Respect, vivre ensemble… Je suis du genre rêveur
Je crois que je suis trop rêveur. Du genre à s’imaginer plein de choses, la tempe collée à la vitre de mon train de banlieue, derrière laquelle défilent les lumières de mon nouveau chez moi. Du genre à cogiter sur la situation de mon pays, du monde, sur le rôle que je joue dans cette comédie qui me fait tantôt rire, tantôt pleurer. Du genre à me croire investi d’une mission, dont l’accomplissement bouleverserait la vie des gens, et la mienne. Du genre à rêver d’une France plurielle. Oui, je suis un genre de mec un peu singulier.
Défendre mon quartier, tous les quartiers de France
Ça m’a pris très jeune, vous savez. 15-16 ans, j’étais déjà foutu. Bon pour l’asile, avec mes histoires de vivre ensemble, de dialogue entre les milieux et les cultures, de respect et de justice. J’y étais pour rien. Mes parents m’ont éduqué comme cela. Toujours tendre la main aux autres ; ouvrir sa porte à l’étranger ; pardonner à ses ennemis ; répondre par la bonté à la haine. Ils m’ont tellement bourré le crâne que j’ai fini par y croire, puis par vouloir transmettre à mon tour. Ils l’avaient dit pourtant à la télé. Que dans nos quartiers, tout est de la faute de nos parents.
Très vite, j’ai commencé à prendre le truc très au sérieux. Là j’avoue, tout était de ma faute. A force de traîner en bas de chez moi, je finis par m’y sentir bien. Pire, je me mets en tête d’écrire des histoires sur mon quartier et ses habitants, pour montrer à quel point ce qu’on y vit peut être beau, soi-disant. Je me mets à parler de mon quotidien, des parties de foot interminables sous les étoiles, des amitiés tellement fortes qu’on les croirait éternelles, des débats existentiels en plein milieu du parc, des crises de rire qui mouillent les yeux de larmes. Je me mets en tête de défendre mon quartier, et à travers son exemple tous les quartiers de France, contre les attaques répétées dont ils sont victimes, en m’efforçant d’illustrer tout ce qu’on peut y trouver de bon : partage, solidarité, joie de vivre ; valeurs fortes qu’ailleurs on ne considère plus. En m’appliquant aussi à cerner et raconter les raisons de cette rage latente qui nous brûle, jusqu’à tout casser un soir d’automne, et faire siffler la Marseillaise aux plus enhardis. J’étais en plein délire. Ils auraient dû insister sur le rôle positif de la colonisation à l’école. Ça nous aurait calmés.
Rêver le temps d’un trajet
Le pire dans tout ça ; la cerise sur ce ghetto que je chérissais tant, c’était ce message de paix que je lançais à tout va. C’était, après s’être outrageusement posé en victime, interpeller mes semblables et dire : nous devons changer. Parce qu’une partie d’entre nous prend pour prétexte des injustices parfois réelles pour se comporter n’importe comment et causer du tort à autrui ; parce qu’une partie d’entre nous ne se remet jamais en question, et cherche la cause de tous ses maux chez les autres, comme d’autres font d’eux l’origine de tous les maux ; parce qu’une partie d’entre nous rejette tous ceux qui ne lui ressemblent pas, agissant de la même façon que les fachos qu’ils détestent ; pour toutes ces raisons, nous avons notre part de responsabilité dans la montée du racisme, de la xénophobie. C’était en tout cas ce que j’affirmais. Je portai alors sur les électeurs FN et affiliés un regard différent. J’eus l’audace de penser que ces millions de Français que l’on diabolise n’étaient pas réductibles aux quelques néonazis que l’on trouvait dans ses rangs. Qu’au-delà de l’ignorance et de la bêtise pures, il y avait ces personnes avec lesquelles il était possible de dialoguer ; d’échanger ses points de vue ; de s’expliquer, pour finalement – malheur ! – se comprendre. Le dialogue et la bonté étaient dans ce songe le remède à toutes les haines. Comme s’il pouvait y avoir quelque chose en commun entre un arien, et un indigène.
Heureusement, mes trajets en train ne sont jamais longs. Mes rêves d’adolescent s’évanouissent quand s’ouvrent les portes et que le froid du quai de gare me saisit. J’enfonce la tête dans mon col et descends la longue pente qui mène à mon chez-moi parisien. Dans la rue, les gens vont et viennent sans se regarder. Comme eux il me tarde de goûter à la chaleur du foyer. Là, en bon citoyen, je vais chercher l’actu en allumant la télé. Je m’indigne des scores historiques de l’extrême droite dans mon Nord natal. J’ai donné ma voix à un parti que je ne porte pas dans mon cœur pour faire barrage à un parti qui ne me porte pas dans le sien. Et ce sera tout. Je ne ferai rien pour comprendre et trouver des solutions aux problèmes de fond qui déchirent notre société. Jamais je n’envisagerai de m’engager de quelque manière que ce soit contre la haine et pour la compréhension mutuelle. Je fermerai les yeux sur les fautes et les frustrations des uns et des autres. J’attendrai, pour me réveiller, le prochain scrutin.
Et de temps à autre, entre deux stations de train, je rêverai de paix entre tous mes frères et sœurs du genre humain.
Hakim, 24 ans, blogueur et ambassadeur d’Unis-Cité, Grande-Synthe
Crédit photo Flickr CC jeannemenjoulet&cie
Je n’avais pas lu un retour aussi beau et aussi encourageant depuis longtemps… Ça me touche d’autant plus que depuis quelques temps, je me questionne sur notre capacité à changer les choses, notamment par l’écriture. Ton commentaire me rappelle que c’est un travail de longue haleine et incite à continuer les efforts.
J’ai cru comprendre que tu avais lu d’autres textes en dehors de celui-ci. J’espère donc que la suite te plaira 🙂
J’aime beaucoup la sincérité qui transparaît dans ton écriture. Tu rassembles des morceaux de vie et leur donnes de la consistance. Tu ne t’en tiens pas au constat, au simple récit ; tu recherches de la beauté même dans ce qui peut paraître morne au premier abord. Tu envisages les choses dans leur complexité, tu croises les perspectives, tu donnes une voix à ceux qui n’en ont plus ou n’osent pas faire entendre la leur. Et j’irais même plus loin : sans le vouloir, tu changes les choses. Certes le changement ne se produit pas rapidement ni de façon très visible ; mais assurément tu changes les choses. Un changement brutal n’amène jamais rien de bon de toute façon. En écrivant tu nous transmets quelque chose, tu nous invite à reconsidérer notre point de vue : c’est aussi de cette façon-là que le changement se produit. L’écriture est sans doute la plus belle façon de changer les choses. Et la plus pacifique aussi.
Des écrivains proches de leurs semblables, qui tentent de les comprendre, de saisir leurs contradictions, de les dépasser, il y en a peu et tu en fais partie. J’espère que l’envie d’écrire ne te quittera pas, même si ton amour pour ta cité n’est plus aussi fort que par le passé, et que nous aurons encore le plaisir de te lire ici ou là.