Catapultée en France, c’était pour mon bien
Bientôt neuf ans que je suis installée en France. Je suis née au Koweït, dans les pays du Golfe, où mon père s’est expatrié pour des raisons professionnelles. C’est dans ce pays que j’ai grandi, que j’ai construit mon premier cercle d’amis ; des personnes que je vois changer à travers un écran : je les vois se chercher, se découvrir, trouver leur passion et… déménager eux aussi. Ils finissent tous par quitter le Koweït parce qu’ils savent que ce n’est pas le pays le plus approprié pour construire sa personnalité. Et moi ?
Mon frère n’avait que 17 ans quand il a eu son bac et son souhait le plus cher était de pouvoir faire ses études en France. Mineur, il avait besoin d’un représentant légal pour toutes les démarches administratives. L’idée de quitter le pays tous ensemble, en famille, était financièrement inconcevable. Mes parents ne pouvaient pas se permettre d’arrêter tous les deux de travailler afin de s’occuper d’un déménagement à plus de 5000 km, c’était beaucoup trop risqué. Ma mère a accompagné mon frère en France afin de s’occuper des démarches et de la paperasse, le temps qu’il atteigne sa majorité. Et que mon père reste travailler au Koweït afin de maintenir une certaine stabilité.
Il a fallu trouver comment gérer ma situation. Une petite fille de 10 ans, adorant son école, ses amis et sa maison. N’ayant pas encore l’âge de savoir ce qui est bon pour elle ou non. Que faire de moi ? Mes parents savaient que j’aurais un meilleur avenir dans un pays plus libre, avec une société de consommation moins exubérante qu’au Moyen-Orient. Au Koweït, les fast-foods sont ouverts jusqu’à pas d’heure et les gens se pavanent dans leurs gros 4×4 ; la société est énormément basée sur le matériel.
Lorsque j’ai appris la nouvelle, j’étais inquiète de changer complètement de pays, d’aller vers l’inconnu. J’avais peur de perdre mes amis bien entendu, mais aussi des conséquences directes que ce déménagement pourrait avoir sur ma famille. Du haut de mon 1m35, j’ai suivi ma mère et mon frère dans cette nouvelle aventure. Et j’ai découvert la ville de Bordeaux.
« Le Koweït c’est un fruit ça ? »
Les premières années, je vivais assez mal d’être éloignée de mon père et je ne trouvais personne vivant la même expérience à qui me confier. Ce n’est que plus tard que j’ai rencontré des gens qui avaient eux aussi tout quitté pour une nouvelle vie. Je me suis sentie moins seule d’un seul coup. Mais en attendant, il a quand même fallu que je m’adapte très vite, que je sache quelles étaient les choses à dire ou non. Les modes n’étaient pas les mêmes. Comment pouvais-je savoir que Jennifer était LA personne à écouter en France ?
La langue n’a jamais été un souci puisque j’ai fait tout mon primaire au Lycée Français du Koweït, je parlais donc couramment français. Néanmoins, certaines de mes expressions étaient différentes. Faire sa scolarité dans un pays étranger nous habitue à apprendre un français assez littéraire, non adéquat lors d’interactions sociales au collège. Il m’arrivait de sortir des « n’est-ce pas ? » alors qu’un simple « hein » suffisait.
Arriver au collège n’a pas forcément arrangé les choses : en début d’adolescence, nous n’avons pas forcément la plus grande des maturités. « Comment ça se fait que tu parles français ? Ah mais t’es Algérienne en fait ?! Mais t’es née au Koweït pourtant (le droit du sol n’y existe pas) ? J’comprends plus rien. » Malgré tout, j’ai rapidement fait de très belles rencontres. Des amis à qui je parle encore aujourd’hui, neuf ans plus tard, et que je ne pourrais pas voir absents de ma vie. Ils m’ont aidée à devenir la personne que je suis désormais.
Je reste fière de tout le chemin parcouru
Durant toute cette période, mon père a continué à travailler loin de nous, afin de subvenir à nos besoins. Ma mère, quant à elle, s’est battue nuit et jour pour nous soutenir moralement et régler toutes les démarches administratives pour que nous soyons en règle et que nous ayons tous nos droits ici, comme n’importe qui. Mes parents ont réalisé de nombreux sacrifices juste pour que leurs enfants aient toutes les cartes en main afin de construire leur avenir. Je suis heureuse qu’ils soient enfin réunis à Bordeaux, et de pouvoir avoir une vraie vie de famille.
Avant d’arriver à cette situation apaisée, les crises familiales ont été diverses et variées. J’ai grandi et voulu m’affirmer. Le manque paternel se faisait ressentir et mon premier réflexe a été de le reprocher bêtement à ma famille. À l’époque, dire à ma mère « Je n’ai pas choisi la situation dans laquelle je suis » était ma phrase favorite… Aujourd’hui, j’en suis peu fière, car je comprends la décision de mes parents et je leur en suis particulièrement reconnaissante. C’est grâce à eux que j’ai développé ma maturité, que j’arrive à prendre du recul sur les situations critiques, que j’ai gagné en patience. Et c’est à eux que je dois la culture orientale, si enrichissante, qui est ancrée en moi à jamais !
Sans mes parents et leur décision, je n’aurais jamais pu participer au programme des Jeunes Ambassadeurs qui m’a aidée à évoluer : je me suis rendu compte que je n’étais pas seule. On m’a aidée à comprendre que ce n’était pas parce que je n’étais pas née en France que je n’y avais pas ma place. J’ai compris grâce à ce programme qu’il ne s’agissait pas du lieu où l’on naît, mais de comment on s’approprie les lieux dans le présent et dans le futur.
Même si aujourd’hui parler de cette période de ma vie me fait facilement monter les larmes, je reste quand même très fière de tout le chemin que j’ai parcouru, il m’a marquée à vie. Mes frères et moi-même sommes du même avis : nos parents nous ont sauvés.
Telida, 19 ans, étudiante, Bordeaux
Crédit photo Unsplash // CC Izzy Gerosa