Mehdi B. 01/08/2019

D’un quartier sensible toulousain au « ghetto » américain

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Après une semaine de visites officielles à Washington DC, je découvre un « ghetto » américain. Je ne sais alors pas ce que le quartier Anacostia me réserve...

En 2015, durant les vacances de la Toussaint, je suis parti deux semaines à Washington DC dans le cadre des Jeunes Ambassadeurs. Après une semaine de visites en costard-cravate durant laquelle nous avons rencontré des acteurs du monde diplomatique américain et visité les plus grandes institutions de Washington, nous allons passer une deuxième semaine bien différente dans un « ghetto » de la capitale.

L’objectif : rencontrer le monde associatif de Washington DC. Située dans le quartier d’Anacostia, dans la banlieue de Washington, l’association Children’s Of Mine s’occupe de la réinsertion des jeunes en difficulté (enfants violents ou victimes de violences, dépendants aux drogues, abandonnés…) Selon les instructions de notre accompagnatrice, ce quartier étant un ghetto, il ne faut pas s’habiller avec des vêtements de luxe, les filles doivent éviter de prendre leurs sacs à main et nous devons toujours rester en groupe. Le décor est planté.

Nous prenons la ligne verte du métro de Washington depuis le centre-ville, les stations passent et le public du métro change : les habits sont moins soignés, les visages sont marqués par une vie dure, les démarches sont différentes. Les gens ont une apparence « plus pauvre ». Les costumes trois-pièces et les uniformes de l’armée sont tous descendus du métro tandis que la misère reste et les regards méfiants apparaissent. Au sein du groupe, la bonne ambiance et les rires, d’habitude toujours présents, ont disparu et une forme de tension est présente dans l’air.

Venant de la Reynerie, quartier sensible du Mirail à Toulouse, je me disais qu’aucun endroit dans le monde ne pourrait me faire peur. Cette visite m’a vite fait changer d’avis. Les portes du métro s’ouvrent, nous descendons et… rien à voir avec le centre-ville. Il fait sombre, c’est sale et il n’y a personne. Je vois pour la première fois ce qu’est un ghetto américain. Dans ma tête, il y avait deux types de ghetto : « le type New York », des grandes barres d’immeubles et « le type Los Angeles » avec des quartiers pavillonnaires. Pour Anacostia, c’est un quartier pavillonnaire, mais complètement délabré. Les maisons ont toutes l’air d’avoir subi une tornade : palissades arrachées, vitres cassées, toitures clairsemées… C’est dur d’imaginer que des gens y vivent.

Je ne suis pas serein, j’ai jamais connu cette sensation dans un endroit public

De nature méfiante, je « scanne » mon environnement et pour la première fois de ma vie, je ne me sens pas à l’aise. En plus des maisons en piteux état, les gens de ce quartier font flipper. Pour une population très majoritairement noire, voir un groupe de black-blanc-beur peut surprendre. Beaucoup de voitures ralentissent quand elles passent à notre niveau et les gens que nous croisons nous interpellent. Certains nous demandent ce que nous faisons là, certains nous proposent même de la drogue, d’autres nous regardent d’un air très méfiant. Nous nous perdons.

Contrairement au centre-ville, personne ne nous aide pour trouver notre chemin et il n’y a aucune présence policière vers qui nous tourner. Je ne suis pas serein, je n’ai jamais connu ce sentiment dans un endroit public. Finalement, au bout de vingt minutes, on arrive soulagés dans les locaux de l’asso, une bâtisse avec une cour comprenant un terrain de basket. Ce qui m’interpelle, ce sont les grillages très hauts autour de la cour. La responsable est très chaleureuse à notre arrivée, mais nous dit de vite rentrer et d’éviter de rester dehors.

Les locaux de l’association sont chaleureux, colorés et les gens qui nous attendent sont souriants et heureux de nous voir. Ces gens ne voient pas souvent des personnes d’un autre quartier que le leur, alors imaginez voir des Français ! J’espère pour eux qu’ils ne s’attendaient pas à voir arriver le stéréotype : pas de béret ni de baguette sous le bras, mais plutôt une bande de banlieusards représentant la France. Salut Marine ! Des ateliers sont mis en place, sport à l’extérieur, activités manuelles à l’intérieur. Nous construisons avec les enfants des tours Eiffel en paille plastique. C’est marrant et créatif, ça nous permet de briser la glace avec eux. Pas de différences d’âge, de race ou de sexe, tout le monde participe.

Ensuite, après plus d’une semaine sans sport, j’ai des fourmis dans les jambes. Je passe sur le terrain de basket. Je me rends compte encore plus vite que je vais passer un sale quart d’heure vu le niveau des jeunes. C’est tout ce que j’aime des USA, le talent de la rue ! Après avoir joué, je leur propose de passer au foot. Ils acceptent et je me venge de la session de basket. Je passe un super moment, on oublie le quartier et l’atmosphère pesante, je me régale !

Dans le guetto, un jeune de 10 ans se drogue

Après avoir joué, je m’assois sur des marches avec trois jeunes. On discute NBA, Michael Jordan et rap US. Un quatrième jeune, entre 10 et 12 ans, s’arrête juste devant nous et nous fixe. Son regard paraît vide. Je l’invite à s’asseoir avec nous, mais il n’a aucune réaction et continue à nous fixer. Je lui redemande s’il veut venir, mais une des bénévoles de l’association me stoppe et me dit très gentiment que c’est un enfant qui a consommé de la drogue dans le passé et que sa santé et son comportement en sont modifiés depuis.

C’est comme un choc pour moi, je n’arrive pas à comprendre comment c’est possible qu’un enfant de cet âge puisse être drogué. On finit l’après-midi dans la bonne humeur mais je pense toujours à cet enfant. Je n’arrive pas à y croire, c’est comme si j’avais vu un dinosaure : un enfant de 10-12 ans drogué ?! Jamais j’ai vu ça en France.

Dans le quartier d’Awa, la Maison des Jeunes organise des séjours à l’étranger. Mais elle n’a jamais eu la chance de partir et constate qu’il n’y a que les garçons qui voyagent avec la « maison du quartier »

Cette expérience m’a permis de comparer ce que j’ai pu vivre en France, moi jeune français d’origine libyenne ayant vécu dans un quartier difficile de Toulouse, et ce que peuvent vivre les populations des ghettos américains. Les problématiques et les populations sont différentes. Mais plusieurs choses nous rassemblent : le fait de vouloir nous en sortir, d’être différents de par notre manière de parler ou de nous habiller, on aime les sports et les arts de la rue, on s’entraide et on rigole (beaucoup).

Une des réflexions majeures que je me suis faite à l’issue de cette visite, c’est que vivre en France est une immense chance ! Ce n’est que lorsqu’on quitte son pays qu’on voit la chance qu’on a d’y vivre.

 

Mehdi, 28 ans, salarié, Toulouse

Crédit photo Unsplash // CC Bruna Mattos

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