Anatole S. 24/10/2019

J’ai été le larbin d’un hôtel de luxe

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Le job d'été d'Anatole, c'est débarrasser les tables des gens riches, obéir et se faire insulter. Tout ça pour gagner un Smic.

Amateurs de restaurants gastronomiques ? Vous aimez, donc vous asseoir tranquillement à table et déguster des mets raffinés et des vins fruités. Cependant, vous ne vous doutez pas de toutes les petites mains qui ont permis à vos plats d’arriver devant vous. Vous connaissez le chef et ses commis ? Le serveur ? Il en reste un, peu connu : le runner.

« Marathonien de la restauration », « commis de salle » ou « homme à tout faire ». Quand j’ai postulé pour ce job, je m’attendais pas à faire des tâches comme celles-ci. Pour moi, c’était un privilège de pouvoir travailler dans un endroit comme ça !

Les tâches ingrates et infinies

J’étais là pour le service du matin, de 6h30 à 15h30. Je m’occupais du service en salle et en chambre. Il fallait être motivé, discipliné, efficace, rapide et à l’écoute. Dès que j’arrivais, il y avait déjà des plusieurs commandes « room service ». Les clients commandaient depuis leur chambre et les runners devaient arriver le plus vite possible, avec des plateaux de plusieurs kilos, pour les satisfaire. C’était toujours perturbant et très intrusif de rentrer dans leur chambre, de les voir en peignoir ou en sous-vêtements.

Je devais aussi veiller à la propreté des lieux. Changer les housses des sièges, courir à la buanderie ou enlever les miettes du service de la veille. Disposer des bougies sur les tables, les allumer, débarrasser les petits déjeuners des chambres. Bref, tout un tas de petits services. Et les chefs de rang étaient continuellement présents pour vérifier le travail ou rappeler les consignes.

Insultes en cuisine

Mais le gros de la journée avait lieu durant le service du midi, c’est là où ça se gâtait. Ce service pouvait comptabiliser plus de 100 réservations et près de 200 couverts (personnes quoi). C’était la partie que tous les runners redoutaient. Pendant plus de trois heures, j’étais une sorte de « robot » entre la cuisine et la salle de service. Dans ces moments-là, le client était « roi » et tout devait être fait pour qu’il soit dans les meilleures dispositions : il n’était pas rare de devoir renvoyer un plat en cuisine.

Durant les moments de rush où j’étais « dans le jus », la pression des supérieurs était énorme. Ils vérifiaient tout, exigeaient un travail toujours plus rapide, s’énervaient. L’ambiance au sein du personnel était difficile. Parfois, les chefs de rang insultaient les serveurs ou les serveuses quand le travail était « mal fait » « Mais elle est vraiment conne celle-là ! » Ou « T’es nul. » J’avais pensé, naïvement, à un milieu où l’entraide était une valeur fondamentale au même titre que la communication et le calme. J’ai vite déchanté quand j’ai vu la pression et l’ambiance. Comme ce jour où on m’a interdit de faire un revers à ma manche, sous 40 degrés.

Éreinté pour un smic

Le runner peut aussi s’occuper des chambres pour les nouveaux clients : approvisionner tous les mini bars des chambres de l’hôtel et facturer les clients qui avaient pris les boissons payantes. Je devais répondre aux ordres de la réception, « Tu peux aller voir en chambre 303 si elle est bon état, la cliente attend en bas. Maintenant ! » J’abandonnais ma tâche pour vérifier.

J’ai aussi été perturbé par la question des heures supplémentaires et des fameux « tips » ou pourboires. Le métier de runner implique des horaires flexibles. Trop flexibles. Les chefs de rang pouvaient retarder ta sortie d’une heure ou deux. Un jour, mon chef m’a dit : « Il y a encore beaucoup de monde en salle, tu restes encore 1h30. » Et j’étais obligé, pas de négociation. C’était : « Tu es là, tu écoutes et tu restes. » Mais après une journée de travail et 20 km de marche, difficile de prendre ça avec plaisir. J’étais fatigué.

Après le bac, le job étudiant pour payer le loyer. Exploitation assurée ? Rien de tout ça pour Violette. Vendre des fringues, elle a adoré !

Le runner a des pourboires en fin de journée. Environ 10% du pourboire du serveur. C’est souvent source de tensions quand on connait les efforts fournis et le peu de différence qu’il y a avec les serveurs. Je n’ai pas touché plus de 12 euros de pourboire lors de mes services. Un serveur, lui, pouvait toucher 120 euros.

Alors oui, j’ai travaillé dans un hôtel de luxe, j’ai beaucoup couru, beaucoup transpiré et gagné environ 1500 euros net et 250 euros de pourboire. Néanmoins, ce salaire ne compense pas la pénibilité du travail. Bien au contraire, il justifie l’indifférence : les runners vont courir encore longtemps avant d’être reconnus.

Anatole, 19 ans, étudiant, Le Plessis Robinson

Crédit photo VisualHunt // CC0

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1 réaction

  1. Petit oubli, lorsque l’on récupère les plats de la cuisine, les cuisiniers vous hurlent dessus « chaud, chaud » « con de rat » « porteur d’assiette »…
    Mais c’est sportif et cérébral !!!

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