Mon premier contact avec la police : sept points de suture
Sept points de suture. C’est pas normal. Pourtant, c’était censé être un jour normal. J’étais avec un pote, près de chez nous dans le premier arrondissement de Paris. On a rencontré une de mes connaissances qui m’a engrainé. Il m’a poussé à faire une bêtise. Ni petite, ni grosse, genre plutôt moyenne. J’ai pas envie de raconter ce que c’était mais, avec le recul, je me dis que j’aurais vraiment pas dû m’embarquer dans cette histoire. Et les policiers ont débarqué.
Bref, on était en train de faire notre truc vers le métro Saint-Placide. Cinq policiers en civil ont essayé de m’interpeller. J’ai couru tout droit sur le Boulevard Raspail mais un condé m’a suivi. Il courait trop vite, si je continuais tout droit j’allais être épuisé. Donc j’ai voulu l’esquiver en feintant de tourner à gauche pour ensuite partir à droite, trouver un métro. Mais là, à peine j’ai fait un pas sur la gauche, j’ai pris la matraque sur le front. Et un autre coup sur la cuisse. J’ai pas senti les coups mais j’me suis jeté par terre parce que j’avais peur d’en prendre d’autres. Je lui ai crié d’arrêter. J’ai trop regretté d’avoir feinté. Si ça se trouve j’aurais pu le semer.
Me frapper pour que j’arrête de crier
Sur le trottoir, je saignais sur ma veste blanche. Là j’ai vu un deuxième condé arriver. Il était pas vraiment rapide celui-là. Je criais « aïe » super fort alors que j’avais même pas mal. Y a un stade à mon avis où, quand la douleur elle est trop forte, tu la ressens plus. Ils se sont mis à me frapper pour que j’arrête de crier. Autour, y avait une dizaine de gens qui filmaient la scène. J’me souviens à ce moment-là d’avoir pensé que j’allais passer à la télé genre bavure policière… et que ma mère elle allait avoir pitié de moi et donc pas m’engueuler pour ma bêtise. Mon cul !
Le documentaire « Police, illégitime violence » interroge les tensions entre la police et les jeunes des quartiers populaires. Partant d’une plainte collective émise en 2015 par des jeunes du 12ème arrondissement contre une brigade de police, le réalisateur met en lumière les dessous de ces violences.
https://www.youtube.com/watch?v=dPwGmoMq6iM
Les condés, ils ont dit aux gens qui filmaient que j’étais tombé. Ils ont appelé les pompiers en disant que je m’étais « emmêlé les pattes » et que je m’étais éclaté le front sur le trottoir. Quand les pompiers sont arrivés, ils m’ont mis dans leur camion et m’ont emmené dans un hôpital du quatorzième. J’pensais que j’allais être pris en charge tout de suite mais en fait j’suis resté une heure assis en salle d’attente avec trois policiers autour de moi. À un moment, j’ai demandé à aller aux toilettes. J’voulais essayer de m’enfuir par la fenêtre mais y en avait pas… et en plus les condés sont restés devant la porte.
J’ai même pensé à faire l’amnésique mais après je me suis dit que ça servait à rien. On a dit mon nom donc j’suis allé dans la salle du médecin. Là aussi j’ai pensé à me barrer. Mais les portes fenêtres étaient fermées. On m’a fait respirer un gaz hilarant. Ça m’a rien fait, juste entendre les gens comme des robots et les voir flous. Le médecin m’a recousu : sept points de suture. J’avais un sacré cratère ! J’aurais bien voulu voir, j’ai demandé au médecin de prendre une photo de mon crâne mais il a oublié.
Le condé voulait pas m’écouter
À l’hôpital, ma mère est venue me voir. Elle m’a demandé pourquoi j’avais fait ça. Sur le coup, j’ai voulu inventer un truc mais j’ai pas pu. Donc j’ai pas répondu. Ensuite ils m’ont traîné au commissariat. Ils m’ont mis dans une cellule, ça puait le pipi. C’était sale, avec de la nourriture par terre. De base c’était une cellule pour trois mais ils m’ont mis tout seul, j’ai eu de la chance. J’me suis posé sur le petit matelas, une sorte de banc. Au bout de deux ou trois heures, ils ont ramené du riz méditerranéen que j’ai jeté par terre.
Après, ils m’ont emmené dans un bureau pour que je raconte ma version des faits. J’ai avoué la bêtise que j’avais faite. Pour ma blessure, j’ai dit que les policiers m’avaient mis un coup. Mais le condé il voulait pas m’écouter : « Non non, j’ai travaillé avec eux, ils feraient pas de mal à une mouche », il a dit avec son accent marseillais. Il me foutait trop la rage. Vers 4h du matin, ils m’ont réveillé pour prendre mes empreintes. J’faisais exprès de mal donner mon doigt mais ils ont quand même réussi. Au bout de 48 heures, j’ai pu sortir de GAV.
À cause d’un vol de scooter, Kanye a fini en garde à vue. Il a pris conscience des conséquences que ça pouvait avoir, et ça lui a servi de leçon : « Finir en garde à vue, ça m’a calmé »
Quand j’suis rentré chez moi, j’ai pris ma meilleure douche parce que je me sentais trop sale ; j’avais encore du sang séché sur les cheveux. Ma mère est venue me parler pendant 1 heure 30, elle m’a presque fait pleurer. « Tu n’as plus le droit à l’erreur mon fils. Sinon je t’envoie à l’internat en Côte d’Ivoire ! », elle m’a dit. J’ai réussi à lui faire comprendre que c’étaient les policiers qui m’avaient frappé. Eux, ils lui avaient dit que j’étais tombé. Ça l’a calmée un peu. Une semaine après j’me suis pris un sermon par mon père. Mais vu que j’avais une sale balafre sur le front, ça a un peu atténué les choses.
Dénoncer les policiers ? Ça sert à rien
Le 5 novembre, j’étais convoqué au tribunal pour enfants de Porte de Clichy. Mais la veille, j’ai appris par mon avocate que mon dossier avait disparu. Elle n’en revenait pas, c’était la première fois que ça lui arrivait dans sa carrière. Du coup, j’ai jamais été convoqué. Peut-être que les policiers ils ont eu peur que je dénonce leur bavure ? En vrai, j’allais même pas en parler au juge. Ça sert à rien. Face à eux, un mec jeune et noir, ça perd tout le temps. Comme dans l’affaire Théo : alors que tout les accusait, les policiers n’ont presque rien eu. C’est normal vu que la police des polices, ça reste toujours des policiers.
Bref, j’suis resté comme ça, sans être jugé mais avec ma cicatrice sur le front qui partira jamais. En vrai ça m’a bien calmé. À chaque fois que je la regarde, je repense à la garde à vue, et je me dis que je veux plus jamais y retourner.
Driss, 15 ans, lycéen, Paris
Crédit photo Unsplash // CC ev
Bonjour,
Merci pour ce témoignage.
Du coup, on s’interroge : s’il n’y avait aucune violence policière, si la cellule était propre, la bouffe bonne, s’il n’y avait pas de balafre, auriez vous recommencé ?
Ou est ce que juste la morale parentale aurait suffi ?