Comme un air de manif
« Elle viendra du ciel ou de sous les ponts, de la terre ou du fond de nous-mêmes.
En attendant, laissons les rênes à la lie de l’Humanité,
Car elle sait vendre de l’espoir pour un avenir radieux. »
12h30. Je sors du métro. Capitole, Toulouse. La place est vide, vide de bruit surtout. Je passe par une petite artère. Les gens parlent étrangement aujourd’hui. Certains se croisent à vélo et s’arrêtent, se saluant avec une joie non dissimulée. D’autres discutent à voix haute en jetant un œil de temps à autre par dessus l’épaule de leurs interlocuteurs. Le ciel se couvre. Je m’arrête dans une ruelle adjacente à la place Esquirol. Le silence de cette rue est inhabituel. J’entends des bruits, une clameur sourde qui se répercute sur les toits. Rien de distinct ne filtre. Un grondement. Le calme avant la tempête.
Les manifestants avancent
13h30. Je cours pour m’éloigner de la manifestation, pour mieux voir, mieux entendre ce qu’il se passe. J’ai pris le métro pour être plus en avant. Là, je me retourne, alerté par un fracas assourdissant. Une quinzaine de « manifestants » dévale St-Cyprien en fracassant tout ce qui ressemble à une vitrine. Kristallnacht en plein jour. Là-bas, un CRS renverse une poussette. Il y a un bébé dedans. La mère pleure. Je ne les comprends pas. Les rayons qui filtrent à travers les nuages se font rares, et donnent à cette scène des relents de fin du monde. Plus en retrait, les manifestants avancent.
« Restez avec nous sur BFMTV pour décrypter… »
16h30. Il pleut des cordes. J’ai passé les deux dernières heures dans un café, à écouter la ville. Les gens parlent, inquiets. Certains sont excédés. Sur BFMTV, les journalistes… Journalistes ?… Les communicants déblatèrent des propos à des années lumière de ce que j’ai vu. Ils parlent sans comprendre, sans digérer, sans analyser. Ils passent leur temps à essayer de placer le plus de mots techniques, histoire de faire croire qu’ils connaissent leur sujet. Ils présentent comme on présenterait la météo, avec des termes comme « anticyclone » ou « dépression ». Personne ne comprend vraiment. Tout le monde s’en contente. « Restez avec nous sur BFMTV pour décrypter, en images… » Je sors.
Une ville trempée, mais sale
17h25. Place Esquirol. La pénombre s’installe et les gens sortent petit à petit. La plupart affichent sur leurs visages les mines excitées des enfants qui voient, pour la première fois, la tempête à travers la vitre de leur chambre. J’entends des commerçants rager à coup de « De mon temps… » et de « Y a plus de respect… ». Eux non plus, je ne les comprends pas. Les passants admirent les bouteilles cassées et les restes de fumigènes comme autant de vestiges d’une agitation qu’ils n’ont pas connue. Ce n’est pas de la curiosité mais du voyeurisme. Les curieux ne s’attendent pas à ce qu’ils vont voir en espérant le moment béni où ils pourront observer quelque chose d’inattendu. La pluie s’est arrêtée, laissant la ville trempée, mais sale. Je rentre.
Se méfier de la masse grouillante
Tous les musulmans ne sont pas djihadistes.
Tous les manifestants ne sont pas casseurs.
Tous les CRS ne prennent pas plaisir à casser la gueule à toute personne affichant une conscience politique.
Tous les manifestants ne désirent pas la mort des flics.
Mais il est une masse grouillante qui parle sans réfléchir, qui vote en ne pensant qu’à son intérêt personnel, qui condamne sans juger, qui se contente de peu pour punir et de beaucoup pour vivre, qui se traîne sans le savoir dans la fange sans se soucier de savoir qu’elle représente un état larvaire et fossile, rejeton d’un passé révolu et frein à un avenir radieux. C’est de cette masse là qu’il faut se méfier, car elle absorbe la stupidité avec une facilité déconcertante et la recrache avec une virulence silencieuse, inodore, incolore mais mortelle.
Malgré tout, j’aimerais seulement savoir qui se tient, serein, dans l’œil du cyclone…
Amazigh C., 20 ans, musicien et volontaire en service civique, Toulouse
Crédit photo CC Tien Tran // Flickr