec vos responsables directs comment vous pourriez vous impliquer plus. » La patate chaude était renvoyée à d’autres.
J’opte pour des stratégies de compensation
Aujourd’hui, après six mois dans l’entreprise, je suis encore perdue. Je n’ai pas choisi la radicalité de la démission, mais dans l’attente d’un ailleurs éventuel, j’opte pour des stratégies de compensation pour pallier l’ennui. Cela me permet de me concentrer sur d’autres aspects de ma vie tout aussi importants que le travail, chose dont je n’avais pas tellement conscience auparavant.
C’est au moins un bénéfice que m’aura apporté cette expérience professionnelle. Bosseuse acharnée, je n’avais jamais rechigné à mettre entre parenthèses ma vie privée. Désormais, je mets mon temps libre au service de ma passion, l’écriture, et je vois bien plus régulièrement mes amis.
Elodie, elle, a vécu la situation inverse. Elle raconte le burn-out, qui l’a poussé à quitter son travail.
Maintenant, je garde à l’esprit qu’avoir un rapport sain à son travail est essentiel. Toutefois, pas au prix d’un effacement des autres aspects de ma vie.
Aléna, 25 ans, salariée, Paris
Crédit photo Pexels // CC Polina Zimmerman
On sous-estime beaucoup l’ennui, en partie parce qu’il peut être bénéfique, mais pas dans ce contexte. S’ajoute au fait de ne rien faire la culpabilité de ne rien faire et d’être payée alors que l’on ne fait rien… J’ai traversé une période de rien durant mon stage l’année dernière. On attendait l’impression du livret qu’on avait écrit et quand je demandais à ma chef ce que je pouvais faire pour l’aider elle ne me donnait pas de travail. Du coup, pendant deux semaines, je n’avais littéralement rien à faire alors que je venais de passer une période assez frénétique. C’est très dur à vivre de s’asseoir devant son bureau et… d’attendre. Surtout que je bossais dans un endroit où internet est bridé pour raisons de cyber-sécurité. Cette année ça a recommencé pour mon autre stage mais cette fois dès le début du stage où mes collègues devaient me donner du travail puisque je n’en recevais pas de mon chef. J’en suis même venue à me dire qu’ils m’avaient embauchée alors qu’il n’y a pas de besoins réel. Maintenant, avec le télétravail dû au coronavirus, j’ai encore moins de choses à faire, mais au moins, j’ai de quoi m’occuper ! C’est vraiment dur de tourner en rond à son bureau, surtout quand on voit les autres autour s’agiter et avoir des coups de feux et des moments de rush alors que toi tu regardes juste les minutes (voire les secondes) défiler !
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