Raoul T. 01/03/2020

Dans mon village, y a rien à faire à part des conneries

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Dans mon village en Bourgogne, il y a une trentaine de jeunes, mais aucune activité culturelle, aucune structure, rien. Du coup, j'essaie de m'occuper... et je fais des conneries !

Avec un copain, comme tous les jours, on n’avait rien à faire. Nous faisions le tour du village puis, au loin, nous avons vu une espèce de dune. Qu’est-ce qu’il y a là-bas ? Nous avons marché quatre kilomètres à peu près, et nous sommes arrivés au pied de la dune essoufflés. En haut, il y avait un grillage. J’étais heureux et nerveux, je savais pas ce qui m’attendait derrière. Nous avons grimpé sur une branche assez solide pour passer par-dessus. Une fois en haut de la dune, nous avons vu des engins au loin, comme des pelleteuses et des camions de chantier et… un tractopelle !

Mon pote a ouvert la porte, nous sommes montés dedans, et on l’a pris ! Nous avons arraché le grillage, dégagé des arbres avec la pelleteuse. Nous sommes allés faire des tours dans un champ. On se suspendait dans la pelle en la faisant tourner dans tous les sens comme dans un manège ! Ça faisait longtemps que je m’étais pas amusé autant, c’était mon meilleur jour, je m’en souviendrai toute ma vie.

Mais une pelleteuse un dimanche dans la forêt, ça fait du bruit ! Sur le chemin pour rentrer, les flics sont arrivés, ils nous ont fait monter dans leur voiture, nous sommes allés au commissariat. Je suis passé devant un tribunal pour enfants. Du coup… cinq ans de sursis, et j’ai dû voir un mec pendant deux ans. Je sais pas à quoi il servait, il me posait des questions : « Pourquoi t’as fait ça ? Pour qui ? » Mais j’ai quand même continué en volant des quads, un an après même pas, dans mon village. Et je me suis pas fait prendre !

Y a rien à faire, y a même pas un skatepark

C’était pour faire un truc, bouger… une activité quoi ! Qui change de la routine. Je faisais juste ça pour m’amuser, prendre du plaisir. On avait que ça à faire de notre journée… Dans mon village, y a pas d’activités, y a rien à faire. Y a même pas un skatepark. Il est petit, il doit y avoir mille habitants et une trentaine de jeunes, dont des enfants. Y a un terrain de foot, mais on y va plus, il est trop haut. Mon village, c’est comme un volcan, et le terrain est tout en haut du village. Comme c’est loin, on va devant l’école, on fait rien, on fume, on parle et après on bouge.

En milieu rural, il y a peu d’établissements culturels et sportifs mais aussi une faible présence des services publics. Pour en expliquer les raisons, Libération a interviewé le géographe Pierre-Marie Georges.

Avant, j’avais tout. J’étais dans une ville, il y avait trois stades, une piscine, un spa, un skatepark, des jeux pour les petits, des terrains de pétanque, y avait même des kebabs. Il y avait plein de trucs ! Je faisais du foot, j’étais en club. Mais en arrivant ici à 11 ans, j’ai tout perdu, j’étais déçu, je faisais la gueule. J’ai arrêté le foot pour jouer aux jeux vidéo.

La commune n’a pas assez de sous

Il n’y a pas assez d’habitants pour qu’il y ait des activités. Il doit y avoir mille habitants et une trentaine de jeunes, dont des enfants. La commune n’a pas assez de sous, sinon ils l’auraient fait ! Après l’événement du tractopelle, avec mes potes, on est allés voir la mairesse. On lui a demandé s’il y avait possibilité de faire une petite zone de jeux avec un skatepark. Il y a un endroit tout plat où il y a rien dessus ! Un skatepark là, ça aurait été trop bien. Mais elle nous a dit qu’il y avait pas assez de sous à la commune pour ça. On a abandonné après, on est restés dans la rue.

En l’intervalle de six ans, rien n’a changé. Aujourd’hui, c’est toujours le même paysage, les mêmes maisons, les mêmes habitants, les mêmes visages surtout ! Nous, on fait juste de la moto et on fume. Tous les soirs, on se réunit au village. On est un groupe de sept potes.

Je vais bientôt me barrer

Heureusement, maintenant avec mes potes on peut aller où on veut : Auxerre, Montereau, on va même à Paris. On bouge souvent pour s’occuper. On va faire du karting, on va au ciné… et on fait toujours un resto comme le chinois !  Hier j’étais au Burger King de Montereau. Avant, personne avait le permis, mais depuis deux mois environ, on peut car les autres ont leur permis. Moi je l’ai pas encore.

Léo a grandi dans une maison isolée dans la campagne, en Haute-Garonne. Alors entre marcher des kilomètres jusqu’aux villages alentours voir ses amis, ou… surfer sur internet, il a vite tranché.

Je vais bientôt me barrer de chez mes parents, je sais pas où. Dès que j’ai fini mes trois ans de bac pro je me casse, pour changer d’air, pour avoir des occupations : la chicha, même voir d’autres gens ! Changer de vue, faire de nouvelles connaissances, reprendre la boxe que j’ai commencé dans un village à côté, et le foot.

 

Raoul, 18 ans, en formation, Bourgogne-Franche-Comté

Crédit photo Unsplash // CC Dave Weatherall

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