Clementine M. 16/10/2020

J’aimerais être cette bobo écolo féministe

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Sur le papier, Clémentine est écolo. Mais dans la vraie vie, au travail ou chez elle, c'est compliqué de consommer comme elle le voudrait.

Je vis dans une ville à la campagne. Dans une ville qui pourrait être un grand village, un grand village où tout le monde se connaîtrait. C’est peut-être le cas. Mais moi, je ne connais personne. Et personne ne me connaît. Je suis madame Tout-le-Monde. Je suis madame Personne. Anonyme. Alors que ma vie fait la une des journaux : charge mentale, burn-out, zéro déchet, France périurbaine… Je suis madame Tout-le-Monde dans une vie confortable et individualiste. Alors que je bosse dans le social. Je fais un travail qui a du sens à mes yeux, où je me sens vivante et utile. Un boulot où je flirte aussi en permanence avec la surcharge, la surchauffe. Mon mari fait un boulot qui, pour lui, n’a plus aucun sens. Et lui aussi flirte avec la surcharge et la surchauffe.

J’appartiens à la classe moyenne des bobos bio écolo. Des néoruraux ? Je veux consommer bio, local et zéro déchet. Mais sans faire la tournée des grands-ducs. Sans avoir à courir de l’Amap à la supérette bio, chez le boucher, le fromager, le boulanger… J’ai besoin que ça aille vite, je n’ai pas le temps. Alors, parfois, en quelques clics, je remplis un Caddie, je valide, je paie, j’ouvre le coffre de ma voiture. On le charge de produits suremballés, sans saison, sans saveur. Et je suis en colère. Je n’ai pas envie de filer mon pognon à la grande distribution !

Faire vite ou bien ? Manger mal ou mieux ?

Sur le papier, je suis féministe. Dans la réalité, je suis une ménagère de moins de 50 ans. Jusqu’à récemment, je croyais que l’égalité homme-femme existait. Dans la vraie vie, dans notre société et dans mon quotidien, elle n’est pas praticable.

Je veux être une maman parfaite, à la sauce éducation bienveillante et positive. Qui fait plein d’activités avec son enfant, comme sur Instagram. Mais je travaille à plein temps, et mon fils, finalement, je ne le fréquente que quelques heures par semaine. Je vote écolo et je roule en diesel. Parce que c’est moins cher. Et parce qu’avant on s’en foutait pas mal de polluer. Accro à internet et au téléphone portable, je prône sur mon compte Facebook un retour à la nature, à une vie simple et authentique. J’ai passé dix ans de ma vie à la fac, et le vendredi soir je me vautre dans mon canapé pour regarder Koh-Lanta en bouffant des pizzas. Je passe ma vie à culpabiliser, à faire des arbitrages : faire vite ou faire bien ? Consommer selon mes valeurs ou consommer facile ? D’occasion ou neuf ? Manger mal ou manger mieux ?

Je suis une écolo « schizophrène »

Je porte tout, je dois penser à tout. Être belle et intelligente. Parfaite. Une citoyenne engagée, une travailleuse acharnée, une mère baroudeuse, une femme épanouie. Et, surtout, je devrais prendre le temps et lâcher prise. Je veux tout, mais je vis dans une société où je fais son contraire. Une société qui m’invective, qui voudrait me faire croire qu’il en va de ma responsabilité personnelle de sauver le monde alors que ce devrait être une ambition collective.

Ce récit est un extrait de notre livre Vies Majuscules – Autoportrait de la France des périphéries, aux éditions Les Petits Matins. Loin des clichés, c’est la France des invisibilisé.e.s qui se raconte. Disponible en librairie !

Je suis une trentenaire « schizophrène », nous sommes plusieurs dans ma vie jonchée de paradoxes à jongler entre vouloir et pouvoir. Toutes nous aspirons à une société plus solidaire et plus respectueuse, socialement, écologiquement… Une société plus humaine.

On me parle d’une vie facile et confortable, jardins fleuris et coupés ras façon Desperate Housewives. On me parle de cette France-là, la France de la dolce vita, qui va au marché le dimanche matin. Mais ma réalité, ma vie à moi, elle est comme ça : je vis comme une Parisienne à Cournon-d’Auvergne.

Clémentine, 34 ans, Cournon-d’Auvergne

Crédit photo Unsplash // CC Noah Buscher

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2 réactions

  1. Article d’utilité publique!

  2. […] billet provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un dispositif média d’accompagnement à l’expression des […]

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