Guinée-France : sur la route, sans argent
Ce qui m’a fait quitter la Guinée, c’est qu’après que ma mère et mon père sont décédés, je suis parti vivre avec ma belle-mère. Mais j’étais son esclave de maison. Je faisais tout : je lavais les habits de ses enfants, je nettoyais la maison, je faisais la vaisselle. Tous ses enfants allaient à l’école. Moi, j’avais abandonné mes études parce que je ne pouvais pas les payer et elle ne me donnait rien. Alors, j’ai demandé au voisin de m’aider : « Si je ne quitte pas la maison, on va me tuer. » Il a dit ok et un jour, il m’a dit : « Il faut te préparer, on va en route. » J’ai dit : « D’accord, je viens. » J’avais 12 ans. Je suis parti sans rien, deux pantalons et deux t-shirts dans mon sac, mais pas d’argent.
Demander de l’argent pour manger
Je suis arrivé à la gare routière au Mali. Mon voisin m’a donné 2 500 francs CFA [moins de 4 euros] pour manger. Je n’avais pas d’argent parce que je connaissais personne. Avec ça, j’ai mangé pendant deux jours. Après deux jours à la gare, j’ai vu un monsieur, Amadou, je l’ai salué et je lui ai expliqué mon histoire. Il m’a amené chez lui, avec sa famille. Il était maçon. Je suis resté cinq ou six mois, il me traitait comme ses propres enfants. Il me payait 1 200 francs CFA par jour pour travailler avec lui, et comme je n’avais pas besoin de payer à manger, je les gardais. J’ai économisé 150 000 francs CFA [environ 230 euros] en six mois avant de partir à Gao.
Quand on a essayé de passer à Gao, avec cinq amis du Mali, les rebelles nous ont attrapés. Ils nous ont demandé 50 000 francs CFA, sinon ils nous tuaient. Je leur ai donné et on m’a donné une carte rouge pour que les rebelles d’Azawad [au nord du Mali] ne nous fassent pas du mal.
À Azawad, on a présenté la carte rouge. On nous a mis dans un coin. Au Mali, j’avais acheté un peu de biscuits et de l’eau. On nous a mis dans un camion pour partir en Algérie. Arrivé en Algérie, je suis allé directement au Maroc. Je suis resté deux mois, mais je n’avais plus d’argent. On était dans la forêt à Nador, donc on allait en ville faire « le salam », ça veut dire aller demander de l’argent aux gens pour manger. Parfois des gens nous donnaient 2 ou 5 dirhams. Avec ça, on pouvait acheter des sardines, du pain. Si on partait pour la journée, parfois on récupérait 20 dirhams [1,80 euro].
« Je suis venu ici, je connais personne, tu peux m’aider ? »
À Nador, j’ai rencontré des gens qui allaient à la mer pour partir en Espagne. Ils étaient en train de courir, alors j’ai couru pour partir avec eux. Ils étaient en train de monter sur le zodiac, alors moi aussi, je suis monté. On a été malins, on n’a pas payé pour le passage. Mais on a attendu d’arriver en Espagne pour être contents, car sur l’eau, c’était difficile.
En Espagne, on était dans un camp. Le jour où on est arrivés, on nous a donné deux pantalons et deux pulls, parce qu’il faisait froid. On avait à manger, mais pas beaucoup. On avait faim quand même. Au bout d’un mois, je suis parti en France. À la frontière, on s’est séparés avec mes amis, parce qu’on n’avait pas les documents pour passer. Moi, j’ai sauté dans le train, sans billet ! J’ai appris à passer en douce pendant mon trajet. Je suis entré dans les toilettes et j’ai fermé à clé.
En France, à la gare, je ne connaissais personne. J’ai vu un monsieur et je lui ai dit : « Je suis venu ici, je connais personne, est-ce que tu peux m’aider ? » Il m’a amené à la mairie et la mairie m’a mené à la Croix-Rouge. Merci.
Moudji, 15 ans, en formation, Paris
Crédit photo Flickr // CC EU Civil Protection and Humanitarian Aid Operations