J’ai lâché mon CDI à Paris pour faire du maraîchage
Il y a quelques mois encore, j’étais consultante dans une société de services, en mission en tant que product owner dans une entreprise d’expertise en assurance. Aujourd’hui, je quitte mon CDI à Paris pour faire du maraîchage. Si on m’avait dit que j’en serais là quand j’avais 15 ans, alors que je n’avais absolument aucune idée de ce que je voulais faire comme métier « plus tard », je ne l’aurais pas cru !
Je n’ai pas choisi mes études ou mon métier par passion. Je n’ai jamais eu de vocation. À chaque fois que je devais faire un choix dans mon orientation, je ne me faisais pas confiance et je pensais naïvement que les adultes savaient mieux que moi.
Avoir un métier pour être indépendante
Je suis entrée en prépa littéraire avec mon bac mention très bien en poche sans savoir ce que je faisais là. Sans ambition, je ne briguais pas les grandes écoles, je faisais tâche ! Je suis partie au bout d’un mois pour m’inscrire à la fac de Reims, en licence d’anglais. Après ma licence, vu que je ne savais toujours pas quoi faire. Donc, je me suis inscrite en master recherche. Je ne m’y sentais pas à ma place. Du coup, j’ai laissé tomber pour faire un master pro dans les métiers du web. Après mon stage de fin d’études et un an au Canada, j’ai eu une opportunité dans la start-up où j’avais fait mon stage à Paris, d’abord en CDD puis en CDI. C’est comme ça que j’ai atterri dans le web.
À la rentrée 2012, j’ai commencé ma carrière en tant qu’éditrice de contenu, puis je suis passée chef de projet éditorial. Le secteur était porteur, alors je me suis dit : « Pourquoi pas ? » Il fallait bien que je bosse pour gagner ma vie. J’avais arrêté de chercher la passion : mon seul objectif était d’être indépendante, d’avoir un travail, un salaire.
Au début, j’étais ultra motivée. J’avais envie de faire mes preuves, d’être douée dans mon métier. Et surtout, j’avais besoin de reconnaissance. J’étais fière d’évoluer dans un milieu innovant et de participer à quelque chose qui semblait important. Après deux ans dans l’éditorial, et pas mal de conflits avec mes deux managers, j’avais envie d’autre chose. J’ai suivi deux formations en parallèle de mon temps plein pour décrocher un poste de chef de projet informatique en interne. À ce moment, j’ai vraiment cru que j’avais trouvé LE métier qui me correspondait. Mais l’ambiance de la boîte a beaucoup changé, et j’ai fini par en avoir marre. J’ai posé ma démission en 2016 pour intégrer une boîte de consulting.
En théorie, j’avais une vie « bien comme il faut »
Partout le même constat : l’organisation des équipes est catastrophique, les budgets sont dilapidés dans des projets mal étudiés. Aussi, la majorité des managers n’ont aucune qualité humaine. Certaines boîtes veulent se donner une image jeune, faire comme s’il n’y avait plus de hiérarchie, ils mettent un babyfoot dans la salle de pause et pensent que ça suffit à rendre les salariés heureux de venir bosser ! En réalité, c’est un vernis, il y a toujours aussi peu de place pour l’écoute, l’empathie, le droit à l’erreur ou la transparence.
Les Paumé.e.s, c’est une communauté de gens en quête de sens dans leur vie professionnelle et personnelle. C’est aussi un podcast avec des témoignages de personnes en reconversion. Et ça donne envie de tout plaquer !
Fin 2017, j’ai cherché un poste similaire dans des boîtes plus en accord avec ces valeurs. J’ai décroché quelques entretiens, dont un dans une boîte de développement durable, avant de découvrir qu’elle avait été rachetée par Total ! Je n’en pouvais plus de cette hypocrisie. Tout ça a questionné ma motivation profonde, et surtout le sens de mon travail. Effectivement, passer des heures en réunion pour développer une énième application me semblait soudainement complètement ridicule. J’étais malheureuse, alors qu’en théorie j’avais une vie « bien comme il faut ». Ça a été long de sortir de ça.
Nourrir les gens tout en respectant la nature ?
Mes valeurs et ma personnalité cadraient de moins en moins avec ma vie professionnelle. Déjà, en 2013, quand les médias ont parlé des perturbateurs endocriniens présents dans les cosmétiques, j’ai commencé à m’interroger. Je me suis intéressée aux produits bio. C’était comme tirer le fil d’une pelote : j’ai regardé des documentaires sur la santé (« Cholestérol : le grand bluff »), l’alimentation (« Cowspiracy »), l’environnement (« Plastique : la grande intox »), les dérives de la mondialisation (« Nestlé et le business de l’eau en bouteille »), la finance (« Les gangsters de la finance »)… J’ai pris conscience que je cautionnais tout ce qui allait de travers dans la société. Non seulement mon job n’était pas indispensable, mais en plus il faisait partie d’un système qui broie les individus pour enrichir une poignée d’individus.
Ce qui a incité Pauline à faire du wwoofing ? Beaucoup de docus ! Celui sur le plastique de Cash Investigation est en libre accès sur Youtube !
J’ai changé entièrement ma manière de consommer, de me nourrir. Avant, j’achetais des trucs sans me poser de questions, comme la majorité. Je suis devenue végétarienne, j’ai privilégié les produits non transformés, le bio, le local, de saison. Bref, je suis devenue ce qu’on appelle une « écolo » ! Une amie m’a entraînée dans un cercle zéro déchet. Je sentais que la nourriture était une des questions centrales qui m’animaient : comment bien nourrir les gens tout en respectant la nature ?
Dans les reportages que je visionnais, il y avait des témoignages de gens qui s’étaient reconvertis ou qui avaient tout quitté pour vivre une vie plus résiliente, en accord avec la nature, comme dans « Le champ des possibles ». En voyant ça, j’avais des étoiles dans les yeux. Je ne me souviens plus quand ni comment, j’ai entendu parler du wwoofing, qui consiste à aller travailler bénévolement dans une ferme en échange du gîte et du couvert. Mais j’ai su que je voulais essayer. En juillet 2017, j’ai posé des vacances et je suis partie deux semaines en Ardèche chez un couple qui avait un éco-camping et un potager en permaculture. J’ai découvert une façon de vivre complètement différente de la mienne, ça m’a vraiment bousculée dans mes certitudes.
En wwoofing chez un maraîcher bio, j’ai pris ma claque
L’idée de changer de vie me séduisait de plus en plus, mais je n’étais pas prête. L’année suivante, en septembre 2018, je suis partie deux semaines chez un maraîcher bio en Normandie et là, je me suis pris une grosse claque. Pour la première fois, j’ai eu la conviction profonde que j’étais au bon endroit, à faire quelque chose qui avait du sens pour moi. J’ai pris la décision de quitter mon travail dans le train qui me ramenait à Saint-Lazare.
Sarah s’est orientée dans l’humanitaire dès son master, pour avoir un métier qui ait du sens. Mais contrairement à ses attentes, son travail n’avait pas grand chose d’humain…
Maintenant, j’ai envie d’apprendre à nourrir les gens. Au sens littéral, produire de la nourriture pour donner à manger, mais aussi nourrir l’âme. La nourriture psychologique est aussi importante que la nourriture physique. Je veux que mon projet reflète ça. Je vais continuer à faire du wwoofing pour voir d’autres activités que le maraîchage et ensuite, j’aimerais bien faire une formation longue comme le BPREA (Brevet Professionnel Responsable d’Entreprise Agricole). Il y a tellement de choses à apprendre ! Mon grand-père était boulanger. Je me rappelle que mon père disait : « C’est un beau métier de nourrir les hommes. » Ce genre de petites phrases m’a marquée. Ça a planté une graine.
Pauline, 30 ans, en reconversion, Bétheny
Crédit photo Unsplash // CC Timothy Meinberg