Laura D. 17/06/2021

Coming-out : je suis devenue un secret de famille

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Depuis qu’elle a annoncé sa bisexualité à ses parents, ils lui imposent de garder son orientation sexuelle secrète. Réduite au silence... au nom de l'équilibre familial.

J’avais décidé d’annoncer à ma mère que j’étais bi, je voulais la préparer à l’éventualité qu’un jour je ramène une fille à la maison. Je ne voulais rien dire à mon père, je savais qu’il n’était absolument pas ouvert à cette idée, et je n’étais pas prête à l’affronter. Ma mère, elle, me disait toujours : « Tu sais, si t’aimes les filles tu peux me le dire. » Mais quand je lui ai fait mon coming-out, elle m’a d’abord demandé ce que ça voulait dire, qu’il fallait que je choisisse entre les deux, puis un long silence. Silence qui a duré un repas, puis un après-midi.

Les seuls mots qu’elle a prononcés étaient « je t’amène à la gare », alors qu’elle ne le faisait jamais. Puis, le lendemain matin, un message : « Débrouille-toi pour revenir ce week-end. Trop dur que papa ne sache pas. » Me voilà forcée de lui annoncer. Je n’ai pas eu le choix. Ma mère tenait presque un couteau sous ma gorge pour que je parle au plus vite. Mon père est arrivé et j’ai balancé tout en bégayant. Et là, il m’a dit : « Je sais ta mère m’a dit, t’as de la chance, si je t’avais eu en face je ne sais pas ce que je t’aurais fait. »

Elle m’a privée de sa première réaction, même si elle était d’une extrême violence. Elle m’a peut-être sauvé la vie.

Ne surtout pas en parler aux membres de la famille

Le lendemain, mon père est revenu sur ses propos en disant qu’il avait été dur, qu’il m’aimait, qu’il finirait par accepter. Je me suis dit : « Waouw la nuit a vraiment porté conseil. » Il m’a imposé des règles à respecter… Oui, à 21 ans, on m’interdisait encore d’être libre de ma vie. La première, la plus « normale » était de leur laisser du temps. La deuxième était de les tenir au courant de l’évolution de ma vie, puisqu’ils avaient toujours espoir que je retourne dans « le droit chemin ». Et enfin, ne surtout pas en parler aux autres membres de la famille.

C’est cette dernière condition qui a été la plus compliqué à encaisser. On m’imposait quelque chose que ma mère, elle-même, n’avait pas respecté (j’ai d’ailleurs appris qu’elle avait tout raconté à sa sœur, encore une fois, moi, je suis terrée dans le silence et elle est libre comme l’air)… Et puis parce qu’en réalité, ce qu’on m’a explicitement demandé, c’est de ne pas provoquer la mort de mes grands-parents. Le gros problème, pour moi, n’est pas de ne rien dire à mes grand-parents ; je n’avais pas prévu de leur faire mon coming-out, ils ne comprendraient pas. Le problème est que je dois contrôler tout ce que je dis à leur entourage. Quand je vais à Paris voir ma copine, je dois mentir à toute la famille, je dois les bloquer de mes Stories, je ne peux pas leur dire où je suis, ni à quelle fréquence j’y vais.

En fait, je ne mens même pas, je ne dis juste rien. Le souci est que mes parents, eux, ne vont pas s’empêcher de raconter que j’y suis allée. Ils m’imposent de ne rien dire, mais ne se gênent pas et éveillent les soupçons… ce qui me force à mentir par la suite. Ce n’est pas une question de braver leurs règles ou pas, je n’en ai pas forcément envie pour l’instant. Mais je sais qu’un jour viendra où je le ferai, parce que je ne vis pas non plus pour mes parents. Le truc, c’est qu’ils m’accableraient : je serais la cause du malheur de tout le monde.

Un coming-out est le début de violences intrafamiliales… Le Monde revient sur ces parents qui n’acceptent pas que leurs enfants soient LGBTQIA+, leur infligeant insultes, menaces de mort ou les privant de ressources. Têtu retrace l’histoire de Maria, mise à la rue après son coming-out et menacée de mort. Une enquête a été ouverte.

Je me souviens d’un jour où ma mère a découvert que j’avais fait mon CO (coming-out) à ma tante. Elle a refusé de croire qu’elle l’avait bien pris, et m’a embrouillée par message en me disant : « T’as pas pensé que t’aurais pu la perturber ? En plus en ce moment ? » Car ma tante était en dépression.

Mon coming-out n’aura servi à rien d’autre qu’à me détruire

Aujourd’hui, j’ai une copine. Je l’ai rapidement annoncé à mes parents pour « respecter » la règle numéro 2. J’ai encore eu droit au discours du « tu es contre nature », et aucune question sur elle. Rien. Je ne m’attendais pas à ce qu’on saute de joie, mais j’avais peut-être espoir qu’on s’y intéresse un peu. Que le « on finira par accepter » signifiait qu’ils feraient au moins l’effort de le faire. Mais non. Encore une fois, je suis réduite au silence. Dès que je prononce son nom, tout le monde se tait, change de sujet… comme s’ils n’entendaient pas ce que je disais.

C’est un sujet tabou, si tabou que je n’ose même plus prononcer le mot « gay ». Mes parents changent de chaîne quand ils voient deux personnes du même genre s’embrasser. Finalement, mon coming-out n’aura servi à rien d’autre qu’à me détruire. Je pensais qu’en le disant je me sentirais honnête et je n’aurais plus à cacher qui j’étais, mais désormais c’est pire. Je ne suis même plus capable de rentrer dans des débats sur l’homosexualité avec eux, parce que je suis directement concernée, et que maintenant, on parle de moi. C’est plus facile de défendre les autres que soi-même.

Manon et ses ami·e·s sont LGBTQIA+. Leur amitié leur permet de se sentir plus fort·e·s pour faire face aux regards des autres, affirmer leurs identités et lutter contre les discriminations.

Je ne souhaite évidemment pas la mort de mon grand-père, mais une petite partie de moi ne peut s’empêcher de penser que je ne serais libre que quand il ne sera plus là. Plus rien ne me retiendra, je n’aurais plus à m’occuper de l’avis de mes parents, je pourrais enfin parler à qui je veux quand je veux. Mon coming-out n’aura absolument pas servi à me libérer. Au contraire, j’ai l’impression de devoir me cacher encore plus.

 

Laura, 23 ans, étudiante, Bordeaux

Crédit photo Pexels // CC Sharon McCutcheon

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