Le féminisme est aussi une lutte des classes
Etre régulièrement insultée de tous les noms d’oiseaux lorsque je sors, j’ai l’habitude, mais depuis quelques mois c’est également le cas sur les réseaux sociaux ou même par mails. Cela, par des gens qui s’autoproclament intellectuels du net. Plutôt surprenant, pour des personnes qui se présentent, a priori, assez réfléchies.
En France, une sévère misogynie
Je n’aurais pas été surprise de faire les frais de jugements phallocrates dans des pays à forte tradition ou très imprégnés par la religion étant donné qu’aujourd’hui encore, la place des femmes y est très réduite. Mais certainement pas ici en France, pays dans lequel ma mère avait espoir de nous délivrer, surtout nous ses filles, de l’obscurantisme algérien, de l’enfer du code de la Famille et surtout du code des traditions, de l’honneur et de la pudeur. Naïve que je suis.
Dans cette société ultra conditionnée par le capitalisme et la publicité (la réclâââme), la misogynie est aussi, sinon plus, sévère que « là-bas ». En effet, une réelle dichotomie est opérée entre la femme pensante et la femme physique, alors que pour les hommes la question ne se pose même pas. L’homme est séduisant et intelligent, les gens l’admirent pour cela, c’est normal, alors que la femme, elle, ne peut se montrer ainsi. Si elle a le malheur de prendre soin d’elle alors qu’elle dénonce le patriarcat, voilà qu’on l’accuse de cultiver celui-ci.
Gagner le respect, habillée comme je l’entends
Est-ce condamnable que d’être maîtresse de son corps ? Trop semblent oublier que la lutte contre le patriarcat n’est pas « une ». La libération contre la puissance paternaliste est propre à chaque femme. Pour moi par exemple, c’est faire le choix d’être libre de faire ce que je veux sans être jugée. Me maquiller, m’habiller comme je l’entends. En somme, m’assumer, ce qui n’est pas chose aisée sachant que j’ai grandi en Algérie et qu’entre l’éducation islamique imposée, le Code de la Famille et la propagande omniprésente, être femme et féminine y est un vrai combat. La femme doit être pudique, et discrète : transparente en fait.
Notre sort, le mien comme celui de mes consœurs immigrées de ces pays, aurait été le même si nous n’avions pas quitté le territoire : mariées très tôt, probablement mères à l’heure qu’il est, apprêtées uniquement entre quatre murs pour nos chers et tendres. Nous, féministes des pays du Maghreb ou du Moyen-Orient, avons un combat qui nous est propre.
Si dans les couloirs feutrés de Science Po certaines femmes se battent pour garder leur voile, nous, femmes venues de ces pays où il n’y a aucune liberté pour la gent féminine et où celui-ci est même imposé, notre combat est celui de la libération du corps et de l’esprit. Et maintenir cette liberté en gagnant le respect, habillée comme je l’entends, à midi ou à minuit, est pour moi une priorité dans le pays des Droits de l’Homme.
Féminine et féministe
En France, une femme qui donne son opinion doit – et je caricature à peine – porter les cheveux courts, ne pas être maquillée et s’habiller comme un sac de sorte à ressembler au couillu. Bien sûr ! Une femme qui pense, en soi ce n’est pas une femme, elle a en fait des traits masculins. C’est bien connu, une femme qui fait le choix d’être féminine est déterminée par ce choix : c’est forcément une potiche ou une salope. Qu’elle ait une opinion ou pas, on la réduit au stéréotype de femme simplette et superficielle. Depuis quand est-on conditionné par son image ? Qu’est-ce que c’est que cette vision réductrice et autocentrée dans laquelle se maquiller, porter une paire de chaussures à talons ou encore poster des photos nous conduit à être étiquetées « filles simples » ? Etre féminine n’est pas l’antithèse du féminisme, et inversement.
Il y a une grande hypocrisie dans ce pays : je vois ces trois vieilles Grâces appelées Liberté, Egalité, Fraternité, et je ne peux que constater que certains veulent toujours avoir mainmise sur le corps des femmes. Ils se cachent derrière soi-disant le développement de l’individualisme narcissique parce qu’en réalité ils n’assument pas que c’est l’image de femme libérée qui les gêne terriblement. Et c’est drôle parce qu’il y a quelque temps, Amina, la pro Femen tunisienne, avait été arrêtée pour avoir tagué « Femen » sur le mur d’une mosquée. Je me disais alors qu’il n’y avait même pas besoin de montrer son torse pour faire des vagues dans l’océan du sexisme. Mais ici ce n’est guère mieux : une femme qui s’habille et se maquille comme elle veut, maîtresse de son image, de sa parole et de ses actes dérange au plus haut point ceux qui veulent avoir le monopole du corps des femmes et de la pensée. Ce temps est révolu…
Aujourd’hui plus que jamais, nous voulons être libre et ce, à tous les plans. Le féminisme est aussi une lutte des classes. A bon entendeur…
Sophia, 23 ans, bénévole à l’Afev, animatrice du blog la petite robe rouge, Marseille
Crédit photo Flickr / Eric Milet
Ton article est très bien écrit mais je ne suis pas entièrement d’accord avec toi : je ne pense pas que la situation des femmes en France soit aussi pénible que celles des femmes en Algérie. Et en France, une femme a le droit, en général, de se maquiller et de porter des talons sans être stéréotypés, sauf par quelques idiots.
Bien sûr, on subit régulièrement du harcèlement de rue, des réflexions de mecs minables qui veulent nous draguer. Mais, entre être ennuyée par QUELQUES idiots dans la rue de temps en temps, et se faire arrêter ou attaquer, il y a un grand pas, quand même.
Ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas parce qu’il y a quelques crétins machos que c’est la majorité.