Tout ce que m’ont appris… mes mamies
« C’est injuste. » Voici la seule et unique phrase que j’ai répétée les mois qui ont suivi leurs morts. Février 2016, en une semaine, j’ai perdu mes deux grands-mères.
Je ne me souviens pas des dates précises, et finalement ce n’est pas plus mal. Je n’ai plus de grands-pères non plus, mais cela ne m’affecte pas vraiment. Décédés quand j’étais petite, je n’en ai aucun souvenir. Quelques flashs de temps en temps.
Mes grands-mères vivaient à Narbonne. On les appelait Mamie Choupette et Mamie Boum. Mamie Choupette avait un chat qu’elle avait nommé ainsi, et Mamie Boum tombait très souvent.
Pas besoin de beaucoup pour être heureux !
Mamie Choupette était toujours souriante et positive. Elle nous communiquait sa bonne humeur et tout l’amour qu’elle nous portait. J’adorais lorsqu’elle me racontait son enfance, ses anecdotes, sa première rencontre avec notre grand-père. J’aimais son rire, sa coquetterie, sa voix lorsqu’elle se mettait à chanter, la douceur de ses mains et ses câlins remplis de tendresse.
Mamie Boum était pleine d’énergie, très dévouée et généreuse. Elle nous impressionnait ! À 80 ans passés, elle était capable de crapahuter dans les bois pour chercher des cèpes sans être épuisée. Elle nous cuisinait aussi de bons «petits » plats. Elle voulait toujours que nos estomacs soient pleins et que nous ne manquions de rien.
Mes grand-mères, sans vraiment le vouloir, m’ont transmis beaucoup.
C’est comme si elles avaient semé des petites graines dans mon développement personnel. Elles ont contribué à mon autonomie, ma générosité et ma bienveillance.
Elles m’ont transmis le tricot, leurs astuces de cuisine, la création de jouets avec du papier et du carton. Mais au-delà de ça, elles m’ont montré que l’on n’a pas besoin de beaucoup de choses matérielles dans la vie pour être heureux.
En septembre 2014, j’ai entamé un BTS sur Narbonne. Narbonne, ville de mon enfance, ville de mes vacances. Pour des raisons financières, je suis allée vivre chez Mamie Choupette. Jusqu’à ce qu’elle tombe malade. La maladie de Charcot, ça ne pardonne pas. J’ai alors dû déménager et vivre seule. Mamie Boum, elle, était depuis peu en maison de retraite, sur Narbonne aussi.
Plus qu’une ombre dans ma salle de classe
2016 : dernière ligne droite pour mon BTS. L’une après l’autre, à quelques jours d’intervalle, elles sont parties de ce monde. J’ai tout de suite ressenti beaucoup d’injustice et de regrets. Face à leurs corps inertes, à voix basse, je leur ai demandé pardon.
Je leur ai dit que j’étais désolée de ne pas les avoir vues plus souvent, désolée de ne pas être capable de les regarder dans les yeux ni de les toucher. Et je leur ai dit que je les ai toujours aimées.
Après leurs enterrements, pendant un temps, je n’étais plus qu’une ombre dans ma salle de classe. J’ai fait l’impasse sur mes deuils et me suis concentrée sur mes examens. J’étais dans le déni et la colère que je gardais, bien enfouie au fond de moi.
Narbonne, je te détestais.
Les week-ends sont alors devenus des échappatoires, lorsque je descendais voir mes proches. Je n’avais plus qu’une seule envie : fuir cette ville dans laquelle je me sentais si seule et où tout me rappelait leurs souvenirs.
J’ai commencé à développer un certain rejet – ou plutôt une mise à distance – des grands-parents de ceux qui m’entouraient. Je fuyais discrètement aussi les discussions qui se rapportaient aux grand-mères. Mais cela n’a duré qu’un temps.
Le manque, le chagrin… et les souvenirs
Désormais, je suis envieuse des autres qui ont cette chance d’avoir des grands-parents. Et pourtant, je peux comprendre que certaines personnes ne soient pas aussi attachées à leurs grands-parents que je l’ai été et le suis encore. Pour l’être, il faut qu’il y ait eu des moments complices, des souvenirs construits petit à petit. Mais lorsqu’il n’y a rien de cela, ces personnes qui font parties de notre famille ne représentent finalement pas plus que des connaissances.
J’ai réellement conscience que ce que je suis devenue aujourd’hui est le résultat de l’influence de mes grand-mères.
Emilie, 21 ans, volontaire en service civique, Perpignan
Crédit photo CC Emilie Seto