2/5 Dans mon quartier, on court plus vite que la police
Souvent, quand la police arrive, on court, et ils nous coursent. Ça, j’aime bien, parce qu’avec mes potes, on connaît notre quartier par cœur. On sait quelles portes il faut pousser pour qu’elles s’ouvrent, on connaît les codes des bâtiments. Eux aussi, mais moins bien. Ce jeu de course-poursuite a commencé depuis le confinement. Ça leur donnait des motifs pour nous mettre des amendes, ça a construit un jeu. C’est marrant, sauf quand ils nous attrapent. Là, ce n’est pas marrant : ils nous tapent, nous mettent des tartes et, après, ils notent nos noms, et bam, amende.
Des fois, quand ils attrapent une personne, ils lui disent : « Dis à tes potes : à demain ! », genre, on se retrouve demain. C’est comme un jeu, mes potes et la police, on se retrouve quasi tous les soirs.
« Non-port de masque »… même quand je le portais
La première fois que j’ai pris une amende, c’était au début du confinement. On faisait un barbecue vers 20 heures avec des potes en bas de chez nous, dans le 20e arrondissement de Paris. On savait que c’était interdit, mais on voulait quand même se voir, on ne prenait pas vraiment le confinement au sérieux. Il commençait à faire beau : à cette période, on avait l’habitude de faire des barbecues, donc on a fait comme d’hab’.
La police est arrivée vers 22 heures. Où on s’était posés, il y avait des caméras, donc je pense qu’ils nous avaient repérés. D’abord, ils ont jeté le barbecue et ont confisqué l’appareil. Ils ont demandé qui avait organisé la soirée, pour lui mettre une plus grosse amende, mais personne ne s’est dénoncé. Du coup, on a tous pris 135 euros. Nom, prénom, adresse, et je reçois l’amende chez moi : « non-respect du confinement et organisation clandestine… » Je ne sais pas quoi. Je savais qu’il fallait payer, parce que si tu ne paies pas, ça augmente. Du coup, j’ai donné de l’argent à ma sœur, et elle est allée payer au commissariat, parce qu’elle, elle sait faire.
Ça, c’était une amende prise en flag, donc tu ne peux pas nier, t’es obligé de payer. Sinon, tu peux toujours essayer de courir. Depuis le premier confinement, j’ai pris des dizaines d’amendes. En tout, j’ai dû payer plus de 2 000 euros pour non-respect du couvre-feu, du confinement, etc. Des fois, les policiers n’avaient rien à me reprocher, du coup, ils mettaient « non-port de masque », même quand je le portais. Une fois même, ils ont mis « tapage » alors qu’il était 14 heures… On faisait un peu de bruit, mais pas beaucoup… C’était la journée, on se disait qu’on avait le droit de faire du bruit.
Ils sont lents, mais ils ont du cardio
Des fois, on n’a rien à faire, donc on attend qu’ils viennent. En général, ils passent vers 22 heures, c’est le premier tour et, après, c’est plus vers 3 heures du matin. Souvent, c’est la BAC, ou alors la voiture blanche où il est écrit « police ». Ils sont tellement dans le quartier que je connais certaines de leurs plaques d’immatriculation (« XH » et « HN » par exemple). Quand ils arrivent vers nous, ils ralentissent et nous regardent. Ils disent : « Avancez. » Si on a des trucs sur nous, on avance, parce que s’ils nous chopent sans qu’on se soit dénoncés, on finit en GAV, 24 heures ou 48 heures de dépôt. Si on n’a rien, on n’avance pas. Là, ils s’énervent, descendent de leurs voitures, sauf le conducteur, car ils nous connaissent : il faut qu’ils puissent nous courser en voiture si jamais on se barre. Alors, nous, à chaque fois, on s’éparpille pour qu’ils ne nous suivent pas.
On ne va jamais au même endroit, mais on ne prépare rien, c’est au feeling. Il y a des parcours plus difficiles que d’autres, genre les grandes montées qu’il vaut mieux éviter. Eux, ils sont lents, mais ils ont du cardio, c’est leur point fort. Nous, on court vite, mais on n’a pas de cardio. La solution, c’est de rentrer te cacher dans un bâtiment ou dans un buisson. Mais pas en dessous des camions, c’est mort ! Mon pote s’est déjà fait choper comme ça, parce qu’ils nous voient avec leurs phares. Sinon, tu changes tes vêtements. Si t’as une veste rouge, ils vont dire dans le talkie-walkie « veste rouge », mais si tu changes de veste, ils vont dire quoi ? « Maghrébins », « cheveux longs », « type noir africain », je les entends donner nos descriptions.
Il y a des « bénévoles », qui ne sont même pas de la police
Dans les courses-poursuites, ils n’ont pas compris, mais leurs voitures, elles ne servent à rien ! Si tu cours dans un sens et que la voiture te suit, tu fais demi-tour direct et le temps que la voiture change de sens, t’as le temps de partir. Ou alors tu prends les escaliers ! Ça m’a déjà sauvé une fois. Des fois, ils appellent des renforts, c’est mieux ça, comme ça tout le monde court ! Et même, parfois, il y a des « bénévoles », des gens qui ne sont même pas de la police, pas payé pour faire ça, qui les aident. Ils font les super-héros, alors que, normalement, ils ne devraient pas se mêler de nos courses-poursuites.
Quand la police nous attrape, par contre, ce n’est pas cool. Les policiers n’aiment pas courir, mais nous, on aime bien. Ils nous disent souvent : « Sale fils de pute, tu m’as fait courir ! » Du coup, ils prennent notre identité. S’ils nous ont jamais chopés, on ment sur nos noms, s’ils nous connaissent, on dit la vérité. « Êtes-vous connus par les services de police, et si oui, pour quels faits ? » Là, il faut dire non, sinon ils te retrouvent dans leur gros téléphone ou ils appellent la centrale. Après, ils te mettent une amende.
On se fera toujours courser, parce qu’ils nous contrôlent toujours
Si les policiers ne nous attrapent pas, on attend dix minutes chez quelqu’un. Et après, c’est bon, on regarde par la fenêtre s’ils sont partis, et on sort. Et le lendemain, ça recommence…
Série 3/5 – Une énième ronde devant son lycée. Yassine a maintenant l’habitude de la présence quotidienne de la police dans son quartier.
Avant le confinement, on courait juste quand on avait des trucs sur nous. Maintenant, on court pour ne pas prendre d’amende. Sans confinement, ni de couvre-feu, il va se passer quoi ? On se fera toujours courser, parce qu’ils nous contrôlent toujours. Ils trouveront des excuses genre « délit de fuite ». Si on est en groupe, ils appelleront toujours des renforts.
Là, on attend le 14 juillet pour jouer avec eux, pour les exciter avec des mortiers et des feux d’artifices « Allez la France ! ». Un jour, j’arrêterai ce jeu avec la police. Je ne vais quand même pas faire ça jusqu’à mes 30 ans !
Mamadou, 16 ans, lycéen, Paris
Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)
Contrôles et violences à répétition dans les quartiers
20 fois plus de risques d’être contrôlé quand on est un jeune homme noir ou arabe
Les 18-25 ans sont sept fois plus contrôlé·e·s par la police que le reste de la population. Parmi elles et eux, ce sont les jeunes hommes perçus comme noirs ou arabes qui en subissent le plus : 80 % d’entre eux ont été contrôlés ces cinq dernières années.
La moitié des enquêtes de l’IGPN ouvertes pour des faits de violence
En 2020, l’inspection générale de la Police nationale (IGPN) a reçu 5 420 signalements. 1 101 enquêtes judiciaires ont été ouvertes, la moitié pour violences. 38 enquêtes ont également été ouvertes par l’IGPN en 2020 pour injures à caractère raciste ou discriminatoire (contre 21 en 2019).
Les banlieues aussi ont leur porte-voix
L’équipe de l’écho des Banlieues s’est rendue au quartier des Mille-Mille, à Aulnay-sous-Bois, pour le raconter à travers les regards de ses habitant·e·s. Un documentaire de trente minutes qui questionne entre autres le traitement médiatique des quartiers et les violences policières.