Dans mon quartier, il n’y a que les garçons qui voyagent
Les voyages, je les fais que dans mes rêves. Depuis mon enfance, je n’ai jamais eu l’occasion de voyager avec d’autres jeunes comme moi dans un autre pays que la France. En bas de chez moi, il y a la MJ (Maison des Jeunes) qu’on appelle maintenant « maison de quartier ». Là-bas, y a un babyfoot et sinon, pas grand-chose. Il s’y passe juste des réunions de garçons. Quand je passe, je vois tout le temps des gars en train de rigoler, de discuter, de jouer au babyfoot. Je ne sais pas ce qu’ils font. En fait, dans tous les quartiers de Saint-Denis, c’est la même chose : des garçons en train de causer, mais jamais de filles.
Dans mon ancien quartier, à Allende en Seine-Saint-Denis, les animateurs de la MJ, c’était les grands de la cité. J’y suis allée une fois pour m’inscrire parce que j’avais 16 ans et que je ne pouvais plus aller au centre de loisirs. Je voulais participer à la vie du quartier. Faire des sorties. J’imaginais partir en Espagne, j’avais lu qu’il y avait un séjour organisé à Marbella pour une semaine.
J’aurais rêvé découvrir l’Espagne, parce que c’est un pays qui me fascine : leur art de la table, leur langue et leur histoire. Mais quand je suis arrivée pour m’inscrire, y avait plus de place. « Malheureusement, il n’y a plus de place, elles sont parties trop vite », m’a dit le responsable de la MJ qui était en fait un jeune du quartier.
Le jour du départ, c’était un samedi. J’ai accompagné un ami qui participait au voyage. À ma grande surprise, le car était rempli de garçons, aucune fille, rien. Que des gars ! C’était comme une équipe de foot. Même l’éducateur était trop content qu’il y ait que des garçons. Ils leurs disaient : « Vous êtes chaud là ou quoi ? » Moi j’étais trop énervée, mais en même temps, j’me serais pas sentie à l’aise de partir qu’avec des garçons. Donc je suis rentrée chez moi, dégoutée de la « maison de quartier ».
Les maisons de quartier, c’est des maisons de garçons
Dans mon nouveau quartier, à Romain Rolland où je suis arrivée l’année dernière, rebelote. J’ai vu une seule fois des filles : c’était pour la fête du Ramadan. Les gars les avaient invitées pour faire à manger. J’étais choquée. Et en plus elles étaient contentes. Moi, j’aurais jamais accepté ! Je n’ai même pas essayé de m’inscrire dans cette MJ. Juste en passant devant, je voyais que c’était la même ambiance que celle de l’autre quartier malgré les nouveaux locaux, super propres et tout.
Moi, ça m’énerve, parce que je pensais que la maison de quartier c’était justement pour tout le quartier. J’aurais voulu participer à la vie du lieu. J’y serais bien allée pour danser, pour me divertir. Pour découvrir de nouvelles choses, participer à des ateliers couture et voyager. Là-bas il y a des éducateurs, ils sont censés nous aider. Mais vu que je n’y vais jamais, je ne les connais pas.
Ce petit cercle de secte réservé aux garçons, ça devrait changer. J’ai cherché sur Internet : « Une maison de quartier est un espace d’accueil et de loisirs implanté dans les périmètres des quartiers de grandes villes, proposant aux habitants des actions sociales, des services de proximité et des activités socioculturelles. » Donc la maison de quartier, elle devrait être mixte et diversifiée.
J’aurais aimé y aller avec une copine, ça serait faire un pas pour encourager les autres filles qui sont aussi habitantes du quartier à s’inscrire et à participer à la vie de la maison du quartier mais à deux, on n’équivaudrait jamais aux garçons ! Ils sont trop nombreux. Ça serait trop bizarre qu’on débarque au milieu d’eux. Ça serait comme faire entrer les agneaux chez les loups. Je l’imagine en film.
Hakim l’a bien vu : dans sa cité, à certaines heures, c’est que des hommes ! Mais les filles qu’il connait, elles sont fortes, comme Awa il se questionne ! « Ils disent que dans nos quartiers, les filles sont invisibles. »
Mais en vrai, ce serait une révolution. Peut-être qu’il faudrait changer les programmes et mettre des activités qui pourraient intéresser les filles. Dans la maison de quartier de ma cousine par exemple, à Plaisir dans le 78, y a des filles, elles préparent la fête du quartier, elles dansent, elles font des ateliers, des sorties, des voyages. Elles découvrent des choses avec les garçons dans la bonne humeur.
Mais partout où moi j’habite, j’ai l’impression que c’est des lieux exprès créés pour les jeunes hommes du quartier qui galèrent. Et vu que beaucoup d’entre eux galèrent, ils sont toujours à la maison du quartier. Et vu qu’ils sont toujours à la maison du quartier, y a jamais de filles qui osent y aller. C’est un cercle infernal. Du coup, j’me dis qu’on devrait appeler ça les « maisons de garçons ».
Awa, 18 ans, stagiaire à l’E2C, Saint-Denis
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