Benjamin L. 12/08/2017

On m’a fait rentrer pour me foutre dehors

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Chaque année en France, 15 000 procédures d'expulsions sont engagées. Un jour, alors que je rentrais du collège, j'ai découvert chez moi l'huissier et les camions de déménagement...

Connaissez-vous l’expression « si on t’avait foutu à la lourde chaque fois que t’a fait une connerie, t’aurais passé ta vie dehors » ? Eh bien moi, j’ai été foutu à la lourde sans avoir fait de connerie et j’ai eu l’impression, depuis ce jour, de toujours passer ma vie plus ou moins dehors.

Le 7 octobre 2009, j’étais en cours de physique-chimie. Mon attitude habituelle : élève de troisième à la fois un peu distrait mais qui cherche à bien faire, un élève moyen, à la bonne attitude en classe mais aux habitudes de travail irrégulières. J’étais en cours quand une surveillante est entrée dans la salle et a demandé après moi. Ca n’arrivait jamais, je n’étais vraiment pas le type d’élève à me faire remarquer. Alors la surveillante m’a dit de venir avec elle, avec toutes mes affaires.

Dans le couloir, elle m’a expliqué que ma mère avait besoin de moi chez nous et que je devais rentrer très vite.

À ce moment-là, ébahi, je me disais : « Bordel, qu’est ce qui se passe ?! J’ai fait une énorme connerie c’est ça ?! Il y a eu un décès ? »

Sur toute la route du retour, je me posais des questions, je me faisais des films, je me disais que mes parents étaient tombés sur une grosse connerie que j’aurais pu faire. À l’époque, je vivais dans un HLM, dans une cité des Yvelines, avec mes deux parents.

C’est lorsque je suis arrivé dans la cité où je vivais que j’ai enfin découvert ce qui se passait.

Des camions de déménageurs devant la barre d’immeuble, un élévateur au niveau d’une des fenêtres et des pots de fleurs et d’autres jouets appartenant à mon petit frère (âgé de 7 ans à ce moment-là) jetés par les fenêtres.

C’était le « déménagement surprise », le « déménagement à l’arrache », « le déménagement à la dur ». En gros : une expulsion.

L’huissier et les déménageurs qui débarquent

Alors toi, t’es sous le choc, t’es en sueur, après avoir pédalé pendant une vingtaine de minutes, à fond, dans le stress, sans savoir ce qui t’attendait.

Tu montes au troisième. Tu arrives dans l’appartement où un gentil huissier t’attend et t’adresse à peine quelques mots, accompagnés d’un regard froid : « Nom ? Prénom ? Le nom de tes parents ? Merci, tu peux sortir. »

Non, vraiment ? On m’a fait rentrer, dans le stress, la peur, la panique, pour me foutre dehors ? C’est ça que vous me dîtes ?

Et autour, t’as les voisins qui hurlent sur les huissiers et les déménageurs, qui te balancent et détruisent sans scrupules tes meubles, tes affaires, qui se mettent dans les poches les billets ou pièces qui auraient pu trainer dans l’appartement. Puis tu vois tes parents, affolés, qui tournent partout dans l’appartement pour trouver des papiers, récupérer des vêtements.

Et toi t’es là, au milieu du chaos, à te rendre compte que tout est en train de se casser la gueule.

Et je ne sais pas à qui je dois en vouloir le plus : à ces gens qui « n’ont fait que suivre les ordres et faire leur boulot », en te disant qu’ils n’avaient aucun scrupule et aucune pitié ; ou à mes parents, qui ne m’en avaient jamais parlé, qui m’ont menti par omission, qui ont préféré dépenser dans un « luxe égoïste » plutôt qu’assurer la sécurité de leurs enfants : à mon père, gros consommateur de shit, une sale addiction qui le rend violent, méchant et qui conduit souvent à des dépenses au-dessus de ses moyens.

« Où est-ce qu’on va aller ? »

Tu montes dans la voiture et il y a des milliers de questions qui te traversent la tête : « Où est-ce qu’on va aller ? », « Qu’est-ce qu’on va faire ? », « Comment je vais faire avec le collège ? Avec le Brevet ? », « Qu’est-ce qui va advenir de nos animaux ? ». Ce jour-là, on a du abandonner un de nos chiens, je n’ai même pas pu lui dire au revoir. La dernière fois que je l’ai vu, c’était le matin-même, avant d’aller au collège, sans me dire que je ne le reverrais pas.

Alors tu te dis que tu abandonnes non seulement des animaux, des meubles, des habitudes de vie, mais aussi les illusions que t’as encore quand t’es ado : « tout va bien aller », « tant que je travaille bien à l’école, c’est que je fais bien les choses ».

La notion de mérite meurt à ce moment-là : même si tu bosses bien à l’école, il peut t’arriver des merdes monumentales, que tu n’auras pas méritées.

Et tu montes dans une voiture, avec tes parents, ton frère et un chat, le chat en panique, qui miaule à t’en crever les oreilles. Et on te demande de le rassurer. Pardon ? J’ai 14 ans, je viens de me faire foutre dehors et je suis censé rassurer un chat ? Tu ne sais pas où tu vas, tu ne sais pas quoi faire ni ce qu’il va advenir de toi, et t’es censé jouer le médiateur d’un chat qui a tout sauf l’habitude d’être enfermé dans une caisse ?!

Impossible d’en parler

Au final, on s’est retrouvé hébergés chez mon grand-père qui vivait à Amiens pendant deux semaines. J’ai raté les cours pendant deux semaines. Les gens m’envoyaient des messages en me demandant ce qu’il se passait. Et toi, tu ne sais pas quoi répondre. Alors tu dis que t’es en plein déménagement, mais qu’il y a des complications. Les bruits courent tellement vite que tout le monde le savait déjà, mais je n’avais pas envie de le dire devant tous, de confirmer ce qui n’aurait pu être qu’une rumeur.

Pendant quatre mois, on a ensuite vécu dans un hôtel à Rueil Malmaison, clairement pas un hôtel de luxe, loin de là. Plutôt un marchand de sommeil.

Des coupures de courants tous les soirs, les radiateurs qui ne marchaient pas. Les douches glacées ou bouillantes, des télés dans les chambres qui ne faisaient que décorer puisque même pas raccordées à une antenne. Et des engueulades et des cris dans les couloirs. Vraiment, la meilleure vie possible pour un collégien qui passait son brevet en fin d’année.

Au final, j’ai gardé tout ça pour moi pendant toute ma scolarité, j’en ai parlé à seulement deux personnes, de manière brève et floue.

Ce n’était pas d’en parler dont j’avais besoin, c’était de m’en sortir, voire d’oublier.

Ce genre d’événement vous arrache à votre enfance, il piétine la sécurité du foyer et la confiance que vous pouvez avoir en votre famille.

Et aujourd’hui encore, il dicte la plupart de mes actes, de mes habitudes, de mes peurs. La situation s’est aggravée entre ma famille et moi. Je leur en veux encore aujourd’hui et je sais pertinemment qu’ils auraient pu éviter ce genre de blessure à leurs enfants… et à eux-mêmes.

Enfin de retour « chez moi »

On s’en est sorti, même si tout était contre nous. Mon frère et moi avons persévéré à l’école et fait de notre mieux. Pendant une année scolaire, j’avais entre une heure et une heure et demie de trajet le matin et le soir pour aller à l’école et rentrer chez moi. C’était dur, c’était déprimant, mais au final, c’était nécessaire. On a tous gardé la tête haute et fait des efforts.

Mon père a beaucoup réduit sa consommation pendant ces quatre mois, ma mère allait nous chercher à manger aux restos du cœur, et je souhaite remercier tous les bénévoles de toutes les associations qui œuvrent pour aider les gens dans le besoin.

Au mois de février l’entreprise dans laquelle mon père travaillait nous a finalement proposé de louer une maison juste à côté de son lieu de travail.

C’est à partir de ce jour qu’on a enfin retrouvé une maison, un foyer, un lieu où l’on pouvait se sentir en sécurité. Le cauchemar était fini. J’ai fini mon année scolaire dans les Yvelines, à faire de longs trajets matins et soirs pour aller à l’école, seul dans le train. Mais j’étais rassuré de rentrer « chez moi ».

 

Benjamin L., 21 ans, volontaire en service civique à l’AFEV, Cergy

Crédit photo Flickr CC Craig Wilcock

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3 réactions

  1. Ma mère a fait une rupture d anevrisme trois fois. Aidez moi à trouver un studio merci beaucoup

  2. Je suis vraiment émue par ton texte. Je m’appelle Zahra et j’ai 14 ans, moi aussi j’ai vécu un expulsement et je comprend comment cela est dur. Je pense que tu etais assez grand pour comprendre. Dis toi que moi j’avais 6 ans et j’avais une petite soeur de quelque moi. Je sais que c’est un choque et que ca marque a vie, a cause de cet expulsement j’ai vécu des moments dur a l’école ou je ne savais pas quoi répondre a certaine question. Je pense que c’est en grandissant que l’on réussi a repondre a certaines questions que l’on se posait plus jeune car nous avons plus de maturité. Moi aussi j’ai fait un texte sur cela; le thème etait les frontières. Moi j’ai parlé des frontière avec les classes socials plis précisement entre les pauvres(ma famille) et les riches(les expulceurs et leurs enfants). Si tu veux moeux comprendre tu peux lire mon texte il est au nom de: Zahra S et le titre est : Expulcé, j’ai pris concience de ma pauvreté.
    Merci espérons que tu me répondras
    Zahra S

  3. Vraiment émouvant, je ne saurais éprouver les difficultés que tu as subit, et rien que pour ça tu mérite mon immense respect, merci !

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