D’une ferme en Égypte à un lycée pro parisien
Quand j’étais en Egypte, mes parents me disaient tout le temps : « Il ne faut pas rester en Egypte, il faut partir d’ici. En Egypte c’est trop dur, t’auras pas de travail, t’auras pas d’argent, tu trouveras pas d’appart’ pour toi quand tu seras grand. Il faut que tu partes en France, là-bas y’a du travail, là-bas le futur est mieux qu’ici. »
Mon père, je ne le voyais pas beaucoup, il partait à 6h30 et revenait à 21h. Il travaillait dans une ferme à Aboukir. Ma mère, elle, ne travaillait pas. Mes frères et sœurs allaient au collège-lycée dans une autre ville grâce à la voiture de mon père, mais il n’y avait que deux places et c’était 2h30-3h pour y aller. Alors moi, j’avais 13 ans et je n’allais pas à l’école.
Le 9 septembre 2015, j’ai quitté l’Egypte. J’étais en train de dormir, mon père est venu me réveiller, il m’a dit : « Lève-toi, tu vas partir, quelqu’un t’attend. »
On est allés à Alexandrie pour prendre le bateau. Mon père m’y a accompagné, après il m’a dit : « Fais attention à toi et appelle-moi dès que tu es arrivé en France. »
« N’aie pas peur, on va réussir »
J’avais peur de mourir dans l’eau, on était dans un tout petit bateau avec beaucoup de monde dedans, j’avais peur que le passeur me laisse dans l’eau. Mais j’étais avec un copain que je connaissais. Il avait un an de plus que moi, lui non plus n’allait pas à l’école. Au moins, je connaissais quelqu’un, il me disait « N’aie pas peur, on va réussir ».
On a mis 4h30 pour aller au grand bateau. Dès qu’on est arrivé, le monsieur nous a tous mis dans une chambre bizarre tout en bas, on voyait de l’eau à travers les hublots.
On est resté deux semaines, on ne mangeait pas bien, du pain au fromage. Parfois on ne mangeait pas du tout, on buvait juste de l’eau. Le matin, on travaillait sur le bateau. Enfin, on faisait semblant d’être des pêcheurs pour pas que les contrôleurs nous choppent. On avait peur qu’ils nous fassent retourner en Egypte. À un moment, quelqu’un est tombé dans l’eau et on n’a pas réussi à le sauver… Une semaine plus tard, la Croix-Rouge italienne est venue nous chercher sur le bateau. Ils nous ont tous mis dans un foyer en Italie. J’étais rassuré d’être arrivé jusque-là. Je suis resté deux jours, jusqu’à ce qu’un mec de la Croix-Rouge me dise « Quelqu’un veut te parler ».
« Viens on va à Paris ! »
Un monsieur est arrivé, que je ne connaissais pas, et il m’a dit : « Je connais ton père, viens on va à Paris. » Puisqu’il connaissait mon père, je l’ai suivi. On a pris le train. Je ne sais pas par quelles villes on est passés, mais ça a duré presque une journée.
Arrivé à Paris, on a pris le métro jusqu’à un grand marché. L’ami de mon père m’a laissé dans une association. « Tu vas venir avec nous, tu vas dormir dans un foyer d’urgence à Alésia, le temps qu’on trouve un foyer pour toi. » J’ai été placé là-bas, et j’y suis resté trois mois. On faisait des activités, on allait au cinéma, on sortait au bowling, au laser game, à la Tour Eiffel avec les accompagnateurs. C’était quand même bien. J’ai rencontré des amis avec qui on s’amusait, ils venaient d’Algérie, du Maroc, de Tunisie, on était tous mineurs.
Après, j’ai été placé dans un autre foyer, dit «normal». Je suis dans une chambre tout seul. On a une salle d’activités. Pendant les vacances, on part dans des colonies pour faire du ski, ou aller à la plage. C’est eux qui s’occupent de tous les papiers pour que je puisse rester, ils m’ont dit : « Si tu ne fais pas de bêtises et que tu travailles, tout ira bien. » Alors j’ai enfin pu appeler mon père : « Je suis bien arrivé, tout va bien ne t’inquiète pas, les gens sont trop sympas ici, à bientôt. »
Yassin, 15 ans, lycéen, Paris
Crédit photo Pxhere // CC0
Quel parcours ! Bravo à toi !