« Je suis Charlie » parce que « Je suis humain »
Depuis bientôt une semaine les trois mots « Je suis Charlie » sont inscrits partout : sur les réseaux sociaux, dans la rue, sur le sable, dans la neige, et surtout dans nos esprits. Mais dans le fond, que signifient-ils ? Le soutien au journal satirique, Charlie Hebdo et le soutien à la liberté d’expression, à la liberté de la presse ! Oui mais je pense que dire « Je suis Charlie » peut signifier quelque chose d’encore plus grand, plus universel. Pour moi, ça signifie « Je suis humain ».
À mon sens, c’est une formule que l’on a peu retrouvée tout au long de cette semaine éprouvante. Laissons de côté nos religions et nos nationalités. Ce qui compte, c’est que nous soyons tous égaux, car nous sommes tous des êtres humains. En tuant des innocents qui ont « insulté le prophète », les terroristes ont oublié que derrière des gars moqueurs se cachaient des Hommes.
On ne peut pas prétendre aimer un Dieu sans aimer les autres êtres humains. Quel est le but de la religion ? D’unifier les individus sous une même communauté : chrétienne, bouddhiste, musulmane, juive. Mais en aucun cas – contrairement à ce que l’Histoire nous révèle – la religion n’a pour principe d’éliminer ceux qui pensent différemment.
Les croyants devraient se rendre compte qu’ils sont tous d’accord : ils pensent tous qu’un Être supérieur existe. Ils diffèrent seulement dans leur façon de le vénérer.
Un seul camp celui de l’Humanité
Partout dans le monde j’ai eu l’impression que la planète entière communiait, vivait ensemble. Les frontières n’existaient plus. Et je ne comprends pas pourquoi les frontières existent en réalité. Pourquoi devrions-nous séparer des gens parce qu’ils ne parlent pas la même langue ou n’ont pas la même histoire ? Pourquoi est-ce que les gens ne se tiennent la main que lorsqu’une horreur se produit ? A l’heure de la mondialisation plus qu’avant, nous sommes tous liés par les moindres micro-événements.
L’amour doit être au cœur de nos vies. Oui, c’est très « fleur bleue » de dire ça, mais je pense qu’on ne le dit pas assez. Si, au quotidien, nous vivions tous en pensant que les inconnus que nous croisons dans la rue sont des gens bienveillants vers qui nous devons aller, alors nous ne nous méfierons de personne.
Chacun doit affirmer son amour pour celui qui est différent. Je n’aime pas les religions, mais j’aime ceux dont les actions généreuses sont dictées par la religion. La religion est censée rendre les gens plus tolérants et bienveillants à l’égard de leur prochain.
Je pense que ce qu’il est essentiel de dire aujourd’hui, c’est que c’est l’identité de chacun qui est en jeu. En s’accrochant à une religion, et d’autant plus à une forme de sectarisme, ou bien en se cramponnant à une nationalité, nous avons l’impression de garder notre identité intacte, voire que nous la renforçons.
Il est donc facile pour des gourous, des manipulateurs, de flatter l’identité de chacun en jouant sur la peur et les angoisses des individus. Il est facile de d’exposer une vision binaire du monde : « C’est eux contre nous, donc choisis ton camp. » Or, il n’y a pas de camp. Le seul camp, c’est celui de l’Humanité.
À mon sens, c’est cela qu’il faut garder en mémoire pour l’avenir.
Le Front National affronte, au lieu de tendre la main
C’est en se souvenant de cela que l’on comprend pourquoi mettre le bulletin du Front National dans l’urne n’est pas une bonne idée. Car le Front National est un front, ce n’est ni une union, ni un rassemblement. Le Front national affronte les autres au lieu de leur tendre la main.
Appeler les Français à manifester ailleurs qu’à Paris, car on se sent mis à l’écart, c’est jouer la carte politicienne, c’est-à-dire se mettre au centre du jeu. Les gens n’ont pas manifesté en portant leurs couleurs politiques, religieuses ou nationales.
Appeler – même pas 24h après l’attaque à Charlie Hebdo – à un référendum sur la peine de mort, c’est remettre en cause les valeurs de l’État de droit dans lequel nous vivons. Revenir sur quelques aspects du droit à l’avortement, ça s’appelle être réactionnaire, à savoir, vouloir revenir en arrière. Vouloir un renforcement des lois antiterroristes, à l’instar du « Patriot Act » américain, c’est accorder plus d’importance à la sécurité qu’à la liberté.
Comme l’a dit la fille de Wolinski : « Je voudrais vraiment qu’on ne vote pas Le Pen après. » Car un tel choix, ce serait tomber dans la peur de l’autre et le sentiment d’impuissance. Or nous ne sommes pas seuls, car nous formons tous l’Humanité.
Eléa, 21 ans, étudiante en sciences politiques, Paris
Illustration : Baptiste Sanchez, 19 ans, ex-KaBoom, Île-de-France