Célia O. 19/05/2021

Leurs hommes m’ont fait douter de l’amour

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Mariages arrangés, violences, relations extra-conjugales... Dans la famille de Célia, les femmes sont malheureuses avec les hommes. Est-ce ça l'amour ?

La vie des femmes de ma famille n’a pas été facile, on pourrait même dire qu’on a la poisse, surtout avec les hommes. Dans ma famille, il n’y a que des filles, hormis mon père, mon oncle et deux cousins. Nous devons être une quinzaine de filles. J’ai dû apprendre ce qu’est l’amour en les prenant comme exemples.

Commençons par mon arrière-grand-mère, qui s’est mariée à 14 ans avec un homme d’une trentaine d’années. Je n’en sais pas vraiment plus, je ne me souviens que de cette histoire d’âge. Ma grand-mère, elle, a épousé un homme qu’elle ne connaissait pas, mais j’espère qu’elle a été heureuse.

« Ne fais pas confiance aux hommes »

Sa fille, ma tante, a été en couple pour la première fois à 18 ans. Je n’avais que 5 ans à l’époque. Son couple a duré huit ans. Je pensais qu’elle allait se marier, mais ce n’est que quand j’ai eu 10 ans que j’ai compris que ce n’était pas la joie. J’ai vu ma tante rentrer de plus en plus tard. Parfois, je voyais des bleus sur son corps et elle me disait qu’elle s’était cognée. Mon esprit innocent la croyait. Jusqu’au jour où elle est rentrée avec une minerve et un hématome à l’œil et là, j’ai su. J’ai vu cet événement comme une leçon qui me disait : « Ne fais pas confiance aux hommes. Ils frappent les femmes. »

« Le cœur sur la table » est un podcast de Binge Audio qui questionne et réinvente l’amour. L’épisode 3 explore et déconstruit les mythes amoureux véhiculés dès l’enfance par les films, les chansons et livres pour enfants.

Une autre de mes tantes, un peu plus âgée, avait un copain et une meilleure amie. Un an après, ces deux-là étaient devenus une meilleure amie enceinte et un ex. Ironique. Aujourd’hui, elle a un fiancé mais ce n’est pas le mari parfait. Il coche toutes les cases du mari stéréotypé qui boit, ne fait rien, se dispute et la trompe. J’ai d’ailleurs été la personne qui a appris à ma tante qu’il l’avait trompée. Je n’avais pas envie de le lui dire mais je lui devais la vérité. On lui avait déjà trop menti.

Au tour de ma troisième tante ! Elle s’est mariée à 17 ans mais si elle avait su, elle n’aurait jamais signé à la mairie. Elle a eu son premier enfant à 19 ans. Puis, tous les quatre ans, un nouvel enfant. Elle est mère de trois filles et d’un garçon. Je pensais que ma tante, enfin une, avait rencontré son âme sœur, mais je me faisais des films, comme à chaque fois. Il s’est avéré qu’il avait une femme en France et une en Algérie… Il avait des enfants en Algérie qui avaient le même prénom que ses enfants en France… TRÈS CRÉATIF. Ce qui m’a le plus choquée, ça a été de voir le visage de ma cousine, sa fille, lorsqu’elle a vu son père embrassant une autre femme que sa mère sur les réseaux… Le couple a éclaté.

Ma tante s’est remariée mais ce fut encore un échec total, de courte durée heureusement. Je voyais souvent ma tante pleurer en cachette mais elle ne savait pas que j’étais là. Je me disais : « Encore une fois, les hommes trompent. »

Et les papillons dans le ventre ?

C’est ma quatrième tante qui m’a ouvert les yeux sur l’amour. Elle s’était mariée avec le patron du restaurant dans lequel elle travaillait après être tombée enceinte, et a eu un second enfant après ce mariage. Cela n’a pas duré. Elle s’est remariée quelques années plus tard. Elle avait une vie d’apparence heureuse, du moins c’est ce que je croyais. Je pensais qu’elle était la femme la plus heureuse du monde. Son mari lui achetait des chaussures, il était mignon avec elle. Un jour, j’ai demandé à ma tante pourquoi elle l’avait quitté. Elle m’a répondu qu’elle ne l’aimait pas. Simplement. C’est à ce moment-là que ma définition de l’amour, tirée des films romantiques, s’est effondrée. Je pensais que l’amour n’était que du bonheur à longueur de journée. Les disputes seraient rares, les moments en amoureux seraient fréquents, ainsi que les fameux « papillons dans le ventre ».

Ensuite, elle rencontra un autre homme et je revois alors son beau sourire. Mais ensuite, il s’est effacé à nouveau. Ma tante venait de faire une fausse couche, et son époux était méchant avec ses enfants précédents, mes cousins. Il s’est servi d’elle afin d’avoir la nationalité française. Encore une fois, je me suis dit : « Les hommes se servent de toi, fais attention. »

Avec quel parent j’irais s’ils divorçaient ?

Ma mère est la plus âgée des filles et la plus chanceuse. Elle est restée mariée au même homme pendant plus de quinze ans. Suite à ce qui est arrivé à mes tantes, je me disais parfois que ma mère restait avec mon père pour mes sœurs et moi. Un jour, elle m’a demandé avec quel parent j’irais si un jour ils divorçaient. J’ai répondu, un sourire aux lèvres : « Pourquoi tu dis ça ? Vous ferez la garde par alternance, comme tati. » Ensuite, on n’a plus jamais abordé le sujet. Aujourd’hui, je commence à la voir retrouver le sourire et être plus proche de mon père.

Ma cousine n’est pas passée à côté du fardeau familial. Elle était amoureuse d’un homme qui vendait de la drogue. Il avait un comportement assez violent et n’était pas assez bien pour ma cousine, selon ma famille. Elle l’aimait et a donc été rejetée par toute la famille pour ça. Est-ce un crime d’être amoureuse ? Elle a persisté. Son petit ami a changé de profession pour elle et a su gagner le respect de ma famille. Aujourd’hui, elle vit avec lui et nous lui rendons souvent visite.

Enfin, vint mon tour. Au fil du temps, ma définition de l’amour a beaucoup changé. Tellement changé qu’aujourd’hui, je ne saurais pas le définir. Je pense que je suis trop jeune et que c’est une perte de temps. Maintenant, je ne crois plus au mariage. Pourtant, je sais qu’un jour je vais me marier et avoir une famille, mais cela me semble tellement loin et inaccessible. Je pars du principe que si je me marie un jour, ce sera forcément par amour, mais comme je ne sais pas ce qu’est l’amour, cette question me trouble.

Je tiens les hommes responsables de ce qu’ont enduré mes ancêtres

Un jour, j’ai essayé d’être amoureuse mais j’ai blessé la personne. Je crois que je m’en voudrais toute ma vie. C’était mon meilleur ami. Il m’aimait. À force de recevoir des réflexions d’amis en commun, nous avons essayé de sortir ensemble. Je pense que j’ai essayé de transformer de force une relation d’amitié en amour. Mais ça n’a pas marché.

Au fond de moi, je crois que j’ai peur qu’il m’arrive la même chose qu’aux autres femmes de ma famille. J’ai peur de souffrir mentalement ou physiquement. Peur de me faire rejeter par mes proches. Peur de la solitude. J’ai tout simplement peur de l’amour et de l’engagement. Si j’évite les hommes ou le sentiment amoureux, c’est parce que j’ai peur des hommes et je n’ai pas confiance en eux. Je les mets tous dans le même panier et je les tiens pour responsables de ce qu’ont enduré mes tantes et mes ancêtres.

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On connaît tous cette fameuse histoire d’amour, celle du coup de foudre au premier regard. Je mentirais si je disais que je déteste ça. J’en suis assez fan, même si je n’y crois pas vraiment. Ça me permet de rêver un peu. Mais je garde espoir : il me reste encore un tas de choses joyeuses à vivre, pourquoi pas amoureuses ?

Célia, 16 ans, lycéenne, Marseille

Crédit photo Unsplash // CC Henri Pham

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